INTERVIEW

RICKY

© Le Pacte

RICKY


François Ozon et Alexandra Lamy

réalisateur et actrice


Les parents Ozon et Lamy sont tombés d’accord pour la garde partagée de Ricky. Nous les avons donc rencontrés séparément pour évoquer la réalisation du nouveau film de l’auteur de « Sous le sable » et « 8 femmes ».

Rencontre avec la comédienne Alexandra Lamy, la maman de « Ricky » !

Qu’est-ce qui a fait que François Ozon ait eu envie de travailler avec vous ? Vous avez des univers pourtant très différents…

Nous avons des univers différents au cinéma. Côté théâtre, j’ai joué plusieurs rôles dramatiques. Pour « Ricky », François m’a fait passer des essais. J’étais extrêmement surprise qu’il pense à moi. J’ai commencé par hésiter mais mon agent m’a hurlé dessus en disant « Non mais ça va pas, pour une fois qu’on te donne une chance de jouer dans un autre registre au cinéma, va passer les essais ! ». Les essais concernaient la première scène du film. Comme j’étais sûre de ne pas avoir le rôle j’étais très détendue ! Et puis j’ai senti que François était assez intéressé, parce qu’il commençait à s’amuser à me diriger, à me faire jouer la scène sur d’autres registres pour voir si j’étais malléable… Quand on m’a appelé pour me revoir, là j’avais plus le trac, parce que mon agent m’a confié qu’on était au final très peu, peut-être deux. Et puis l’aventure a commencé.

Vous abandonnez le glamour pour « Ricky », comment l’avez-vous vécu ?

Bizarrement, assez facilement ! Certes, je me maquille pour la promo du film, mais généralement je ne me maquille pas. Mais vous savez, je viens d’un monde rural. Je viens des Cévennes en Ardèche. J’étais gardienne de chèvre quand j’étais jeune, alors le maquillage pour les chèvres, c’est plutôt rare ! [rires] C’est donc un monde que je connais bien et je crois que mon côté « nature » a dû plaire à François. Donc ça ne m’a pas du tout dérangé !

Et vous dévoiler physiquement ?

Alors ça, c’est autre chose ! [rires] Ça a d’ailleurs beaucoup amusé François qui me trouvait très pudique. Je trouve dommage qu’on mette aussi vite les filles toutes nues pour pas grand-chose, cela perd en séduction. J’ai donc négocié avec François pour que certaines scènes n’y soient pas ! Mais ça l’amusait beaucoup de me dire « Allez, on va mettre Alexandra toute nue ! Comme elle est contente ! ». Il a été super, il m’a mise à l’aise, il constituait une équipe réduite et surtout, il m’a montré dans quel cadre ces scènes s’intégraient.

Comment s’est passé le tournage avec le bébé ?

Il a fallu qu’on s’adapte complètement à lui. Ce qui est difficile pour un comédien, c’est qu’il doit toujours être juste ! On va toujours privilégier l’enfant, du coup on est obligé d’être extrêmement concentré avec le bébé. Parfois on a eu recours à des astuces terribles. Quand il fallait que le bébé pleure, on lui montrait le biberon de loin ! Le plus drôle, c’est que c’était la mère qui venait me rassurer en me disant « Mais non, ne t’inquiètes pas, il n’a pas de mémoire, il ne s’en rappellera pas ! » Et moi, je me disais « Si, je suis sûre que plus tard quand il me verra sur une affiche, il dira "Ah celle-là je la déteste !" »

Qu’est-ce qui vous a davantage motivé à participer au film ? Votre rôle ? François Ozon ?

C’est l’histoire. Quand j’ai lu le scénario, j’ai trouvé un beau rôle de femme mais aussi et surtout une très belle histoire. Je suis très contente de défendre ce film parce que je le trouve extrêmement original et surprenant. A sa vision, j’ai aussi découvert plein de thèmes que je n’avais pas décelés, comme l’étude du milieu social dans lequel vit la famille, l’arrivée d’un homme et la formation d’une nouvelle famille où ça ne se passe pas si bien que ça… Ce que je trouvais très intéressant, c’est que François avait amené de la fiction dans un contexte très réaliste et très ordinaire. On n’a pas l’habitude de voir ces deux genres mélangés. C’est extrêmement dérangeant ! En revanche, le film a été projeté à des parents et leurs enfants et ces derniers ont tous été scotchés, on n’entendait personne broncher pendant la projection ! Ma fille, elle, me posait des questions comme « Mais pourquoi tu as lâché la ficelle ? Mais enfin qu’est-ce que tu as fait ? Tu aurais dû le récupérer ! » [rires] A cet âge-là, les enfants aiment qu’on leur raconte des histoires et ils rentrent dedans rapidement. C’était donc très surprenant, je ne m’attendais pas à ces réactions.

Avez-vous vu en « Ricky », l’opportunité d’être révélée par son réalisateur, François Ozon, l’homme qui dévoile les actrices plus vite que son ombre ?

Je ne veux jamais penser à ça, parce que je ne veux pas me mettre d’espoir ! Je me dis « Je verrais »… Je continue à développer mes propres projets, j’écris, je travaille à la réalisation… et j’espère aussi, qu’on pensera à moi pour d’autres rôles ! Surtout, ce qui m’a fait plaisir, c’est qu’on m’ait laissé la chance d’accéder aux essais.

Rencontre avec le réalisateur François Ozon, le père spirituel de « Ricky » !

Sur ce film, vous mélangez les genres et vous allez l’air d’aimer ça !

Ce qui m’intéressait dans la nouvelle dont est tiré le film, c’est que dans un milieu réaliste, pauvre, un événement incroyable, fantastique et merveilleux venait changer la nature des rapports entre les personnages et le rapport à la réalité. Souvent, dans mes films, un des personnages a besoin d’un imaginaire fort pour survivre face à une situation difficile. Dans « Ricky », il y a cette mère qui, face à la dureté de sa situation au départ, trouvera à travers la venue d’un enfant différent une certaine richesse et une place dans la société et son cocon familial.

Dans cette famille, il y a le personnage de la sœur qui est impressionnant d’ambiguïté !

J’avais envie de jouer avec les codes du film fantastique et les enfants sont toujours des petits monstres en puissance. On sent qu’avec sa maman, la petite forme un vrai couple, c’est notamment elle qui réveille sa mère ! Elle est ambiguë parce qu’elle est contente d’avoir un petit frère et d’avoir un nouveau père potentiel, mais les choses ne sont jamais toutes blanches ou toutes noires. J’avais envie d’un regard parfois tendre et parfois inquiet sur la petite fille. Dans la scène où elle prend les ciseaux pour couper les ailes, on peut se dire qu’elle le fait pour le bien du bébé ou qu’elle est quelque part sadique de couper un membre à son petit frère.

La famille semble avoir pris de l’essor par rapport au livre original…

La nouvelle fait 12 pages. Je suis tombé dessus par hasard. Le titre était « Léger comme l’air ». Quand je l’ai lu, je me suis dit « C’est incroyable, si j’avais été producteur, je serai immédiatement allé voir Walt Disney ou les Frères Dardenne ». L’histoire se passait aux USA au sein d’une petite famille de blancs vivant dans une pauvre caravane où un bébé arrive avec ses ailes. L’histoire m’a plue mais je me suis demandé comment j’allais la raconter. Et puis j’ai compris comment l’aborder quand j’ai analysé que ce qui m’intéressait n’était pas tant cette histoire fantastique, que cette famille elle-même. J’ai alors développé tout un pan de l’histoire autour de la place de chacun au sein d’une famille et comment chacun y trouve sa place.

Pourquoi Alexandra Lamy ?

Je la trouvais très bonne dans la comédie, et en général, quand elles sont bonnes dans ce registre, elles sont bonnes dans autre chose. A la base, je cherchais soit une actrice inconnue qu’on découvre complètement, soit une actrice connue mais qu’il fallait suffisamment populaire, dans le sens social du terme, pour qu’on croit tout de suite à elle en usine. Avec Alexandra, sans maquillage, brute, et en la faisant jouer dans un registre dramatique, j’avais cette sensation de vérité tout de suite.

Comment s’est passé le casting du bébé ?

J’ai compris que quand on fait un casting de bébé, on fait aussi un casting de parents. La maman était très importante parce qu’il est arrivé que je prenne un bébé et que je voie la mère complètement terrifiée, alors imaginez-la quand son enfant sera à 20 mètres, attaché à une grue ! Le hasard a fait que la maman de notre Ricky est hôtesse de l’air. Elle était tout le temps sur le tournage, que nous avons organisé en fonction du rythme biologique du bébé, de ses biberons, de ses siestes… J’ai vu le bébé, prénommé Arthur, à 6 mois et on a tourné sur sept semaines.

Le thème de la différence est abordé de manière originale, puisqu’il vient du point de vue de l’entourage…

J’étais intéressé de parler de la différence comme une forme de richesse. Au début, cette différence peut apparaître comme quelque chose de monstrueux et je souhaitais montrer que dans les yeux d’une mère son enfant reste toujours son enfant, qu’il soit handicapé, trisomique ou autre. J’avais aussi envie de montrer la richesse au sens propre comme figuré. Ainsi, cette mère va s’instruire, sa vie va changer, s’enrichir émotionellement et parallèlement elle aura aussi accès à la richesse et à la célébrité avec les médias. J’ai beaucoup pensé à « Elephant man » de David Lynch, qui est un film sur la différence, la monstruosité et le rapport au monde extérieur.

Quel est votre prochain projet ?

J’ai un nouveau film que je devrais commencer au printemps. C’est encore un portrait de femme qu’interprètera Isabelle Carré. C’est tout ce que je peux dire !

Vous avez cette passion du regard à travers les femmes. D’où cela vient-il ?

J’essaie seulement de leur donner de beaux rôles. Je pense que les actrices ont rarement des rôles intéressants et sont trop souvent cantonnées aux rôles de potiches. En général, je préfère les personnages féminins au cinéma parce que je les trouve plus complexes et intérieurement plus riches.

Êtes-vous sollicité par des comédiennes ?

Pas trop ! Je crois qu’elles ont compris qu’il ne servait à rien de forcer les choses. Je pense qu’Alexandra Lamy ne s’attendait pas à tourner avec moi, moi non plus d’ailleurs. Je n’ai pas d’a priori. Je crois que ce que doivent aimer les actrices c’est qu’elles se disent « On a toutes notre chance, un jour peut-être ».

Mathieu Payan
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