INTERVIEW

120 BATTEMENTS PAR MINUTE

© Memento Films Distribution

120 BATTEMENTS PAR MINUTE


Robin Campillo et Arnaud Valois

Réalisateur et acteur


Parti sur les routes de France pour faire la promotion de son dernier film, depuis le Festival de Cannes où il a glané le prestigieux Grand Prix, Robin Campillo s’arrête au cinéma Comoedia de Lyon avec le jeune Arnaud Valois originaire de la capitale des Gaules. L’occasion de décortiquer son magnifique film et d’en apprendre plus sur l’association Act Up-Paris qui a beaucoup fait parler d’elle au début des années 90, lors des années SIDA en France.

Robin Campillo a lui-même était militant dans l’association et faire ce film est pour lui comme rendre hommage aux nombreux jeunes et moins jeunes qui se sont investis dans ce combat. « Act Up c’était fort, ça m’a formé, raconte Robin Campillo. La plupart des actions que nous menions étaient quand même foireuses. Nous étions jeunes. J’ai voulu retranscrire cette innocence que nous avions. Dans celle qui se déroule au lycée par exemple, on ne peut pas dire que Sean arrive à convaincre les étudiants dans le brouhaha du lycée ! C’était toujours un peu raté mais comme il y avait souvent des retombées télévisuelles, on se disait que c’était super réussi ! »
Evoqué Act Up a été une véritable madeleine de Proust pour le réalisateur. « Je suis parti sur un truc de pur plaisir d’évocation de scènes, se remémore Robin Campillo. J’ai moi-même été faire de la prévention au lycée. L’intervention du labo en amphi a été vécue. J’ai rhabillé le corps d’un copain malade avec sa mère… Après, je suis allé vérifier certains documents comme sur les aspects médicaux, etc. Mais du temps d’Act Up, nous nous trompions certainement sur des questions de traitement ou autres et j’ai voulu garder ce point de vue là de militants de base et je n’ai pas tenu à absolument m’assurer des chiffres, etc. J’ai voulu conserver cette incertitude… Nous-mêmes trichions sur des chiffres, on gonflait volontairement le nombre de malades du SIDA car nous pensions – et je le pense encore – que la réalité était sous-estimée. Il y a énormément d’éléments réels que j’ai vécus. Si mes personnages sont tous inventés, j’ai quand même essayé de recréer les tensions entre eux. »

Des actions de plus en plus difficiles à mener
Dans l’organisation de son combat face au VIH, Act Up a vu la différence entre ses débuts et la suite de ses actions au fil des années. « On a vu la différence en cinq ans, se souvient Robin Campillo. Tout d’un coup, on ne pouvait plus rien faire. L’espace public était verrouillé. J’ai notamment enlevé une scène du film qui était avec les RG [Renseignements généraux, ndlr], car on était surveillé. Pour la scène où on devait distribuer des seringues place Beauvau, on n’a même pas eu le temps de déplier nos tables qu’on était déjà dans les fourgonnettes de la police une fois arrivés sur place… Pour la scène du laboratoire, la fiction nous a aussi permis de faire réussir des actions que l’on n’a pas totalement menées au bout. En réalité on n’allait pas aussi loin dans les bâtiments. On allait plus souvent jusque dans le hall d’entrée où on arrivait à mettre deux-trois tâches de sang, ce qui était bien pour nous alors que pour eux c’était de la dégradation et ça leur coûtait de l’argent en nettoyage. »

Jeter le spectateur dans l’arène
Le début du film nous immerge dans une assemblée d’Act Up-Paris. Le réalisateur a souhaité que, dès l’introduction, le spectateur se mette à la place d’un nouveau militant, interprété par Arnaud Valois. « J’aime faire des films où le spectateur se perd, précise Robin Campillo. À Act Up, un type fait l’accueil, il explique très bien comment fonctionne le groupe, comment fonctionne la prise de parole. Mais après, il y a un flot d’informations important, les sujets partent dans tous les sens, les infos sur le SIDA soient noyées, et on se sent vite perdu. J’avais envie que le spectateur ressente cette sensation. J’avais envie de le jeter dans cette arène, dans cette piscine et qu’il apprenne à nager tout seul ! »

Arnaud Valois, le phoenix du cinéma français
Le jeune comédien Arnaud Valois a fait un long break dans sa carrière derrière les caméras, la mettant même entre parenthèses. Il est devenu masseur professionnel et croyait bien que le cinéma l’avait oublié ! « J’ai reçu un coup de fil qui m’a surpris, raconte Arnaud Valois. J’avais vraiment enterré cette idée de cinéma. Robin Campillo a d’ailleurs mis longtemps à choisir le comédien. « Je n’imaginais pas Nathan comme ça, explique le cinéaste. Mais Arnaud est un faux calme, et je trouvais que c’était proche du personnage. Il avait aussi des qualités de masseur qui allaient bien pour le film quand il devait donner des soins à Sean. Il a aussi une simplicité et une clarté de jeu avec un premier degré que je ne ressens pas beaucoup avec d’autres jeunes acteurs français, notamment quand il tombe amoureux. Au début j’avais une crainte relative à son physique, je le trouvais un poil trop beau, mais quand je l’ai vu avec Nahel [Perez Biscayart, ndlr] et que je sentais plus que lui était amoureux de Nahel que l’inverse, ça m’a convaincu. Par exemple, la scène du baiser au lycée, la manière avec laquelle il le regarde, j’ai vu très peu d’acteur français faire un truc aussi simple que ça.

Corps à corps pour tester le couple
Lors du casting, Robin Campillo a même testé le couple Sean/Nathan. « On a testé le couple car c’était important. Pour cela on a fait la scène érotique en impro juste torse nu », précise le réalisateur. Et Arnaud Valois d’ajouter : « Pour se sentir quoi, ça faisait que deux fois qu’on se voyait ! » Ce à quoi Robin Campillo rétorque : « Oui pour qu’il y ait un contact de peau sans aller trop loin non plus dans le côté érotique. C’est quand même difficile quand on fait des essais de leur demander à ce moment-là de se foutre à poil ! Mais torse nu on s’aperçoit si le couple fonctionne, comment est l’alchimie des corps, comment ils s’entendent, parce qu’une scène d’amour, c’est quand même une journée entière de tournage nu dans un lit, c’est jamais assez simple, quoique celle-ci a été simple.

Les origines du combat d’Act Up
Robin Campillo observe que le film ravive aujourd’hui des passions d’hier : « J’ai l’impression que le film a rappelé qu’à l’époque il existait une certaine puissance politique d’un groupe minoritaire, alors qu’aujourd’hui c’est assez difficile. Les gens ont une espèce de nostalgie de ce truc-là. Le film a aussi renvoyé chez certains qu’ils avaient traversé cette épidémie, sans forcément agir, mais on ne peut pas leur en vouloir. En revanche, il ne faut pas que les gens se servent du film pour se protéger de leur inaction ou de ce qu’ils ont fait à l’époque. On a eu plein d’invitations à l’Elysée que l’on a toutes refusées. Act Up a toujours reproché aux politiques – la gauche à l’époque – leur manque de pragmatisme. Quand, au début de l’épidémie, les pouvoirs publics ont désigné des groupes à risque, soit les toxicomanes, les homosexuels, nous n’étions pas choqué plus que ça. En revanche, parallèlement, il n’y avait aucune communication, ni aucune politique de prévention pour ces personnes. Le combat d’Act Up est né de là.

Le sans-gêne des politiques
Si le long métrage semble faire l’unanimité pour la presse et le public, est-ce que le réalisateur attend autre chose de son film ? « Faire mon film aujourd’hui, c’est regarder ce qui s’est passé en arrière et mettre en regard ce qui se passe actuellement, annonce Robin Campillo. Ce film me permet de parler de la prévention, parce que je trouve qu’il y a une régression sur la question du SIDA. Quand Trump fait des coupes budgétaires sur le programme de lutte contre le VIH en Afrique, on estime que ça a coûté la vie à 1 million d’Africains. Ça c’est grave. Et qu’est-ce qui se passe aux Etats-Unis actuellement ? Act Up s’est réveillé, a renaît de ses cendres et s’engage contre Trump ! Il faut maintenant savoir ce qu’on fait de cette épidémie.
Aujourd’hui, l’image d’Act Up est récupérée, poursuit-il. Beaucoup veulent en être, Valérie Pécresse qui a coupé le financement de plusieurs associations et festivals gays en Île-de-France claironne qu’elle a financé ce film-là. Sauf que pas du tout, je suis allé demander une aide à la région, je suis passé devant un comité d’élus dont 100% de ceux de droite on refusé le financement. Nous avons été obligé de repasser une seconde fois, où le comité artistique a remporté la mise, accordant une aide de la Région mais en aucun cas il y a eu un financement direct de Valérie Pécresse sur le film ! Il ne faut pas qu’elle utilise le film pour s’excuser de ne pas pouvoir financer des associations gays ou des festivals. Alors que la Manif pour tous se casse la gueule, elle recherche une autre base électorale en vantant le film, elle est d’un opportunisme incroyable. J’ai honte pour elle.

Rendre la gaypride plus gaie
Pour finir sur une touche plus joyeuse, parlons gaypride ! Dans le film on a vraiment l’impression qu’Act Up a permis à cette grande parade de la fierté gay de devenir plus festive ! Ah bon ? « Mais c’est un peu vrai, affirme Robin Campillo ! Dans les années 80, avec l’épidémie du VIH, la gaypride est devenue assez morne. Bon, il y avait toujours des trucs drôles et un ou deux chars avec un peu de musique, mais quand on s’est inspiré de ce qui se faisait aux Etats-Unis, on a sorti les pom-pom girls et les DJs. Les pom-pom girls avec les tee-shirts d’Act Up "Des molécules pour qu’on s’encule", les gens ont trouvé ça assez bizarre ! Et il y a avait ce grand camion avec un DJ qui a lancé cette mode des chars à musique, ce qui a rendu la gaypride plus festive ! Mettre de la musique dans la rue c’était aussi permettre aux gens qui ne pouvait pas aller en boîte de danser ! »
Et "Danser = Vivre" comme le souligne très bien le film "120 Battements par minute".

Mathieu Payan
Partager cet article sur Facebook Twitter