© Diaphana Films
Une mère, veuve, survit tant bien que mal avec ses deux enfants, Joseph qui a fêté ses 20 ans et Suzanne qui va sur ses 17 ans, dans l'Indochine des années 30. Abusée par l'administration coloniale, à qui elle a achetée une exploitation en bord de mer de Chine, elle est victime chaque année de l'inondation de ses terres. Se battant contre les bureaucrates corrompus qui la menacent à présent d'expulsion, elle met toute son énergie dans un projet fou : construire un barrage avec l'aide des paysans du village. C'est alors que M. Jo, fils d'un riche homme d'affaires chinois, tombe sous le charme de Suzanne. Une chance peut-être pour la famille d'en tirer profit...
Rithy Panh, cambodgien rescapé des camps de travail des Khmers rouges (qu’il a fui en 1979), a vu dans le personnage de la mère du roman « Un barrage contre le pacifique », de Marguerite Duras, une combattante autour de laquelle gravitaient des thèmes aussi universels que l’amour et son contraire, la justice et son contraire, la liberté et son contraire, la vie et son contraire ! On comprend pourquoi le livre a déjà été porté à l’écran en 1958 par René Clément. Toutefois, « Un barrage contre le pacifique » a trouvé avec Rithy Panh et Michel Fessler, son co-scénariste, une adaptation beaucoup plus minutieuse, rendant plus fortement hommage à son auteur.
Ainsi, ce nouveau film nous plonge fidèlement dans l’ambiance coloniale de l’Indochine de l’époque. On comprend les différentes strates qui composaient cette société : l’administration corrompue au-dessus de toute humanité envers le peuple qu’elle vole et dépouille, les riches blancs qui faisaient fortune dans les grandes villes comme Saigon, les blancs plus pauvres, comme notre famille au cœur de l’histoire, et au bas de cette échelle, les paysans locaux, exploités et parfois rendus à l'état d'esclaves.
Le film, de ce côté, se montre franchement anti-colonialiste. Nous pourrions rapprocher de ce fait l’histoire personnelle qui a touchée le réalisateur, victime des Khmers rouges pendant son adolescence. Les scènes de maltraitance des populations locales dans « Un barrage contre le pacifique » sont ici comme un cri contre les maux de ce monde. Ce film, c’est donc également un combat. Cette mère de famille qui va se lancer dans le dernier combat de sa vie pour un peuple, pour sa famille, c’est un peu Rithy Panh qui se raconte dans son combat pour le souvenir du génocide cambodgien. Cette femme l’a touchée au plus profond et il tente de lui rendre hommage ainsi qu’à tous ceux qui luttent pour un monde plus juste.
Les personnages sont savamment authentiques, plein d’ambiguïtés, retors, et les comédiens incarnent parfaitement ces français fatigués de se battre contre l’impossible. Car comme Sisyphe qui doit constamment remonter le rocher qui tombe du haut de la colline, la mère et ses enfants sont victimes chaque année à la même époque des montées des eaux qui noient leurs cultures de riz. Isabelle Huppert est une force vive, proche des paysans, prête à les enrôler avec elle contre le cadastre, amoureusement attachée à son aîné tout en étant manipulatrice avec sa fille.
Gaspard Ulliel, le fils aîné, celui qui ne reste jamais en place, qui a toujours à faire, représente l’image du père absent de l’histoire, la force vive qui rêve de partir en ville. Il s’est magistralement transformé pour le rôle, devenant un homme, on avait oublié qu’il avait déjà 24 ans ! La jeune Astrid Berges-Frisbey, à l’image de Jane March dans « L’Amant » de Jean-Jacques Annaud, découvre les premiers émois avec délicatesse et sensualité, caractéristiques qu’elle représente merveilleusement bien. Le casting permet également, avec bonheur, de retrouver Stéphane Rideau (« Les roseaux sauvages ») perdu de vue au cinéma depuis maintenant quatre ans.
On pourra toutefois regretter que le film, dans sa deuxième partie, s’appuie trop longuement sur le diamant offert à la jeune sœur, qui devient un peu trop le centre des attentions de toute cette communauté, au détriment du rythme de l’histoire. On pourra aussi conseiller à Rithy Panh de demander à son compositeur attitré de choisir une musique davantage originale et non une partition classique qui a semblé rappeler à nos oreilles bien des films sur le même thème exotique. Mais peut-être était-ce une demande du réalisateur qui voulait que sa musique colle parfaitement au style du film : linéaire, sobre et calme.
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