SÉRIE

LOIN DE CHEZ NOUS

LOIN DE CHEZ NOUS

série créée par Fred Scotlande

avec Fred Scotlande, Charlie Bruneau, Olivier Charasson, Gwendolyn Gourvenec, Grégory Montel, Arthur Defays, Fabrice Scott, Sébastien Lalanne…

PREMIÈRE DIFFUSION: 2016 DIFFUSÉE SUR: France 4 SITE OFFICIEL

Une journaliste arrive en Afghanistan pour couvrir le retrait des troupes françaises. Elle s’aperçoit rapidement que sa présence en dérange plus d’un et que son travail ne va pas être facilité…



Un bijou qui gagne à être connu !


Rares sont les productions françaises (au cinéma comme à la télévision) à s’emparer de l’histoire très contemporaine. "Loin de chez nous" est de celles-là et propose un regard original et décalé sur la récente guerre en Afghanistan, en laissant de côtés les scènes spectaculaires au profit d’autres aspects plus intimes et plus exceptionnellement abordés. Ainsi, cette série de CALT Production ("Kaamelott", "Caméra Café", "Hero Corp", "Soda"…) se concentre surtout sur la vie des soldats dans leur base ou sur leurs relations avec la population locale. Les quelques scènes d’action sont rapidement expédiées et privilégient le hors-champ. Une question de budget sans doute, mais aussi, indéniablement, une question de point de vue.

L’angle choisi favorise le pas de côté, avec un humour souvent inattendu (voir par exemple la scène hilarante du lipdub à la fin du premier épisode), avec une mise en musique parfois surprenante ("Parlez-moi d’amour"), ou encore avec une vraie poésie dans le traitement esthétique de certaines scènes (comme ce moment où les « Chats noirs », dans le premier épisode, exaucent le vœu post mortem d’un des leurs).

La série tourne en dérision la « beaufitude » des hommes et le stéréotype des soldats ignares, questionnant régulièrement la place des femmes au sein de l’armée avec des approches variées : les règles, les douches mixtes, les blagues sexistes, le « padre » (aumônier) dragueur…

Le ton globalement humoristique (choix potentiellement casse-gueule pour un tel sujet – qui peut faire penser au mythique "MASH") n’empêche pas des scènes dramatiques et émouvantes, notamment lorsque la série évoque le sort des populations afghanes ou lorsqu’elle s’attarde sur les visages des personnages pour nous montrer leurs doutes ou leur souffrance psychologique, en étant alors plus avare de mots pour éviter de surligner davantage le propos, suffisamment palpable dans le langage non verbal ou dans la mise en scène. Il y a aussi des moments étonnants, comme lorsque le traducteur pachtou explique qu’un Afghan peut deviner qu’une femme est jolie sous son tchador, grâce à sa silhouette et à sa démarche. Avec de telles scènes, le regard du spectateur change, s’éloigne des clichés que les médias, les réseaux sociaux ou les politiciens vomissent à longueur de temps…

L’histoire peut également faire preuve d’un peu de cynisme sur la politique et la guerre ou poser des questions qui dérangent, comme avec cette réplique piquante du troisième épisode : « Nous les Occidentaux, on est devenus trop sensibles, trop humanistes pour gagner une guerre ». Au final, tout – même les moqueries – sert à montrer que le vécu des soldats est forcément hors du temps et de la réalité. Dès le départ, le ton est d’ailleurs donné (l’archive du discours de Hollande annonçant le retrait des troupes françaises et la mort d’un soldat en parallèle) : l’histoire est bel et bien ancrée dans une réalité rude et délicate. Il faut dire que le créateur de la série, Fred Scotlande (qui en est aussi le réalisateur et l’un des acteurs principaux), sait de quoi il parle puisqu’il a lui-même servi dans l’armée française, ce qui explique sans doute la réussite de ce mélange détonnant de tonalités et de cette vision profondément humaine des soldats (on n’est jamais dans le jugement hâtif ni dans la basse moquerie).

La série n’est pas exempte de défauts : des répliques pas toujours intelligibles pour certains acteurs ; ou un décor parfois un peu trop minimaliste, avec des effets spéciaux un peu trop voyants (ceci dit, comme il n’y a pas de souci de réalisme pur et dur, l’esthétique reste pertinente). Mais on pardonne facilement ces imperfections car "Loin de chez nous" est un véritable OVNI au milieu de productions télévisuelles françaises qui manquent trop souvent d’ambition ou d’originalité. Ainsi, même si la fin ouverte est acceptable en tant que telle, on ne peut que regretter l’annulation de la deuxième saison…

Raphaël Jullien
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