INTERVIEW

ADIEU GARY

© StudioCanal

ADIEU GARY


Nassim Amaouche

réalisateur


Alors que Nassim Amaouche faisait halte à Lyon pour la promotion de son premier long-métrage « Adieu Gary », Grand prix de la Semaine internationale de la critique à Cannes 2009, il ne se doutait pas que son jeune acteur Yasmine Belmadi allait laisser sa vie quelques jours plus tard dans un accident de scooter. Nassim Amaouche le connaissait très bien, ayant déjà travaillé avec lui sur son précédent court-métrage. Extrait de cette interview qui aurait était totalement différente si elle avait eu lieu quelques jours plus tard.

Journaliste :
Pourquoi avoir choisi ce titre « Adieu Gary » ?

Nassim Amaouche :
Gary fait bien sûr référence à Gary Cooper, et ce qui m’intéressait c’était le mythe qu’il pouvait représenter dans l’époque de la post-crise de 1929 aux Etats-Unis. J’avais envie de ce vieux mythe en papier glacé.

Journaliste :
Le tout dans un décor de western…

Nassim Amaouche :
Effectivement, à partir du moment où j’ai décidé de jouer avec les codes du western, j’ai inscrit mes personnages dans un no man’s land, dans un univers de fiction, bien que je voulais que mon film soit ancré dans une réalité sociale.

Journaliste :
Vous aviez trouvé ce village avant l’écriture de votre scénario ?

Nassim Amaouche :
Non, j’ai écrit le scénario avant de repérer, et j’ai mis beaucoup de temps avant de trouver ce lieu et ensuite il est vrai que j’ai adapté un peu mon histoire… je me suis adapté à lui !

Journaliste :
Où est la barrière entre l’univers social et onirique ?

Nassim Amaouche :
Dès le départ je voulais absolument ces deux univers. D’un côté une vérité historique et sociale mêlée à une fiction, à un cinéma de genre.

Journaliste :
Et vous commencez dès le début du film avec un plan qui mêle les deux où on voit cette voiture sur ces rails…

Nassim Amaouche :
Oui dès le premier plan, je voulais imposer un ton qui soit empreint de poésie, d’onirisme. Et puis c’est une invitation au voyage.

Journaliste :
Et en même temps, les barrières sont toujours présentes… portes, barreaux, tunnel…

Nassim Amaouche :
Oui, mais tout ce que je viens de dire n’exclut pas cela. Je pense qu’effectivement il y a pas mal de frontières sociales, entre les hommes, entre les générations aussi, il y a aussi des barrières dans la communication, dans l’espace… Je pense qu’il y a beaucoup de frontières dans un espace unique et clos !

Journaliste :
Pouvez-vous nous parler du genre du western ? On ressent tellement votre amour pour ce genre-là.

Nassim Amaouche :
J’ai effectivement grandi avec la Dernière séance qui diffusait les grands westerns. J’adore les films de Sergio Leone, « Les sept mercenaires » [de John Sturges, ndlr]. Quand j’étais gamin, j’aimais particulièrement les westerns pour leurs histoires d’amitiés, de femmes et d’amour. Ce qui m’amuse dans le genre c’est qu’il permet d’être accessible à une grande partie de la population. Il fait tellement vibrer à travers sa part de spectacle mais en plus on peut faire passer des choses personnelles et sa vision du monde. Ça, ça m’intéresse : utiliser l’alibi du genre pour parler de choses personnelles. Mais quand je dis l’alibi du genre, ce n’est pas exactement cela, parce que la notion de spectacle est très importante pour un film, de tenir le spectateur par la main et de ne pas le lâcher. Hitchcock le faisait très bien et ce n’est pas pour cela que c’était un faiseur de blockbuster. C’était avant tout un auteur, et pourtant vous êtes pris du début à la fin dans tous ses films. Je pense donc revenir à des choses plus primaires, davantage que dans « Adieu Gary » d’ailleurs, parce que tout ce que je viens de dire ce n’est pas vraiment dans mon premier film !

Journaliste :
Dans « Adieu Gary » beaucoup d’histoires sont en effet suggérées, vous laissez le spectateur sentir les choses, il y a de très beaux silences…

Nassim Amaouche :
J’essaie, en effet, de laisser au spectateur une part d’imagination et de participation. Ça permet d’avoir plus de ressenti et de faire une belle place à l’émotion. C’est le cinéma que j’aime.

Journaliste :
Pour vous, quelle est la dimension politique et sociale de votre film ?

Nassim Amaouche :
Et pour vous, c’est laquelle ?

Journaliste :
Justement, il y a un paradoxe dans votre film avec un côté très réaliste, notamment avec la scène ouvrière et en même temps un côté très décalé et surréaliste. C’est une manière très inhabituelle de traiter des sujets politiques et sociaux.

Nassim Amaouche :
Moi ça m’amuse de mélanger ces deux aspects. Être dans l’onirisme et en même temps parler d’une réalité actuelle en traitant l’air de rien de choses qui me touchent.

Journaliste :
Pourtant, nous n’avons aucun repère temporel. Même les sujets que vous évoquez, comme la délocalisation d’une usine, pourraient être d’aujourd’hui ou plus anciens. Ce film pourrait très bien se passer il y a 10, 20 ou 50 ans.

Nassim Amaouche :
C’est volontaire de ne pas marquer temporellement l’époque pour laisser une part de légende et de conte à l’histoire, tout en parlant de choses très actuelles. La contradiction est intéressante. Et malheureusement je crois que ce dont je parle n’est pas éphémère, ce n’est pas né d’hier.

Journaliste :
Ce sont des choses qui parlent à nos parents et grands-parents.

Nassim Amaouche :
Voilà ! Et même peut-être à nos enfants !

Journaliste :
Pourriez-vous nous parler du choix des acteurs ?

Nassim Amaouche :
Ça m’amusait de mélanger différentes natures de comédiens, et de mélanger ceux qui ont de la bouteille avec ceux qui ont moins d’expérience. Jean-Pierre Bacri, pour sa part, est un des associés de la production. Il a donc très tôt été sur le projet. C’est vrai que quand j’écrivais, je pensais à lui et il a accepté le rôle quand je le lui ai proposé. Je crois qu’il était très content de le faire parce qu’il a beaucoup aimé le scénario. Dominique Reymond, qui est une grande comédienne, était notre premier choix. Pour Yasmine Belmadi, j’avais déjà tourné avec lui dans mon premier court-métrage et j’avais très envie de re-tourner avec lui, j’ai donc un peu écris le personnage pour lui. Et puis enfin Sabrina Ouazani, je l’avais vu dans « L’Esquive » où je la trouvais aussi talentueuse que Sara Forestier.

Journaliste :
Vous êtes originaire de Paris… Qu’est-ce que vous êtes venu faire en Ardèche ?

Nassim Amaouche :
C’était très difficile de trouver un décor. Je ne connaissais pas la région. Mais j’ai été très content de la découvrir.

Journaliste :
Vous avez vécu cette multiculturalité ? Dans votre film Jean-Pierre Bacri est père de deux enfants typé maghrébins.

Nassim Amaouche :
Oui pour moi, c’est la France dans laquelle j’ai grandi. Je suis né ici, mais j’ai des copains français de souche, portugais, maliens, turcs… Ma France elle est comme ça !

Journaliste :
Et vous pensez que la communauté religieuse peut remplacer le syndicalisme, comme on pourrait le voir à la fin de votre film ?

Nassim Amaouche :
Je pense qu’elle est sur la voie de la remplacer. Moi j’essaie de ne pas porter de jugement là-dessus, mais en tous cas je montre que la maison du peuple est clairement la Mosquée. Ça pourrait en effrayer certains, en satisfaire d’autres, et faire se poser des questions à autant d’autres. J’essaye de montrer cela comme quelque chose d’empirique. Je constate en tous cas, que dans certains quartiers populaires, on a plus d’échos quand on parle de Mahomet que de Karl Marx. C’est d’ailleurs aussi en ça que je pense que je parle d’une période actuelle.

Journaliste :
Comment avez-vous vécu ce prix reçu à Cannes ? Il s’agit en effet de votre premier long-métrage !

Nassim Amaouche :
C’est très satisfaisant de ressentir une reconnaissance ! Être présent dans un festival aussi prestigieux que Cannes, c’était déjà une reconnaissance et ensuite être primé ça fait très plaisir. Et puis si cela peut mettre une petite lumière supplémentaire sur le film dans le flot des sorties hebdomadaires, je serai très content !

Journaliste :
Quel regard portez-vous sur cette génération émergente de cinéastes d’origine nord-africaine comme les réalisateurs Rachid Bouchareb, Abdelatif Kechiche…

Nassim Amaouche :
C’est un cinéma français qui prend en compte la diversité de sa population. C’est peut-être ça qui le rend plus dynamique, plus hétérogène et plus fidèle à la réalité de sa composition sociologique. Donc en fait j’ai tendance à ne pas fragmenter Bouchareb, Kechiche et les autres. Je dirai que le minimum de respect à nous accorder c’est de nous faire naturellement rentré dans le cinéma français et dans son histoire. Moi en tous cas j’ai envie d’appartenir à l’histoire du cinéma français. Je crois que ces gens-là en font d’ailleurs partie. Et si le cinéma français est dynamique c’est grâce à sa diversité. Mais moi, je me sens plus proche de Pialat que de Bouchareb.

Mathieu Payan
Partager cet article sur Facebook Twitter