INTERVIEW

AU COEUR DE L'OCÉAN

© Warner Bros. France

AU COEUR DE L'OCÉAN


Ron Howard

réalisateur


Dans les salons de l'hôtel Bristol à Paris, Jean Pierre Lavoignat reçoit une trentaine de journalistes web pour une rencontre de presque une heure avec le réalisateur Ron Howard, dont l'excellent « Au cœur de l'océan » sort ce mois-ci et devrait être l'un des favoris des prochains Oscars.

Ron Howard se penche d'abord sur ce qui l'a attiré dans le scénario, à la fois une combinaison de valeurs, humaines, épiques, politiques, et la surprise de découvrir ces événements qui ont inspiré le roman Moby Dick. Des choses qui en font une histoire très actuelle. Il avoue qu'il n'est pas un grand fan du roman, mais qu'il a bien entendu vu le film de John Huston de 1956.

Admettant sa fascination concernant les films de navires, il s'attarde surtout sur son intérêt pour la mer, qui a à la fois quelque chose d'effrayant et de mystérieux. S'il n'aime pas forcément l'océan, c'est qu'il a eu quelques déboires avec lui, à l'origine d'une certaine peur. Il raconte sur ce point une anecdote, liée au tournage de « Route 66 » un show télé américain des années 60. Il avait alors 8 ans et devait sauter dans l'océan. Il a ressenti une profonde angoisse, lorsqu'il a vu le bleu infini sous lui, puis lorsque l'équipe a tiré une ligne avec un requin au bout, réalisant que ce dernier devait être autour de lui lorsqu'il était dans l'eau.

Cependant son rapport à l'eau dans le cinéma date d'il y a un longtemps. C'est lorsqu'il a tourné « Splash » qu'il a pu dépasser sa phobie. Par la suite, en 83-84, il a voulu monter un film sur le Rainbw Warrior, mais il n'a jamais réussi à réunir le budget. Ensuite, il y a une quinzaine d'années, il a voulu réaliser une adaptation de « Sea wolf » de Jack London, dont le coût a été jugé trop cher. Alors quand il a reçu le scénario, il s'est dit qu'il avait l'expérience, et aussi l'acteur principal.

Sur le personnage d'Owen Chase

Concernant justement le personnage interprété par Chris Hemsworth, Owen Chase, il avoue qu'il a été le plus intéressé et touché par sa transformation au fil du récit, par sa découverte de l'humilité. C'est quelqu'un de très drivé par sa fierté, qui est obligé face au cachalot, et à la nature, de se voir comme « petit ». Ron Howard avoue comprendre à la fois son ambition et sa frustration. Il fait par là notamment référence au fait qu'à 19 ans quand il disait vouloir être réalisateur, on lui répondait à lui aussi, en ricanant, qu'il verrait vers 30-35 ans...

Dans sa filmographie il a toujours été intéressé par les façons dont les personnages sont mis à l'épreuve. Il aime que le spectateur se demande ce qu'il aurait fait à leur place, Mais il ne veut cependant pas que le courage devienne un élément artificiel de l'histoire.

Une rencontre fictive qui ajoute de la profondeur

Ici, la rencontre entre l'auteur, Herman Melville et Thomas Nickerson est un élément fictif qui avait été intégré dès les premières moutures du scénario. C'est quelque chose qu'il défendait lui aussi, estimant que même si Melville a découvert cette histoire d'une autre manière, a écrit à Chase et Nicholson, avant de lire le livre de Chase sur l'Essex (le navire naufragé), il y avait ici matière à renforcer la puissance de l'histoire. Il avoue que ce genre de procédé est souvent nécessaire à la dramaturgie, comme dans son film « Frost-Nixon », où le coup de fil en pleine nuit n'a jamais existé, mais s'avère un élément fondamental pour comprendre les personnages. Il en est de même avec la rencontre entre James Hunt et Niki Lauda à l'aéroport dans « Rush » son dernier film.

Certains passages, eux, ont fait l'objet d'une reconstitution minutieuse, comme celles de chasse à la baleine et d' harponnage. À l'époque, ces bateaux étaient comme à certaines époques l'agriculture, ce qui faisait avancer la civilisation. Il existe un musée dédié dans la ville de Mystic, mais aussi des films muets des années 20 qui donnent une idée de ces pratiques, et des témoignages sur l'attaque du cachalot, souvent vécue comme un châtiment.

La rencontre entre l'auteur et le marin aura elle pris 5 jours de tournage, mais fut intense. Chacun des deux acteurs (Ben Whishaw et Brendan Gleeson) avait fait des recherche de son côté, et ils ont repris des répliques issues de citations des journaux de l'époque. Ils ont aussi lu l'essai « Why read Moby Dick ». Ron Howard avoue adorer en tous cas ce genre de scènes qui peuvent s'appréhender à 2 voire 3 niveaux différents.

Au niveau de la technique

Le film n'a pas été tourné en Scope pour pouvoir mieux exploiter la hauteur des bateaux, mais bien entendu le format « carré », le plus adapté, n'a pas été accepté par les studios. Le passage en 3D a pu se faire grâce au décalage de sortie de l'été à la période de fin d'année, laissant le temps pour une conversion qui selon lui apporte à la fois texture, profondeur, et émotion.

La lumière revêt une importance particulière, Ron Howard ayant déjà travaillé avec le même chef opérateur sur « Rush », il savait qu'il n'aurait pas droit à une approche graphique « gratuite ». Celle-ci devant pour lui exprimer l'état émotionnel des acteurs, il a souhaité aboutir à une image à la fois moderne, esthétique et intime. Cette dernière dimension a été apportée par la capacité de Anthony Dod Mantle à créer des angles pas possibles, vous connectant à l'action. Celui-ci arrive en effet à créer de l'énergie en positionnant les mini-caméras à des endroits inattendus.

Le tournage a eu lieu pour moitié sur l'océan, les seules limitations exprimées par l'auteur étant celles liées à la sécurité de l'équipe et des acteurs, pour certaines cascades. Lors de la scène sur la plage volcanique par exemple, ils avaient l'interdiction de plongée. Cependant dès qu'il a eu le dos tourné, Chris, qui est surfeur dans la vie, a fait quelques plans en douce sous l'eau avec le chef op... il a fallu faire des compromis. Comme pour la couleur du cachalot, proche du blanc, qu'il justifie par une maladie de peau des baleines les plus âgées, qui dépigmentent par endroit, tout en sachant que la baleine qui a fait couler l'Essex n'était pas blanche comme le fameux Moby Dick.

Olivier Bachelard
Partager cet article sur Facebook Twitter