INTERVIEW

OEIL DE L’AUTRE (L’)

OEIL DE L’AUTRE (L’)


John Lvoff

réalisateur et scénariste


Journaliste :
L’observatoire du paysage existe. Pourquoi ce point de dĂ©part ?

John Lvoff :
Au dĂ©part, je voulais faire un documentaire, mais je n’ai jamais trouvĂ© le financement. Je suis Ă  une rĂ©union familiale en Russie. La maison d’un de mes ancĂȘtres y a Ă©tĂ© convertie en musĂ©e. Ce fut une grande charge Ă©motionnelle que cette visite d’un temps figĂ©. J’ai alors voulu crĂ©er une histoire autour de la notion de temps, en me posant la question de ces espaces – musĂ©es, qui sont peut ĂȘtre quand mĂȘme habitĂ©s.

J’ai aussi rencontrĂ© un photographe comme celui du film. Je voulais en quelque sorte matĂ©rialiser des fantĂŽmes, au travers des lieux, des gens ou de l’entourage. C’est la rencontre entre une jeune photographe et ce passĂ© qu’elle met en boĂźte, qui m’a permis cela. Car bizarrement, mon personnage a du mal Ă  aller de l’avant, et reprĂ©sente bien le fait que paradoxalement, parfois, la jeunesse est plus grave, et qu’il faut dans la vie, « apprendre Ă  sourire ».

Journaliste :
Dans le film, tout ce qui pourrait tirer l’hĂ©roĂŻne vers la vie (l’amant, l’amie), est finalement empli de tristesse. Pourquoi ?

John Lvoff :
Peut ĂȘtre que c’est un peu dans ma nature, dans ma façon de voir le monde. C’est comme la diffĂ©rence entre un optimiste et un pessimiste. Pour moi, il vaut mieux ĂȘtre pessimiste et ĂȘtre agrĂ©ablement surpris. Quand j’ai tournĂ© « La salle de bain », lors de la premiĂšre projection, le producteur a trouvĂ© qu’il s’agissait d’une comĂ©die, et le distributeur, d’une tragĂ©die. J’ai moi-mĂȘme une certaine propension Ă  la mĂ©lancolie, dont je tente de tirer un certain humour.

Au dĂ©but, mon personnage est assez renfermĂ©, elle est mal dans sa peau. J’ai un peu forcĂ© le trait, volontairement, car son Ă©panouissement est au final tout petit.

Journaliste :
Pourquoi avoir choisi Julie Depardieu pour incarner cette personne absente ?

John Lvoff :
J’avais dĂ©jĂ  travaillĂ© avec elle pour un tĂ©lĂ©film pour France 2. Je l’avais trouvĂ©e trĂšs spontanĂ©e. On a rarement Ă  lui dire beaucoup de choses. Et surtout elle est trĂšs brutale dans sa gĂ©nĂ©rositĂ©, son Ă©motion, ce qui fait qu’elle vous livre des moments Ă©blouissants.

Journaliste :
C’est Otar Iosseliani qui reprĂ©sente le photographe anglais sur la photo ?

John Lvoff :
Oui, c’est un peu un clin d’Ɠil Ă  ma productrice. Nous ne sommes que quatre rĂ©alisateurs dans son Ă©curie. Et Otar est l’un d’entre eux.

Journaliste :
Alors que les gestes sont rĂ©pĂ©titifs, il n’y a pas de routine dans votre film, lors des scĂšnes de prises de vues de la photographe.

John Lvoff :
L’appareil que vous voyez dans le film est en fait ma propre chambre. C’est un objet qui a diffĂ©rents aspects. Au dĂ©part je savais que la personne ne bougerait pas beaucoup, alors je voulais faire tourner la camĂ©ra autour. Mais finalement c’est l’utilisation de la panavision, avec une petite Ă©quipe de 7 personnes, qui a en quelque sorte dictĂ© la mise en scĂšne. On s’est concentrĂ© sur la force de l’enregistrement mĂ©canique, en observant la nature par plans fixes.

Journaliste :
Est-ce que vous aussi, vous ĂȘtes persuadĂ© que le technique donne plus de beau que l’artistique ?

John Lvoff :
La technique peut permettre l’oubli de soi. Pour ces photographes, il n’y a aucune surprise d’attendue, et pas de possibilitĂ© de contrĂŽle de la lumiĂšre. Ceci les contraint Ă  l’attente. L’humilitĂ© est forcĂ©e par la technique. En ce qui me concerne, j’ai plutĂŽt fait des films d’intĂ©rieur. C’était donc un dĂ©fi d’aller dehors. Mais en mĂȘme cela Ă©tait source de trop de libertĂ©, car Ă  l’intĂ©rieur les contraintes fortes imposent certains cadrages. Je crois que j’ai naturellement besoin de m’appuyer sur quelque chose.

Journaliste :
D’oĂč vient la phrase trĂšs juste : « les musĂ©es sont pleins de trĂ©sors que personne ne regarde » ?

John Lvoff :
Cela vient de Lyon, lors du tournage de « couples et amants » (1993) au MusĂ©e Gallo Romain. Le conservateur a souhaitĂ© me rencontrer, visiblement pour vĂ©rifier qu’il ne s’agissait pas du tournage d’un porno (rires). Il m’a expliquĂ© que lors de travaux e parking, il y a avait une commission qui dĂ©cidait de ce qui devait ĂȘtre conservĂ©. Et il a dit cette phrase lĂ , qui m’a obligĂ© Ă  relativiser la notion de valeur de patrimoine, et de temps. Toujours dans la logique du rĂ©pandu « c’était mieux avant ».

Journaliste :
Comment avez-vous choisi les lieux de tournage ?

John Lvoff :
Je connaissais ce petit village des Alpes de Haute Provence. Cela Ă©tait intĂ©ressant, car il y a une sorte d’imagerie inconsciente derriĂšre ce genre de lieux. Malheureusement, je vis en France depuis 1973, et j’avoue que les entrĂ©es de villes ressemblent de plus en plus Ă  l’AmĂ©rique


Journaliste :
D’oĂč est venue l’idĂ©e de la pratique du parachute ascensionnel ?

John Lvoff :
C’était une suggestion du scĂ©nariste. Il nous fallait un groupe joyeux pour contraster avec la photographe. L’accident n’était pas prĂ©vu au dĂ©part, mais l’idĂ©e me plaisait, qu’elle prenne une photo des derniers instants de vie de cet homme. Car dans certaines civilisation, la photo est un peu une petite mort, on croit qu’on vous prend votre Ăąme.

Journaliste :
Vous jouez beaucoup sur l’opposition citadin / rural dans ce film.

John Lvoff :
Mes films traitent souvent de l’individu face au groupe. De la question d’en faire partie ou pas. Julie est ici dĂ©placĂ©e, elle se trouve hors de son contexte personnel, et rĂ©crĂ©e son monde dans sa chambre. C’est le photographe en puissance : elle est lĂ , mais ne s’implique pas. Lors du tournage aussi, il fallait jouer le dĂ©calage. Je ne voulais pas de champs de lavande fleurie. Et aprĂšs 11 jours de tournage seuls avec Julie, elle ne rĂȘvait que de trottoirs et de mĂ©gots de cigarettes.

OB
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