© Warner Bros. France
réalisateur, acteur et productrice
JOURNALISTE : Au dĂ©part, lâidĂ©e du film est venue, je crois, de Benicio Del Toro...
BENICIO DEL TORO : Il y a quelques annĂ©es, Laura (Bickford) mâa parlĂ© de la biographie du Che Ă©crite par Peter Buchman, avec lâidĂ©e dâen faire un film. On y a rĂ©flĂ©chit, mais on est arrivĂ© Ă rien. Quelques annĂ©es plus tard, alors quâon travaillait sur "Traffic", Steven (Soderbergh) mâa demandĂ© oĂč nous en Ă©tions du projet...
STEVEN SODERBERGH : CâĂ©tait en 2000, et Ă cette Ă©poque je ne connaissais pas grand-chose du Che. Je savais quâil avait combattu aux cĂŽtĂ©s de Fidel Castro, je savais quâil Ă©tait mort jeune, mais jâignorais dans quelles conditions. Et je pense que la raison principale pour laquelle je me suis lancĂ© dans ce projet, câĂ©tait pour en apprendre plus moi-mĂȘme.
LAURA BICKFORD : Câest un peu la mĂȘme chose pour moi. Je savais que câĂ©tait ce type sur les t-shirt, le symbole de quelque chose de radical, et en mĂȘme temps de chic. Jâai donc voulu en savoir plus sur lui. Et je me suis rendue compte quâon allait y passer sept ans de notre vie, rencontrer des gens qui lâavaient connu, puisque lâavantage de la RĂ©volution Cubaine, câest que beaucoup de ses acteurs sont encore en vie... Contrairement Ă la RĂ©volution Française !
JOURNALISTE : Vous avez voulu en apprendre plus sur ce personnage, mais lâune des forces de ce projet, câest quâil ne sâagit pas vraiment dâun biopic, quâon ne sort pas de la projection des deux films en connaissant tout sur le Che. Quels Ă©cueils avez-vous sciemment Ă©vitĂ©s pour ne pas faire une biographie, dans le sens oĂč on lâentend habituellement ?
STEVEN SODERBERGH : On a commencĂ© le projet avec une liste de choses que lâon ne voulait pas faire. On ne voulait pas raconter lâentiĂšretĂ© de sa vie, câĂ©tait quelque chose qui pour nous ne pouvait pas fonctionner. On voulait prendre quelques moments prĂ©cis de sa vie et les raconter avec le maximum de dĂ©tails. On est donc partit Ă la recherche de moments de son histoire, des instants personnels, intimes, des scĂšnes oĂč le personnage apprend ou enseigne quelque chose. CâĂ©tait ces passages lĂ de sa vie dont nous avions besoin pour faire ce film. Ca nous a pris beaucoup de temps, il y avait Ă©normĂ©ment de matĂ©riel Ă analyser, de livres Ă lire. Nous voulions montrer des actions prĂ©cises du Che, et donner ainsi une explication Ă sa vie, Ă ses engagements.
BENICIO DEL TORO : Il y avait deux choses trĂšs importantes pour nous : que personne ne nous dise « cette scĂšne, ce passage nâest jamais arrivĂ© » et « pourquoi vous avez tournĂ© ce film en anglais ? ».
LAURA BICKFORD : Je dois dire que nous avons essayĂ© de faire le film le plus court possible, et il fait quatre heures. Dans notre envie de dĂ©tails, nous avons procĂ©dĂ© Ă lâenvers. Nous sommes partis de la façon dont il est mort, donc son action en Bolivie. Et pour comprendre cette action, pourquoi il avait fait ce sacrifice, il a fallut montrer son discours Ă New York, et donc ses combats prĂ©cĂ©dents, Ă Cuba aux cĂŽtĂ©s de Fidel Castro. Câest en remontant ainsi le temps que lâon a trouvĂ© comment raconter cette histoire.
JOURNALISTE : Jâai eu lâimpression, surtout dans le premiĂšre partie, que tout lâaspect nĂ©gatif du personnage avait Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©, et quâon se retrouvait donc avec un personnage fondamentalement bon, avec de vraies valeurs...
LAURA BICKFORD : Je ne suis pas dâaccord !
BENICIO DEL TORO : Quels aspects négatifs avons-nous pu oublier ?
JOURNALISTE : Jâai pu lire, par exemple, quâil Ă©tait extrĂȘmement sĂ©vĂšre avec ses hommes, quâil Ă©tait trĂšs dur avec ses adversaires, ses prisonniers...
STEVEN SODERBERGH : Je veux bien quâon en parle, mais... quels prisonniers ? Quand ?
BENICIO DEL TORO : Vous avez lu ses carnets de route en Bolivie ? Vous devriez ! Il explique quâil a fait beaucoup de prisonniers, mais quâil les a laissĂ© partir, lĂ ou vous et moi ne lâaurions pas fait... Mais vous savez, il ne jouait pas de la guitare, il faisait la guerre !
STEVEN SODERBERGH : Nous parlons des exĂ©cutions dans le film... Il y a une scĂšne, qui vous a peut-ĂȘtre Ă©chappĂ©e, quand il est assis Ă son bureau aprĂšs la prise de Santa Clara, oĂč lâun de ses hommes lui tend une feuille de papier. Il lui demande ce que câest. On lui explique quâon a arrĂȘtĂ© le chef de la police, cachĂ© dans une salle Ă©quipĂ©e pour la torture. Le Che dit « oui », et il signe. Vous savez ce quâil signe ? Câest un ordre dâexĂ©cution !
LAURA BICKFORD : Tout est dans le film, vous savez... Si vous considĂ©rez que le Che est un personnage malĂ©fique, vous nâaimerez pas le film. Si vous pensez, au contraire, que câest un personnage angĂ©lique, vous nâaimerez pas non plus.
JOURNALISTE : Mis Ă part quand il poignarde son cheval, dans la seconde partie, il ne semble pas avoir beaucoup de failles, alors quâil est censĂ© avoir signĂ© des centaines dâordres dâexĂ©cution, avoir crĂ©Ă© des camps de rĂ©Ă©ducation... Pourquoi ne pas avoir tentĂ© de dĂ©mystifier un peu le personnage ?
STEVEN SODERBERGH : Ce qui mâintĂ©ressait, câĂ©tait la guerre, le guerrier... Câest ce que je voulais montrer, donc...
LAURA BICKFORD : Je trouve que nous avons quand mĂȘme rĂ©ussit Ă faire un film complexe sur le personnage.
STEVEN SODERBERGH : Vous savez, aprĂšs les Ă©vĂšnements dĂ©cris dans le premier film, Ă deux reprises le Che a abandonnĂ© tout ce qui Ă©tait important pour lui, sa famille en particulier, pour partir faire la RĂ©volution auprĂšs de gens quâil ne connaissait pas, au Congo et au VĂ©nĂ©zuĂ©la... Et nous nous sommes basĂ©s sur tout ce quâon a pu lire, que ce soit pour ou contre le Che... Je ne voulais pas faire du Che un saint. Je ne suis pas latino... Vous avez vu le rĂ©sultat de toutes nos recherches.
LAURA BICKFORD : Je pense que ce sont les valeurs pour lesquelles il se battait qui nous ont poussĂ© Ă faire ce film... Il souhaitait Ă©duquer les gens, leur apporter la nourriture, et nous voulions montrer comment il sây prenait.
BENICIO DEL TORO : Vous savez, il croyait fermement Ă la peine de mort... Mais peut-ĂȘtre est-ce mon interprĂ©tation qui vous a donnĂ© cette interrogation. Et moi, je suis latino-amĂ©ricain ! Mais tout est basĂ© sur nos recherches, absolument tout. Vous devriez revoir le film !
JOURNALISTE : Nous parlons dâun film, mais ce que jâai vu, ce que le public verra, ce sont deux films bien distincts. Lâun est un film de victoire, lâautre un film dâĂ©chec. Au moment du tournage, lâavez-vous considĂ©rĂ© comme un seul film, ou deux, et cela a-t-il dĂ©terminĂ© la recherche dâun style bien prĂ©cis pour chaque partie ?
STEVEN SODERBERGH : DĂšs le dĂ©part, on a essayĂ© de concevoir les deux films en miroir, et le style du premier, filmĂ© en cinĂ©mascope et souvent en plans fixes trĂšs large, devait donner de lâespoir, puisque je pense que la plupart des gens savent que cette rĂ©volution a Ă©tĂ© gagnĂ©e. Le style du second film est, je lâespĂšre, destinĂ© Ă donner une impression de tension, dĂ©sagrĂ©able, oĂč lâavenir est toujours en doute, incertain. Ce nâest que vers la fin de la deuxiĂšme partie, que la camĂ©ra, finalement, se rapproche du Che, par lâemploi du 1:85 et de la camĂ©ra Ă lâĂ©paule, car je pense quâil est plus intĂ©ressant dâĂȘtre proche de quelquâun lorsquâil fait face Ă lâĂ©chec, que lorsquâil fait face Ă la victoire.
JOURNALISTE : Les films que nous avons vus ne sont pas exactement les mĂȘmes versions que celles prĂ©sentĂ©es au Festival de Cannes. Quâest-ce qui a changĂ© entre les deux projections ? Et nây a-t-il pas un paradoxe Ă modifier un film pour lequel un prix dâinterprĂ©tation a Ă©tĂ© reçu, mĂȘme si ça ne change rien au talent du comĂ©dien ?
STEVEN SODERBERGH : Jâai enlevĂ© six minutes de la premiĂšre heure du premier film, et cinq minutes de la premiĂšre heure du second film. Ce nâest pas inhabituel chez moi. AprĂšs la premiĂšre projection de "Sexe, mensonges et vidĂ©o" au Festival de Sundance, je suis immĂ©diatement retournĂ© Ă la table de montage pour couper quatre minutes. Pour le "Che", il me restait une semaine, aprĂšs Cannes, avant de rendre la copie au distributeur, et jâai donc profitĂ© de lâoccasion pour faire ces petites modifications. Mais les changements ne sont pas si importants... Quelquâun qui nâa pas aimĂ© le film la premiĂšre fois ne lâaimera toujours pas.
JOURNALISTE : Benicio, vous ĂȘtes dâorigine latino-amĂ©ricaine, et lâon sait que le Che est un mythe, une lĂ©gende, plus puissant dans le continent sud-amĂ©ricain quâen Europe ou Ă New York. Quels liens vous relient Ă ce personnage, depuis lâenfance ou lâadolescence, et votre regard sur lui a-t-il Ă©tĂ© changĂ© par ce rĂŽle et par le film ?
BENICIO DEL TORO : Jâai grandis Ă Porto Rico, qui est un territoire amĂ©ricain, et Ă lâĂ©cole nous ne parlions jamais du Che Guevara ou de la RĂ©volution Cubaine. Jâai entendu parler de Guevara, pour la premiĂšre fois, dans une chanson des Rolling Stones, et bien plus tard, Ă Mexico, jâai vu un portrait de lui, jâai achetĂ© un livre des lettres quâil avait Ă©crit Ă sa famille, Ă sa mĂšre, Ă sa tante, et câest comme ça que mon intĂ©rĂȘt pour lui Ă commencĂ©. Et petit Ă petit, je me suis renseignĂ© sur lui â câĂ©tait un trĂšs bon Ă©crivain â jusquâĂ ce que, dix ans plus tard, Laura mâapproche pour parler du film... Vous savez, Cuba et Porto Rico ont des histoires assez similaires : ils se sont battus contre le colonialisme espagnol, ont Ă©tĂ© envahis par les Etats-Unis, des mouvements sĂ©paratistes et rĂ©volutionnaires y ont Ă©mergĂ©s...
JOURNALISTE : Est-ce que le fait dâaborder un personnage, qui ne soit pas simplement un personnage, mais aussi une figure historique, un mythe rĂ©volutionnaire, une icĂŽne, requiert une prĂ©paration, une attention particuliĂšre ? Est-il difficile de se confronter Ă une image publique et dâessayer de lui donner corps ?
BENICIO DEL TORO : Oui, câest trĂšs difficile ! Je peux vous raconter quelque chose que Steven a vu, Ă ce propos, et je crois mĂȘme que câĂ©tait juste avant le tournage du film : vous savez, les acteurs ont toujours peur... et Steven a vu la peur sur mon visage, que jâĂ©tais prĂšs Ă tomber dans les pommes. Alors il mâa dit : « câest impossible de jouer ce rĂŽle, ou mĂȘme de faire un film sur lui. Essayons ! » Et deux semaines aprĂšs le dĂ©but du tournage, il a vu dans mes yeux le mĂȘme regard, alors il a dĂ©cidĂ© de me montrer un petit montage de ce que nous avions dĂ©jĂ filmĂ©... Ca ne mâa pas vraiment aidĂ© ! Alors oui, câĂ©tait difficile, mais bon, il faut avoir confiance, dans le travail accomplit, dans les autres acteurs, dans les techniciens.
JOURNALISTE : Comment avez-vous choisi les acteurs qui entourent Benicio Del Toro, notamment Joaquin de Almeida, qui joue le président de la Bolivie, ou Julia Ormond ? Et, surtout, était-il prévu dÚs le début que Matt Damon soit dans le film ?
STEVEN SODERBERGH : Le casting a pris beaucoup, beaucoup de temps, et a Ă©tĂ© trĂšs complexe, vu le grand nombre de rĂŽles parlants, et nous nâavions pas accĂšs Ă suffisamment de comĂ©diens cubains pour jouer tous les personnages cubains du film. Et Matt nous a rendu ce service : nous avions du mal Ă trouver un acteur pour son rĂŽle, et le moment du tournage de la scĂšne approchait, alors je lâai appelĂ© â je savais quâil parlait espagnol â et lui ai demandĂ© de mâaider.
JOURNALISTE : Avez-vous pensĂ©, durant toute la prĂ©paration et le tournage, que le film pouvait ĂȘtre montrĂ©, un jour, Ă Cuba ?
STEVEN SODERBERGH : Et bien, nous savons quâils ont un festival, et que peut-ĂȘtre ils aimeraient nous y inviter, mais vous savez, câest une situation assez compliquĂ©e. Nous voulons, bien sĂ»r, que la famille ait la possibilitĂ© de voir ce film, mais tout doit passer par les producteurs, qui sont français et espagnols.
LAURA BICKFORD : Ă chaque fois que lâon veut prĂ©senter un film Ă Cuba, il faut un permis. Nous avons Ă©tĂ© invitĂ©, mais nous attendons lâautorisation du gouvernement amĂ©ricain.
JOURNALISTE : Avez-vous rencontré les enfants du Che Guevara ? Et vous ont-ils proposé des points de vue particuliers pour le film ?
LAURA BICKFORD : Nous leur avons rendu visite de nombreuses fois...
STEVEN SODERBERGH : Oui, nous avons parlé à tout le monde, y compris à sa veuve.
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