© Le Pacte
réalisateur
Journaliste :
Pourquoi faîtes-vous du cinéma ?
Amat Escalante :
Je ne sais pas exactement pourquoi, dans ma famille il y a des peintres, des musiciens, mais moi aucune de ces choses ne m’intéressait. Par contre le cinéma était pour moi la manière la plus adéquate d’exprimer ce qui me gêne, ce qui me choque. Pour moi c’est la meilleure façon de communiquer tout ce que je ressent, c’est ma façon de dire ce que j’aime et comme j’aime.
Journaliste :
Mais ce que vous exprimez est une vision très pessimiste de la société contemporaine.
Amat Escalante :
Peut être ! Je suppose que c’est l’art que j’aime. J’exprime ainsi les choses que j’ai besoin de faire sortir. C’est un peu comme les rebuts, je pense à tout ce qu’on doit jeter, l’art c’est aussi ça pour moi. Je n’ai pas d’explication rationnelle, je ne l’ai pas fait exprès, car mes deux films ont été très instinctifs.
Journaliste :
Mais il me semble quand même que dans ce film là et comme dans “Sangre” il y a une espèce de fascination pour une humanité qui est vidée de sens, qui ne sait plus à quoi elle sert ?
Amat Escalante :
C’est la peur que j’ai face à la vie. “Sangre” est venu car je me sentais inutile en regardant la télévision. Comme beaucoup de gens assis sur leur canapé, j’étais impuissant, je ne pouvais rien faire en voyant la guerre sur l’écran. Avec “Los Bastardos”, c’est à peu près la même chose, le sofa est toujours aussi important.
Journaliste :
Vous ne trouvez pas ambigu la violence qui surgit dans la vie de cette femme qui ne parle même pas à son fils et qui tout d’un coup vit quelque chose de très fort avec ces deux hommes qui la retiennent en otage, comme si c’était la violence qui amenait quelque chose dans sa vie.
Amat Escalante :
Même avant de faire le film, je cherchais cette ambiguïté. Personnellement, je ne crois pas aux frontières. Idéalement, j’aimerais que le monde n’en ait pas. J’ai voulu créer une rupture avec les idées qu’ont les gens autour de ça, comme si la violence était d’un côté et pas de l’autre. En montrant le vide de la relation entre la mère et son fils, je n’avais pas l’intention de représenter la société américaine mais simplement de représenter quelque chose qui m’est familier, une situation banale que j’ai vécue adolescent. De même que je ne veux pas dire que la société mexicaine soit représentée par ces deux mexicains.
Journaliste :
En même temps, il y a bien une réflexion sur l’immigration, les inégalités sociales, la pauvreté, l’exclusion.
Amat Escalante :
Ma mère est nord-américaine, mon père est mexicain et il a traversé clandestinement la frontière avant ma naissance et c’est quelque chose qui m’a toujours touché. J’ai vécu la moitié de ma vie aux Etats-Unis et l’autre au Mexique. Et j’ai voulu exprimer mes sentiments sur ce thème à travers le cinéma.
Journaliste :
Ce qu’on ressent bien dans le film c’est l’humiliation des travailleurs clandestins par les nord-américains. Est ce votre père qui vous a raconté cela ?
Amat Escalante :
Non c’est plutôt par expérience personnelle. Quand j’avais 15-16 ans j’ai travaillé dans un fast-food au Texas et là j’ai rencontré beaucoup de mexicains, des clandestins. Un de mes meilleurs amis, qui est parti clandestinement aux Etats-Unis, m’a raconté des expériences de situations vraiment extrêmes, aussi drôles que tristes, parce que les migrants dans n’importe quel pays se trouvent toujours dans une situation extrême et ça c’est un sujet qui se prête très facilement au traitement cinématographique. Il y a beaucoup de films sur ce sujet et moi je voulais aller contre cette idée que les émigrants soient toujours les victimes.
Journaliste :
Vous avez été l’assistant de Carlos Reygadas. Quels sont les liens que vous avez avec lui ? Vous sentez-vous proche de son cinéma ?
Amat Escalante :
J’ai vu “Jàpon” et j’ai été très ému de voir qu’on pouvait faire des choses aussi intéressantes au Mexique. Jusqu’ici je n’avais été touché que par des réalisateurs mexicains d’une autre époque ou par des réalisateurs étrangers. J’ai écrit à Carlos Reygalas sans le connaître pour lui dire que j’avais beaucoup aimé son film et que j’allais faire “Sangre”. Il m’a répondu et notre relation a commencé comme ça. Des mois plus tard je lui ai montré mon court-métrage. Cela lui a plu et il m’a embauché comme assistant réalisateur pour son film “Batalla en el cielo”. Sur ce film j’ai rencontré sa société de production qui, avec Carlos Reygadas, m’ont beaucoup aidé à produire mon premier film.
Journaliste :
Quels sont les autres grands réalisateurs qui vous ont marqué ?
Amat Escalante :
Werner Herzog, Luis Bunuel, Stanley Kubrick, et James Benning qui fait un cinéma très expérimental.
Journaliste :
Tous ces gens font un cinéma très différent du vôtre !
Amat Escalante :
Je veux aussi faire un cinéma très différent à chaque film, mais c’est difficile car au final je me rends compte que c’est presque la même chose.
Journaliste :
Comment expliquez-vous ce renouveau du cinéma mexicain ?
Amat Escalante :
Je pense que cela a à voir avec la façon dont les mexicains ont abordé le monde ces dernières années. De plus j’ai l’impression que par moments certains pays bénéficient de l’attention de plusieurs festivals et du coup, de l’extérieur on a l’impression qu’il se passe plus de choses qu’il ne s’en passe réellement. Cela s’est déjà produit pour l’Iran, le Brésil et l’Argentine.
Journaliste :
Mais n’y a t-il pas eu au Mexique une volonté politique du gouvernement de soutenir et d’aider le cinéma mexicain ?
Amat Escalante :
Oui effectivement, et c’est grâce à ses aides que j’ai pu réaliser “Los Bastardos” plus facilement. 10% des impôts des entreprises sont reversés actuellement pour le cinéma. Malheureusement cette loi est très faible et risque d’être abolie à n’importe quel moment.
Journaliste :
Quels sont vos projets ?
Amat Escalante :
Comme 9 autres réalisateurs mexicains, je travaille à un court métrage de 10 minutes pour un film sur la révolution mexicaine car en 2010 c’est le centenaire. Puis je travaille à mon prochain long métrage, mais à ce stade je me sens vulnérable de dévoiler mon projet. La seule chose que je peux dire c’est que ça se passera au Mexique.
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