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Réalisatrice, Chef costumier et Compositeur
Conférence de presse tenue au festival de Deauville 2015
Journaliste : Pourriez-vous préciser pourquoi avoir ponctué les dialogues anglais de réparties en français ?
Sophie Barthes : j’ai voulu faire un clin d’œil à la paternité du film : le livre a été écrit par Flaubert – auteur français –, la scène se déroule en France, etc. Et c’est pour cela que j’ai choisi Olivier Gourmet (NDLR : de nationalité belge) comme figure paternelle.
Journaliste : Pourquoi vouloir faire un film traitant encore de Madame Bovary ? Qu’est-ce que avez voulu lui apporter de nouveau et d’orignal dans votre version ?
Sophie Barthes : C'est plutôt Madame Bovary qui est venue à moi. Lorsque j’ai reçu le scénario, ma première réaction a été de refuser : trop de grands de ce monde se sont déjà essayés (Chabrol, Minnelli…). C’est devenu une œuvre pratiquement inadaptable. Mais après une lecture approfondie, j’ai aimé que l’action se concentre sur une année et que Madame Bovary soit aussi jeune… Le coté « en anglais » aussi m’a séduit. Pour moi c’était une aventure esthétique et ma première motivation était de réussir à reproduire une époque et à amener de l’authenticité. Et le public américain pourra découvrir cet univers ; en français, il ne l’aurait sans doute pas vu car ils n’aiment pas les films sous-titrés.
Journaliste : Les aspects et les problèmes financiers sont plus mis en avant que les aspects relationnels et amoureux. Est-ce pour faire une critique de la société (de consommation) d’aujourd’hui ?
Sophie Barthes : Oui, c’est un des aspects qui m’a attiré dans ce projet : le personnage de Monsieur Lheureux est beaucoup plus présent. Cela m’a permis de faire une référence à la crise des crédits de 2007, où la population américaine a été très touchée. Je trouvais cela intéressant de faire un commentaire sur les excès du capitalisme. Je pense que Flaubert était visionnaire, il a anticipé ce que serait l’économie de demain. Il n’y avait pas vraiment de crédit à son époque mais il a compris que l’excès de ce dernier pourrait amener un consommateur à sa perte. Quant au divorce, au XIXe siècle, c’est une notion moins facile à comprendre et à élaborer par rapport à la question d’argent.
Journaliste : On comprend que les costumes ont une place très importante dans le film, pouvez-nous en dire plus ?
Sophie Barthes : Très importante oui. Chaque costume raconte une histoire ; nous avons établi un code couleur pour chaque état d’esprit de Madame Bovary.
Valérie Ranchoux : En effet, Emma entame son histoire avec peu de costume, puis c’est la frénésie. Très vite, le costume devient un élément de dramaturgie soutenant le thème du consumérisme.
Journaliste : Comment avez-vous reproduit un 1856 d’un point de vue des costumes ? Pouvez-nous en dire plus sur ces codes couleurs ?
Valérie Ranchoux : Nous avons eu 1 an pour tout le processus de création, ce qui est plutôt confortable. Nous avons usé de beaucoup de documentation, des illustrés de mode de l’époque ainsi que des peintures. Nous avons gardé l’essentiel des lignes pour éviter l’effet déguisement et à partir de la documentation nous sommes passés à la table à dessin, puis au choix des tissus et enfin à la couture. Tout ceci s’est fait bien sûr avec l’implication de Sophie.
Concernant les codes couleurs, nous avons choisi pour le début, des tons fanés, sans motifs, très ruraux. Puis les rencontres amoureuses déclenchent une folie vestimentaires : des couleurs plus vives, un style très parisien. Notre objectif était qu’elle soit scandaleuse, que les gens se retournent à son passage… Démontrant ainsi sa démesure.
Journaliste : Pourquoi Le Perche comme lieu de tournage ?
Sophie Barthes : Après plusieurs repérages, je suis tombé rapidement amoureuse de la région : elle est très authentique et a été très peu altérée par les touristes ou l’histoire. Alors d’un point de vue des effets à ajouter, cela s’est résumé à très peu de choses, ce qui tombait bien car notre budget était limité.
Tout y était parfait : la lumière, tamisée, humide, ainsi que le relief et l’architecture minérale. Et cette présence de pierre rappelle la névrose de Madame Bovary qui la pétrifie ; c’est en harmonie complète avec l’esprit du film.
Et puis les gens locaux nous ont vraiment bien accueillis, ce sont d’ailleurs eux les figurants dans le film.
Journaliste : Est-ce que le choix de l’automne pour la période de sa mort est un choix conscient… Synonyme d’une fin de vie ?
Sophie Barthes : Oui absolument ; on a commencé à tourner en août, où tout est vert et euphorique. Puis nous avons attendu l’automne avec ses feuilles qui tombent, assorties avec la couleur de sa robe funeste. En été, la lumière était trop forte pour y faire passer un message de mort et de désespoir.
Journaliste : La musique porte vraiment le film. Comment l’avez-vous travaillée ?
Evgueni Galperine : Nous avons décidé de ne pas composer une musique d’époque mais pas non plus une musique trop décalée. Nous avons cherché un entre-deux et ainsi nous avons donné l’illusion de classicisme avec des ajouts modernes. Au XIXe, les sentiments étaient voilés, donnant ainsi l’impression – fausse – de ne pas ressentir. Alors ici la musique se veut être le révélateur des sentiments des personnages. La musique suit l’évolution d’Emma, tant du point de vue psychologique que sa vision du monde.
Journaliste : Pourquoi avoir montré la fin au début du film ? Pour se démarquer ?
Sophie Barthes : Dans le livre, le point de vue change tout le temps. Pour notre film, il a été décidé que seul le point de vue d’Emma serait montré. Et commencer par sa mort, nous donnait ainsi une ligne d’horizon : celle de la tragédie. Sans cela, le début semble trop anodin. Le fait d’avoir cette ligne d’horizon nous permet d’interpréter différemment les événements qui ne sont donc plus anodins. On a pris cette décision en salle de montage.
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