© Pathé Distribution
Réalisateur et acteurs
Venu présenter son dernier film de fiction, Nils Tavernier nous explique son goût pour les « happy ends » et sa volonté de nous toucher à travers l’histoire simple d’une famille qui se disloque mais qui saura trouver la force de dépasser ses peurs. Jacques Gamblin et Fabien Héraud, les deux comédiens, racontent pourquoi ils ont dû se faire confiance mutuellement et se dépasser physiquement pour leurs rôles respectifs.
Journaliste : Comment est né le projet de votre nouveau film "De toutes nos forces" ?
Nils Tavernier : J’ai passé deux ans en neurologie à Necker pour faire un film de 50 minutes pour la 5, donc en neurologie à Necker c’était forcément de la pédiatrie. À cette occasion, j’avais rencontré plein de familles différentes et ça m’a fait du bien de passer du temps avec ces gens-là. Ça m’a fait grandir, ça m’a clairement enrichi, et pendant que je faisais ce travail, je suis tombé sur une petite vidéo sur You Tube qui était l’histoire d’un infirme moteur cérébral de 20-25 ans qui avait demandé à son père de faire l’Ironman. Je suis parti de cette histoire, j’ai reconstruit ma famille et j’ai eu envie de continuer, de partager le bonheur ressenti grâce à cette famille rencontrée. J’ai commencé à écrire, puis très vite je suis allé voir Nordwest avec mon scénario en leur disant que je voulais faire ce film, et ils ont tout de suite adhéré.
Journaliste : Comment avez-vous trouvé Fabien, pour interpréter votre personnage principal ?
Nils Tavernier : Je voulais que l’enfant soit un infirme moteur cérébral et pas un acteur. Je l’ai trouvé en cinq mois. Je voulais qu’il soit ultra lumineux, ultra sincère, je ne voulais pas qu’il soit larmoyant, je voulais que ce soit un môme qui ait la pêche, je voulais qu’il soit… Ben, comme il est, je ne vais pas vous le cacher, je suis fan de toute façon ! Au bout de deux mois de recherches, je ne pouvais plus me balader dans toute la France. Ça ne marchait pas, j’avais fait 180 établissements, on était 5 assistants. Pour plus d’efficacité, j’ai demandé à recevoir des vidéos de présentation d’eux pour commencer à faire une sélection. Et Fabien m’a envoyé une vidéo dans laquelle il faisait des dérapages en fauteuil, en labourant la pelouse de son école, il se jetait de son fauteuil, il rigolait, et je me suis dis que là il y avait de l’énergie en barre. Donc je suis descendu le voir, et au bout de 4-5 essais de jeu technique, on s’est tous dit qu’il avait les capacités pour le job. Il s’est engagé à être coaché pendant quatre mois pour apprendre. Il a d’ailleurs eu le prix d’interprétation au festival à Mons en Belgique ! Puis, autour de lui, il fallait deux acteurs ultra solides parce que je n’ai pas fait cinquante films de fiction. Je savais qu’il fallait que je m’occupe beaucoup de Fabien, donc il me fallait deux acteurs béton. Alexandra [Lamy, ndlr] que j’avais vu dans "Ricky", le film de François Ozon, dans le film de Sandrine Bonnaire ["J’enrage de son absence", ndlr] et dans "Les Infidèles" où Je l’avais trouvée formidable. Et j’avais le sentiment qu’elle pouvait avoir un jeu tout en retenue avec une qualité d’écoute sérieuse. Je l’ai rencontrée deux fois pour lui parler du personnage, et à la manière dont elle m’écoutait, je me suis dit : « Elle, elle peut sincèrement avoir un jeu qui s’adapte à celui de Fabien ».
J’ai pris Jacques [Gamblin, ndlr] d’abord parce qu’il est bien dans tous ces films, ce qui n’est pas très nouveau. J’étais tranquille même si je le mettais mal en scène ou que je le dirigeais mal ! Il n’est jamais mauvais Jacques ! Et lui aussi pouvait adapter son rythme en fonction de celui des autres acteurs qui l’entouraient. Le fait qu’il soit ultra sportif était nécessaire, je ne pouvais pas avoir un comédien qui ne sache pas courir, ni nager, qui ne soit pas physiquement à fond dans ce film. Je leur ai fait lire le scénario et puis on a travaillé ensemble à ne pas faire un film bavard, mais qui joue davantage sur les émotions.
Journaliste : Pourquoi situer l’histoire à la montagne ? Est-ce pour montrer le paradoxe entre l’enfermement un peu mental des personnages et l’immensité des décors autour ?
Nils Tavernier : Ce film parle de l’intimité dévoilée des personnages. Cette impudeur, ou ce début de relation entre l’autre n’a pas le même impact visuel s’il est au milieu d’espace énorme. Le moment où Jacques va voir son fils et lui dit : « Je ne courrai pas l’Ironman avec toi, derrière les montagnes sont escarpées ». Quand je repasse sur Fabien, les montagnes sont plus douces. Tout le film est construit comme ça, et l’enfermement, pour moi c’était dans la maison. D’ailleurs dans la maison la caméra ne bouge quasiment jamais. La caméra bouge en extérieur même s’il ne s’agissait pas de faire des plans compliqués. Par contre j’assume complètement le côté grand spectacle de la course à la fin. Mais c’est vrai que la montagne, c’était capital.
Journaliste : Fabien, est-ce que vous aviez des rêves de cinéma ?
Fabien Héraud : Pas du tout. Je n’étais pas orienté vers le cinéma ou le théâtre, plutôt la musique. C’est grâce à mon kiné, Eric, que je suis arrivé dans cette aventure. Et ça m’a plu. Jouer, ressentir les émotions, devenir un personnage que je ne suis pas vraiment dans la vie, c’est énorme ! On doit bosser fort, et quand on y arrive on se fait plaisir !
Journaliste : Et ce clip que vous aviez envoyé à Nils, vous l’avez fait un peu par jeu ou avec un vraie envie de cinéma ?
Fabien Héraud : Au début, c’était plus par jeu. Je me suis dit « Pourquoi pas. On verra ça peut être marrant ». Puis, c’est passé du jeu à la réalité et il a fallu vraiment bosser. Généralement quand j’ai un projet, je vais jusqu’au bout. Le challenge m’a plu.
Journaliste : Nils, vous avez surtout réalisé des documentaires. Comment s’est passé l’écriture du scénario pour ce film de fiction inspiré d’un fait réel (un père qui a fait l’Ironman avec son fils handicapé, aux États-Unis) ?
Nils Tavernier : C’est la seule chose qu’il y a en commun avec la famille aux États-Unis. Toute la famille du film a été reconstruite à l’écriture.
Journaliste : Jacques, comment avez-vous joué avec Fabien ?
Jacques Gamblin : J’étais comme ces millions de gens, dans une forme d’appréhension, de ne pas savoir comment faire. Et puis, très vite la glace s’est brisée, parce qu’on pouvait communiquer de façon tout à fait normale et naturelle. Ensuite, c’est le travail avec quelqu’un qui n’a jamais joué, le handicap n’a rien à voir dans l’histoire, si ce n’est que Fabien pouvait avoir des fatigues, il fallait faire attention à ça, mais cela n’a pas autant compté que ça. Le reste a fonctionné grâce à la connivence qu’on avait tous les deux. Comme la confiance que Fabien a porté en moi sur des épreuves extrêmement risquées, notamment le vélo. C’est quand même assez dangereux ! On est sur un vélo, il est devant. On a vraiment pris beaucoup de risque. La confiance que Fabien me porte à ce moment-là est vraiment le résumé de tout le reste, de notre relation pour ce film. C’est une histoire d’équilibre. Cette relation d’équilibre et de confiance est au centre du film. Elle est la clé de la relation nouvelle, une sorte de deuxième ligne de départ entre eux, sans grandes phrases, sans excuses, sans refaire le monde juste avec de la sueur, des muscles et des paysages.
Journaliste : Fabien, quand vous étiez sur ce vélo, vous réalisiez que ça aurait pu être dangereux ?
Fabien Héraud : Ce qui m’a fait bizarre au début c’est qu’on ne peut se tenir à rien. Il n’y a ni guidon, ni frein auquel se raccrocher. Comme Jacques l’a dit, on s’est fait confiance l’un et l’autre. Après, on épouse le mouvement, on s’accompagne pour s’aider. Et puis je suis un peu une tête brulée !
Journaliste : Justement, est-ce que vous êtes sportif ? À part faire des dérapages sur la pelouse !
Fabien Héraud : Oui, je faisais du foot-fauteuil. Mais j’ai arrêté pour l’instant. J’ai aussi fait de la danse contemporaine.
Journaliste : En tant que jeune acteur, Fabien, quel était pour vous le plus dur à faire passer à l’écran : le texte, les émotions… ?
Fabien Héraud : Je pense que c’est les émotions. Faut comprendre pour ressentir, et une fois compris faut faire. Et faire c’est se mettre dans le personnage. Au début, c’est dur quand on n’est pas comédien. Refaire et re-refaire ! Pour moi, c’était dur d’arriver à me concentrer, car toute mon énergie partait sur la concentration. J’ai dû apprendre à doser cette concentration pour en garder pour la suite.
Journaliste : Est-ce que vous avez envie de continuer à être acteur ?
Fabien Héraud : Pourquoi pas, mais pour l’instant je finis mon Bac, à Nantes.
Journaliste : Qu’avez-vous ressenti en voyant le film, la première fois ?
Fabien Héraud : La première fois, j’arrivais plus à parler, c’était hyper fort et émouvant. À la fin, j’étais même un peu essoufflé ! Je ne pensais pas que j’arriverai à faire ça, c’était fort pour moi.
Journaliste : Tous les personnages sont justes, personne ne vole la vedette à l’autre, on voit un bel équilibre.
Jacques Gamblin : C’était vraiment l’enjeu du jeu. On cherchait à être au plus simple, humbles, que les personnages soient juste naturels ! Ça voulait dire faire confiance à la simplicité du scénario, ce n’est pas un scénario avec plein d’intrigues, on imagine bien qu’ils vous arriver au bout. Mais il fallait donner de la chair à cette histoire simple pour qu’elle devienne spectaculaire par la vérité.
Journaliste : Il y a un aspect romanesque dans le film, par votre personnage qui s’ouvre à la tendresse, ce qui donne finalement un film très solaire.
Nils Tavernier : C’est dit ! Alors, moi je suis romantique, je l’assume à 200 % ! Je n’ai pas envie de faire des films d’où l’on sort en disant « Ah, la vie c’est un enfer ! » Ce n’est pas ce que je veux montrer au public. Je voulais une fin à la "Billy Elliot", où l’on va vers un truc qui est chouette à la fin et pas terminer par un mec qui se suicide, l’enfant handicapé qui meurt en tombant et du sang partout ! Je n’avais pas envie de ça ! Alors le film est romanesque, peut-être idéaliste, y’a aucun doute. Mais quand on présente le film à des personnes qui ont croisé de près ou de loin le handicap, ils me disent qu’ils se retrouvent dans cette famille. Moi j’ai rencontré des couples qui ont explosé en vol à cause d’enfants différents.
Jacques Gamblin : Y’en a qui explosent aussi avec des enfants pas différents ! Les couples explosent beaucoup, y’en a 50 % qui explosent !
Nils Tavernier : Mais, je n’ai pas cherché à faire une famille représentative du handicap.
Journaliste : Le film est plein d’espoir, on ne sort pas avec la tête dans le seau !
Jacques Gamblin : C’est aussi ce qui sera peut-être critiqué : la peur du bon ou du grand sentiment. C’est un film positif.
Nils Tavernier : C’est assumé !
Jacques Gamblin : En même temps, ce n’est pas gratuit, le héros s’est battu pour ça, ses parents ont été intelligents à un moment donné. Y’a du combat, y’a de l’effort.
Fabien Héraud : Ce qui est bien c’est qu’on oublie le handicap, c’est magnifique. Car tout le monde peut avoir des problèmes…
Jacques Gamblin : … avec son père (rires) !
Journaliste : Au départ, le film devait s’appeler « L’épreuve d’une vie ». Pourquoi avoir changé ?
Nils Tavernier : C’était le titre que mon premier scénariste avait marqué sur le papier. Je trouvais que c’était ultra réducteur et déontologiquement pas juste. Qui a envie d’aller voir un film qui s’appelle « L’épreuve ». Je trouvais aussi que ce n’était pas bien pour des familles qui avaient un enfant différent. C’est quasiment Fabien qui a trouvé le titre, en évoquant l’idée de la force en plaisantant il a dit : « Que ma force soit avec toi ».
Fabien Héraud : Ce que je voulais dire c’est que sans son père, mon personnage n’aurait pas eu la force de faire l’Ironman. On l’a fait avec ma force psychologique et la force physique de Jacques. Je l’encourageais !
Journaliste : Jacques, avez-vous dû vous entraîner physiquement et mentalement pour ce rôle ?
Jacques Gamblin : Bien sûr, je me suis entraîné avec un coach en piscine, pour améliorer mon crawl. Je me suis entraîné dans un lac à tirer un canot et Fabien. Je me suis entraîné sur les vélos parce que c’est des objets pas faciles à manipuler. Rouler avec 50 kilos devant le guidon c’est plus compliqué que derrière. Mais comme j’ai reçu les vélos assez tard, j’ai commencé avec des sacs de ciment de 25 kg, puis 50 kg, puis sur des routes plus difficiles avant de finir en montagne. Cela correspond au total à plusieurs mois d’entraînement. Je me suis aussi entraîner à souder en altitude pour la scène d’ouverture. Je préfère ça qu’apprendre mon texte, je n’ai pas une grande mémoire !
Journaliste : Tout le film est sur le registre de l’émotion, comment avez-vous dosez les quelques rares moments d’humour dans le film ?
Nils Tavernier : Ce n’est pas un film avec que des blagues tout le temps, ce n’est pas une comédie, mais réserver quelques moments plus légers permettaient de respirer un peu en sortant du registre émotionnel fort. Il le fallait.
Cinémas lyonnais
Cinémas du Rhône
Festivals lyonnais