INTERVIEW

UN BARRAGE CONTRE LE PACIFIQUE

© Diaphana Films

UN BARRAGE CONTRE LE PACIFIQUE


Michel Fessler

scénariste


Un destin tout tracé
Concernant sa connaissance du livre de Marguerite Duras et son arrivée sur le projet, Michel Fessler nous confie : « Je suis un très grand lecteur de Marguerite Duras. Jamais je n’aurais imaginé un jour adapter « Le barrage contre le Pacifique ». Cela m’aurait d’ailleurs fait très peur de me confronter à cette œuvre qui, pour moi, est immense et universelle. En plus Marguerite Duras est une femme de cinéma, elle a déjà réécrit son œuvre avec une caméra. Il a fallu ici tout le désir d’un metteur en scène qui cherchait un scénariste de fiction pour adapter « Le barrage… » et ma productrice m’a présenté à Rithy Panh parce qu’elle savait que je connaissais l’Indochine, que j’avais voyagé au Viêt-Nam et que, étant fils de militaire, j’avais grandi en Centre-afrique jusqu’à l’âge de 12 ans. J’avais ce rapport au colonial. »

Un peu d’eux dans le Barrage
A propos de son travail avec le réalisateur, Michel Fessler observe : « Nous avons confrontés nos deux regards : d’un côté Rithy, qui est Cambodgien et qui a un œil plutôt du pays et de l’autre côté mon œil plutôt « blanc » pour caricaturer. Cela a permis de construire ce barrage sensible et de dessiner les personnages du film. En plus Rithy a un lourd passé dans son pays, il a vécu l’enfer Khmer Rouge. Cette femme qui se bat contre les océans et qui devient folle en voulant arrêter le Pacifique, cette femme qui se bat contre les injustices pour préserver les terres aux paysans a émerveillé et touché Rithy. »

Une œuvre incroyablement universelle
Quand on lui parle de l’histoire et du combat que cette femme a mené, Michel Fessler revient à l’essence même de l’œuvre : « Il y a tout dans ce livre : le sexe, l’argent, la maladie, la mort, la folie, la pauvreté, la misère, la justice… C’est un livre qui a été traduit dans le monde entier. C’est un livre qui touche. Et qui qu’on soit, d’où qu’on soit, de quelle culture qu’on soit, les gens comprennent. C’est en cela qu’il est universel. »

Adaptation(s)
Revenant sur la première adaptation cinématographique du « Barrage contre le Pacifique », par René Clément, Michel Fessler nous révèle : « Je n’ai pas voulu voir ce film en l’écrivant, car je ne voulais pas que mon imaginaire soit fixé sur l’œuvre d’un autre cinéaste. Je m’en suis donc bien gardé ! Mais l’univers de Duras est déjà très présent au cinéma. Elle en a d’ailleurs fait, bien après. Il y a eu aussi Jean-Jacques Annaud qui a réalisé « L’amant » et dont le roman est un écho au « Barrage contre le Pacifique ». On prend bien sûr en compte tout ce qui a été fait. Ça fait beaucoup de choses, beaucoup de points de vue et Rithy Panh, avec le sien, prenait à cœur de revenir sur sa terre et de parler de cette femme qui devait lui rappeler sa propre mère, morte aussi de fatigue, et qui cherchait par tous les moyens à nourrir sa famille. »

Multiples réécritures
Pour Michel Fessler, la fidélité à la trame narrative du roman de Marguerite Duras est essentielle : « Je n’ai fait aucun changement profond de l’œuvre originale. Certes on a fait des coupes mais cela concerne principalement la ville de Saigon qui est absente du film, parce que c’est extrêmement cher de refaire Saigon dans les années 30, il n’y a bien que Jean-Jacques Annaud qui peut obtenir une reconstitution fidèle de Saigon à cette époque ! Le film fait déjà 1 h 55 et, au cours du montage, il y a des partis pris de rythme qui sont décidés par le cinéaste. Au fond, l’histoire est constamment réécrite ! Le scénariste écrit la véritable adaptation sur le papier, après c’est le cinéaste qui la réécrit avec la caméra pour au final être à nouveau réécrite avec le montage… mais ça reste toujours un processus d’écriture ! »

Rithy Panh, le documentariste
Une différence capitale entre le roman de Marguerite Duras et le film de Rithy Panh est la fin, qui dans le film nous transporte dans la vraie rizière d’aujourd’hui comme pour saluer le travail de cette femme qui, ici, n’apparaît pas vain contrairement au récit du livre. A ce sujet, Michel Fessler explique : « Rithy Panh est avant tout un documentariste attaché au réel. Ces rizières de la femme blanche, comme elles sont appelées, les paysans en parlent encore aujourd’hui ! Il joue avec la réalité. Il rend hommage à cette femme qui s’est battue contre l’injustice des terres volées aux paysans. Il a voulu montrer que ce film a un écho sur la réalité d’aujourd’hui, car en ce moment même, au Cambodge notamment, des paysans sont encore chassés de leurs terres par de grands groupes qui veulent construire des hôtels et qui assèchent les rizières… Et cette fin vient de sa puissance de metteur en scène de documentaires. »

Isabelle Huppert-classe
L’intérêt du film peut aller au-delà de ses origines Durassienne, puisque son casting est notamment composé de la grande dame du cinéma français, prochaine Présidente du festival de Cannes 2009 : Isabelle Huppert. Michel Fessler se souvient : « Huppert s’est imposée tout de suite aux yeux de Rithy Panh, puisqu’il m’a demandé d’écrire pour Isabelle Huppert. Isabelle donne dans le film une femme d’aujourd’hui, moderne. C’est une comédienne qui peut jouer en faisant presque rien tout en donnant beaucoup de sentiments. Son visage exprime des choses essentielles, avec un minimum de jeu. »

Le drame de la mère
Un sujet du roman et de la vie même de Marguerite Duras intéresse profondément Michel Fessler, c’est le personnage de la mère. Il analyse : « Je suis persuadé, mais c’est mon intime conviction, que le drame de la mère est devenu le lieu d’écriture de Marguerite Duras. C’est-à-dire qu’elle est rentrée dans la problématique de la mère et toute son œuvre est construite là-dessus. Il y a des lettres de Marie Donnadieu [la mère de Marguerite Duras, ndlr] dans le film : j’ai moi-même trouvé une lettre de Marie Donnadieu que j’utilise où elle disait « Monsieur le résident général… », et il existe une lettre écrite de sa mère fictionnée par Duras dans son roman et moi, j’ai utilisée les deux comme si la mère et la fille se répondaient par les lettres ! Et on voit bien dans l’écriture que le style de Marguerite Duras reprend le style de la mère et en fait quelque chose d’extrêmement fort et bouleversant. »

Mathieu Payan
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