INTERVIEW

BEUR SUR LA VILLE

© Paramount Pictures France

BEUR SUR LA VILLE


Djamel Bensalah, Booder, Issa Doumbia et Steven Tran

réalisateur et acteurs


Booder :
On attend le coup de sifflet, ou quoi ? (Rires)

Issa Doumbia :
Allez, je me lance. Bonjour, je m’appelle Issa Doumbia, j’ai 29 ans, et c’est mon premier film. (Rires)

Journaliste :
Et qu’est-ce que cela vous a fait, alors ?

Issa Doumbia :
Extrêmement plaisir ! Et si je devais recommencer, je le ferais sans hésiter. De la même façon. Parce que tout ce que j’ai vécu sur ce film, ça n’arrivera plus. Faire un premier film avec autant de comédiens, reconnus ou pas, et moi tout petit au milieu, ça ne se reproduira pas, en tout cas, pas tout de suite. C’était le premier film de carrière, alors, WHAOU !

Journaliste :
Et vous vous sentez comédien, comme vos partenaires ?

Issa Doumbia :
Pas exactement comme les autres, puisque j’arrive juste. J’ai moins d’expérience, mais je me sens comédien, c’est sûr.

Djamel Bensalah :
Et depuis, tu as enchaîné.

Issa Doumbia :
Oui, depuis j’ai fait un film avec Jean Reno et Michaël Youn…

Booder :
Quoi ?! Jean Reno ?! (Rires)

Issa Doumbia :
(Rires) Et Michaël Youn ! Et ça ne c’est pas passé de la même façon. J’avais moins de liberté, et l’ambiance n’était pas la même. Mais ça, c’est dû au réalisateur, pas aux autres comédiens.

Journaliste :
Et vous, Booder, ce n’était pas votre premier film, mais votre premier premier rôle. Qu’est-ce que cela vous a fait, quand Djamel Bensalah vous l’a proposé ?

Booder :
Djamel m’a appelé un jour, pour me demander de le rejoindre au restaurant. Il avait un truc à me dire. J’ai cru qu’il était en galère d’argent, qu’il ne pouvait pas payer son addition ! (Rires) Et quand je suis arrivé, il m’a dit qu’il avait écrit un truc, la veille au soir, avant de s’endormir. Et il m’a demandé de le lire, ça s’appelait « Captain Khalid », à l’époque. Je pensais que c’était un dessin animé, avec un titre pareil. Alors il m’a dit que ça parlait du premier discriminé positif dans la police, et que le rôle était pour moi. J’étais ému, bien sûr, et je suis devenu insomniaque pendant six mois ! Je me disais, « whaou, un premier rôle, si j’assure pas alors qu’il me fait confiance… » Après, pour le rôle, on a beaucoup travaillé en amont avec Djamel, on a fait beaucoup de lecture, donc il me suffisait d’être à l’heure pour le tournage.

Journaliste :
Où est-ce que le film a été tourné ?

Djamel Bensalah :
On a tourné en banlieue parisienne, surtout dans le 93. Et on en a fait une banlieue imaginaire, le 99 ! Le but de ce film, justement, est de proposer un fantasme de banlieue. Afin de réunir en un seul lieu tout ce qui constitue les banlieues existantes, et de pouvoir en rire, sans stigmatiser personne. Je dis toujours que je me presse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer. C’était ce que je voulais faire ici. Faire un film qui utilise les situations les plus anxiogènes de la société actuelle, et malgré tout d’en rire. Parce que la banlieue, ça ne fait pas rire. Donc ici tout est burlesque, tout est poussé à l’extrême, tout peut paraître faux. Alors que malheureusement, tout est vrai, mis à part le commissariat, qui a été construit en studio. De plus, le fait de travailler en banlieue nous a permis de faire bosser des gens qui venaient de cet endroit. C’était ma démarche. Leur donner une chance de travailler sur un film, les former pour. Car dans ce milieu, il n’y a pas de diversité au premier plan, mais également derrière la caméra, dans les coulisses. Et en donnant les premiers rôles à de jeunes comédiens, et les seconds rôles à des acteurs établis, je vais dans cette direction.

Journaliste :
Cette démarche, vous l’aviez depuis votre premier film, "Le Ciel, les oiseaux et ta mère"…

Djamel Bensalah :
C’était inconscient, à l’époque. Mais c’est mon expérience qui m’a emmené vers cette démarche. Tous mes films ont en commun de jeter des ponts entre les communautés, entre les gens. D’où qu’ils viennent. J’ai ce souci permanent de l’échange.

Journaliste :
En regard de votre filmographie, je trouve qu’il manque à ce film cet aspect poétique, fantaisiste, que l’on retrouvait dans vos précédents métrages.

Djamel Bensalah :
En fait, la problématique à laquelle je suis confronté, lorsque je fais un film comme "Beur sur la ville", concerne la dureté du propos que je suis en train d’aborder. Les thèmes traités sont ici plus durs que d’habitude. Je veux dire, personne ne vous a fait entrer dans une mosquée, avec des burqua, dans le cinéma français actuel. Personne ne raconte l’Islam de cette manière. Un serial-killer musulman qui assassine des femmes les vendredi soirs, ça impose quelque chose de moins fantaisiste. La fantaisie, elle est pour moi dans le fait d’avoir voulu introduire un polar dans une comédie. Avec un sujet pareil, on marche sur des œufs pour faire quelque chose de léger. Après, je pense que la poésie est amenée par les personnages, par Booder, par Steve, par Issa. Le décalage se trouve là. Mais si le film est moins mignon que d’habitude, c’est parce que le thème est moins léger. La fantaisie, elle est dans le fait d’avoir créer un monde imaginaire. D’être dans une bédé. Je déteste les bédés, mais pour moi ce film en est une.

Journaliste :
Parlons un peu du casting, qui est selon moi la vraie force du film, que ce soit dans les trois rôles principaux ou tous les personnages secondaires, qu’ils soient des rôles importants comme Josiane Balasko ou Jean-Claude Van Damme, ou des caméos comme Valérie Lemercier. Avez-vous écrit les rôles en pensant aux acteurs, ou les avez-vous choisis après coup ?

Djamel Bensalah :
Concernant Valérie Lemercier, ce n’est pas un simple caméo, même si elle n’apparaît que quelques secondes. Elle est considérée, souvent, par les magazines féminins, comme l’une des femmes les plus élégantes de France, et ça m’amusait beaucoup de mettre cette femme en burqua ! (Rires) Pour Sandrine Kiberlain, j’ai eu beaucoup de chance. Je ne pensais pas qu’elle puisse accepter l’idée de venir se confronter à…

Journaliste :
De se faire casser la figure ? (Rires)

Djamel Bensalah :
Plusieurs fois même (Rires). Non, mais venir se confronter à un univers qui n’est, à priori, pas le sien, à un casting comme celui-ci. Je me demandais si elle le voudrait. Et tout le monde a été partant dès la lecture du scénario.

Booder :
Il faut retenir aussi le fait que ces gens-là n’ont peut-être pas connu le milieu qui est décrit. Et pourtant, ils ont été touchés par l’histoire, par les personnages.

Journaliste :
Concernant Jean-Claude Van Damme, j’imagine que cela vous a fait quelque chose de vous retrouver tous les trois face à lui.

Booder :
JCVD ! C’est un mec super gentil.

Issa Doumbia :
Ce qui était drôle, c’est que c’était lui qui était intimidé. Nous on est arrivé en se disant « On va tourner avec Van Damme ! On va tourner avec Van Damme ! » Et en fait c’est lui qui était tout timide. Et au fur et à mesure de la journée, il se détendait doucement, jusqu’à participer à notre délire avec bonne humeur !

Steve Tran :
On a même partagé des sushis, par terre, avec Van Damme ! (Rires) J’ai rendu fou Djamel pendant le tournage. Vous savez, comme les enfants qui demandent tout le temps « On arrive quand, papa, on arrive quand ? » Moi je lui demandais tout le temps « Il arrive quand ? Il arrive quand, Jean-Claude ? Jean-Claude, il arrive quand ? » (Rires)

Booder :
On n’a pas connu Bruce Lee, nous. Jean-Claude s’est un peu notre Bruce Lee à nous.

Issa Doumbia :
Ouais, entre les prises, je lui demandais de me taper ! Et je peux dire à mes potes : « Je me suis fais taper par Jean-Claude Van Damme ! » (Rires)

Djamel Bensalah :
Pour finir, je voudrais revenir sur quelque chose. Il est très difficile de dissocier le contenu, non pas politique, mais social, de l’envie de faire du cinéma. Pour moi, il est impossible aujourd’hui de faire du cinéma sans avoir cette envie de désanctualiser certains endroits, de sortir de leurs ghettos certaines personnes. Je ne me sentirais pas à l’aise de ne pas travailler sur cette société française. Je n’arriverais pas à faire un film totalement déconnecté des problématiques d’intégration et d’échange. Parce que je trouve qu’il y a trop de problèmes. Je ne ferais pas de politique, mais je fais du cinéma. J’ai l’impression depuis quelque temps de faire un cinéma du chaînon manquant. C’est-à-dire que quand j’étais jeune, je trouvais les histoires proches de moi dans le cinéma américain. Parce que le cinéma français ne m’offrait pas cette proximité. Et j’essaie aujourd’hui de combler ce vide, de raconter des gens qui n’existent pas au cinéma. Ma société s’appelle Miroir magique, parce que je pense que le cinéma, c’est la vie en mieux.

Propos recueillis spar Frédéric Wullschleger
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