INTERVIEW

EN LIBERTÉ !

© Memento Films Distribution

EN LIBERTÉ !


Pierre Salvadori et Pio Marmaï

Réalisateur et acteur


"En Liberté !", présenté à Cannes à la 50e Quinzaine des Réalisateurs, est au cinéma depuis le 31 octobre 2018. Le réalisateur Pierre Salvadori et l’acteur principal Pio Marmaï nous en parlent.

Pierre Salvadori répond à une question concernant le récit enchâssé qui ouvre le film et qui va se répéter à chaque fois qu'Yvonne (Adèle Haenel) raconte à son fils l'une des aventures de son père pour l’endormir. Le réalisateur explique que son intention était de créer une attente, un rendez-vous avec le spectateur. Ainsi, à chaque fois que ce travelling avant apparaît, comme pour un chapitrage, on peut distinguer les différents moments du film et l’état intérieur d’Adèle Haenel. Cette technique, qu’il n’avait jamais osée jusqu’alors, mais qui l’avait fait rêver depuis "Princess Bride" de Rob Reiner : un enfant vient interrompre le récit que fait son grand-père.

Des scènes de bagarre « chaudes » et musclées
La bande-annonce fait la part belle à de nombreuses scènes de bagarre, présentes tout au long du film. Le réalisateur explique qu’il a voulu faire de vraies scènes musclées, mais différentes les unes des autres. Il voulait vraiment séparer le personnage de Santi (Vincent Elbaz), et ses bagarres fantasmées par l’enfant dans les récits de sa mère, des batailles terre à terre, bien réelles et très violentes d’Antoine (Pio Marmaï).
Pio raconte que les scènes de bagarre étaient très « chaudes » et musclées dès les répétitions, car il fallait donner une impression de réalité et coller avec la colère du personnage. Il explique même que lorsqu’ils ont tourné la scène, un soir dans les rues de Marseille, à proximité d’une boîte de nuit, les locaux présents là étaient très chauds et un peu tendus par la scène.
L’effet de réel dépasse même le montage. Pour les scènes de bagarre justement, l’important est que cela fut vrai, la vraisemblance des images n’était pas à prendre en compte. Ils voulaient être expressifs et non pas démonstratifs. Ils cherchaient la vérité de la violence, tout en proposant quelque chose de spectaculaire.

Le comique de répétition
Pierre Salvadori revient avec beaucoup d’émotion sur deux scènes : le braquage (scène centrale du film) et le retour à la maison d'Antoine.
Ces deux scènes se passent avec des témoins qui prennent en charge le rôle du spectateur et sont de grands moments d’émotion et de complexité pour les personnages. Pierre Salvadori se rappelle l’émotion de Pio sur le tournage quand, dans une tenue SM moulante, avec un masque sur la tête, réalise que quelqu’un est prêt à se sacrifier pour lui. L'acteur était troublé par l’ensemble des émotions qui le traverse avec rapidité.
Pio, quant à lui, offre un témoignage sur la découverte de la scène. C’était pour lui une scène amusante à lire, mais elle contenait beaucoup de choses à traverser en peu de temps, opération qui peut être un peu difficile quand on est à moitié nu.
Pour le réalisateur, la scène de retour est la plus belle scène qu’il ait tourné et c’est par la collaboration avec sa monteuse qu’il a réussi à créer une scène de cinéma aussi proche de ce qu’il avait à l’esprit. C’est sa monteuse qui lui a conseillé de garder la présence d’Yvonne pour le dernier moment et ainsi permettre de recommencer une troisième fois le manège. Le réalisateur explique que cette scène lui tenait à cœur et la boucle qui est formée avec la scène finale quand Yvonne à son tour rentre de prison et que son visage s'éclaire quand son souvenir prend sens et qu'à son tour décide de rejouer son retour. Il reprend ici quelque chose qu'il avait déjà fait avec Audrey Tatou dans "De Vrais Mensonges" (histoire d'une femme qui lit deux fois la même lettre, la première fois elle ne comprend rien, la seconde elle comprend tout). Cette scène est pour lui une manière de célébrer le pouvoir de la fiction : « On peut dans nos vies enchanter nos existences et croire à nos mensonges qui sont essentiels ».
Deux autres scènes sont également évoquées dans l’interview : la scène du bus où Antoine sort de prison et parle seul et la scène où il fume avec un sac en plastique sur la tête, son premier moment de dérapage.
Pio explique à quel point il a été très difficile de parler à voix haute, et surtout de parler distinctement (pas comme à un public ou à quelqu’un mais à soi-même et de maintenir cette sorte de logorrhée), à quel point il est difficile de parler et de s’entendre en même temps. Le réalisateur raconte avec amusement un trajet qu’ils ont fait en train lors duquel Pio a joué la scène parfaitement alors qu’il a été incapable de la refaire dans le bus quelques jours après. Ces scènes étaient celles que l'acteur redoutait le plus.

Référence à DeNiro
La scène du sac plastique, présente dans la bande-annonce, est inspirée d’une scène des "Nerfs à vif" de Martin Scorsese dans laquelle Robert DeNiro est au téléphone avec la jeune fille qu’il tente de séduire. Il est la tête en bas, ses cheveux apparaissent dressés sur sa tête et le sang monte progressivement et fait gonfler son visage. Sa représentation physique est l’incarnation du mal, du démon qu’il est. Pierre Salvadori s’est inspiré de la manifestation extérieure de l'état intérieur quand Antoine se met à fumer avec le sac en plastique sur la tête. Initialement, la scène n’était censée être vue que du point de vue d’Yvonne. Elle voit quelqu’un s’embraser. Mais ils n’ont pas pu résister à filmer la scène de face et à en faire un gag.

Direction (d')acteur
Parler du film a aussi été l’occasion de parler de la carrière, des techniques et des visions de leur art qu’avaient les deux professionnels. L’un comme l’autre étaient très heureux d’avoir fait ce film ensemble, et ils l’ont répété plusieurs fois. L’un comme l’autre ont parlé de l’importance du choix des collaborateurs et la construction d’une sorte d’alchimie dans la fabrication d’un film. Pierre Salvadori est très enthousiaste du travail du Pio Marmaï, car selon les dires du réalisateur, c’est un acteur qui tente des choses et qui apporte beaucoup, qui incarne. Pio parle de la technique du réalisateur en termes très élogieux. Il évoque également le très grand travail d’apprentissage qu’il a dû faire avec Adèle Haenel pour s’approprier le texte de Pierre Salvadori, car il n’y a pas d’improvisation et l’aisance avec ce matériau est essentiel. Il explique également le travail de direction d’acteurs de Pierre. Il explique qu’il était le premier à partir dans de grands éclats et à très expressif en ce qui concernait les moments de doute et de colère d’Antoine, mais Pierre sur le plateau le rappelait toujours à l’ordre et lui demandait d’avoir un jeu plus mesuré, que le public n’avait pas besoin de ces éclats pour comprendre le personnage.

Tout pour la musique
Ils parlent également tous les deux du travail avec Camille Bazbaz, le compositeur de maintenant cinq films de Pierre Salvadori. Comme pour Pio Marmaï, Pierre Salvadori explique l’alchimie qui existe entre eux, les profonds échanges et dialogues sur la construction du film. Il explique qu’il le dirige comme s’il était un acteur, qu’il faut qu’il joue le personnage, mais sans oublier le spectateur. Il explique que c’est de leurs goûts musicaux communs qu’est née la bande originale du film, avec un mix funky, blacksplotation, et en même temps avec des musiques plus premier degré et plus classiques qui tirent leur inspiration du travail de Delrue que Pierre Salvadori admire. Le réalisateur revient en particulier sur un parfait moment de compréhension entre eux : la scène de retrouvailles entre Antoine et Agnès.
Dans cette scène, qui est sur le fil du rasoir et pourrait sombrer dans le ridicule, l’image (le regard d’Yvonne) vient calmer la musique et permet de repartir pour un troisième retour et réciproquement. Pierre Salvadori a toujours été admiratif des grandes rencontres et des grands couples, comme Simon et Garfunkel, Hitchcock et Hermann. C’est cette complicité qu’il tente de reproduire et de trouver avec ses collaborateurs.

Pio Marmaï, libéré
Pio explique à quel point il est heureux d’avoir fait ce film. Il explique que ce film lui a permis de revoir sa méthode de travail. Il est un acteur qui a besoin de limites, de contraintes et qu’ainsi, il peut vraiment s’exprimer. C’est à l’intérieur d’un cadre très rigide qu’il trouve une liberté. Le travail et la confiance qui s’est établie entre les hommes sur le tournage lui ont permis de vraiment beaucoup travailler sur le personnage, son élasticité et sa souplesse, car ce dernier est toujours sur le fil, dans la tension, sans moment de latence. Le fait qu’il incarne un personnage excessif, qu’il a dû se battre, lui a permis d’exploser dans un cadre très construit par le texte. Il explique que ce personnage l’a libéré dans son travail et que maintenant il est beaucoup plus volontaire et propose beaucoup plus de choses dans les rôles sur lesquels il travaille. Il dit s’être libéré d’une normalité un peu pénible. Il fait des propositions, même complètement à côté de la plaque, mais il tente de saisir des choses. Il rattache cela à un sens du spectacle brechtien dans lequel on peut incarner quelque chose en direct et en même temps signifier au spectateur qu’on est un acteur et qu’on joue de ce qu’on est en train de faire. Pour lui un vrai plaisir émerge de cette double proposition, de ce rapport au film en lui-même et à l’audience.

Zéro scène de sexe
Pierre Salvadori expose également, lors de cette interview, sa technique et son rapport au cinéma. Il cite David Mamet et la narration autour du feu ; Lubitsch et l’objet relais ; ce qui chez lui donne naissance au plan expressif. Pour lui, chaque film est la recherche d’un style, d’un langage, dans l’écriture, mais aussi dans la mise en scène. Il s’agit toujours de se demander, non pas comment faire vrai, la vraisemblance ne l’intéresse pas, elle le paralyse même, mais comment atteindre une vérité au-delà du réalisme. Par le détour de la fiction et de la poésie, par les histoires, comment pouvoir atteindre une certaine forme de vérité.
Pour illustrer cette idée, il explique son incapacité à insérer des scènes de sexe dans ses films, car ce sont des scènes qu’il est incapable de tourner. Ce sont des scènes qui sont nécessairement fausses et dont le spectateur est conscient de la fausseté : « L’idée d’une représentation fausse de quelque chose de profondément intime pour moi, c’est le off du cinéma ». La nécessité du langage et du style vient du fait que toutes les histoires sont les mêmes pour lui et qu’un film est justement un certain point de vue sur l’histoire qui est en train d’être racontée. Poser ce langage, dès l’exposition, c’est donner un cadre, une frontière au film par laquelle l’invention et l’originalité vont pouvoir advenir, et c’est à l’intérieur de ce territoire que le film va pouvoir monter.
Dans sa direction d’acteurs et sa mise en scène, cela passe par la recherche d’un acteur qui « joue le film » plus qu’un acteur qui joue le rôle seul. Il a besoin d’un objectif, d’une vision et d’une compréhension avec les acteurs : « un acteur qui comprend dans quel film il est et qui sait comment il va alimenter cette idée du film, du décalage. Quelqu’un qui comprend un peu ce que vous êtes, ce que vous cherchez et pas forcément quelle est la psychologie du personnage ».

Scène de fin
Pierre Salvadori finit l’interview en expliquant la scène finale, la dernière histoire racontée par Adèle Haenel, que le fils, une fois sa mère partie, va continuer. Pour Pierre Salvadori, c’est ici la sortie de l’enfance et l’entrée dans l’âge adulte, le moment où le fils se réapproprie le personnage de son père et choisit ses propres histoires. Le rôle pédagogique de la fiction s’achève. Et cette fin est nécessairement apaisée et heureuse, car, en suivant la ligne de Serge Danney : « les films doivent refléter la possibilité d’être un humain sur Terre », Pierre Salvadori ne peut pas faire des fils où les personnages ne sont pas apaisés et heureux. « Mes films sont la démonstration d’un peu de bonheur possible ».

Thomas Chapelle
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