INTERVIEW

VOICES (THE)

© Le Pacte

THE VOICES


Marjane Satrapi

Réalisatrice


Marjane Satrapi réalise en solo son deuxième long-métrage, après ses deux premières co-réalisations avec Vincent Paronnaud ("Persepolis" et "Poulet aux prunes") et son premier film en solo "La Bande des Jotas". Comment lui est arrivé ce projet, comment elle a trouvé Ryan Reynolds : elle nous dit tout sur son nouveau film "The Voices", en salles le 11 mars 2015.

Journaliste : Comment êtes-vous arrivée sur ce film ?

Marjane Satrapi : Vous savez, quand j’ai été nominée aux Oscars, j’ai eu un agent américain que vous ne payez que quand un projet se concrétise en lui donnant son pourcentage. Donc comme son intérêt est que vous receviez un max de projets, j’en ai reçu plein. Et la première question que je me pose, c’est de savoir si je pourrai payer 10 euros pour voir le film. Par exemple, j’avais eu le script de "Maléfique" avec Angelina Jolie, les sorcières, les forêts, les nains et le dragon. Sauf que ce n’est vraiment pas mon truc, ni le genre de film que je regarde. Si je ne suis pas convaincu, comment voulez-vous que je mette deux années de ma vie dans un tel travail ? Donc j’ai refusé beaucoup de projets. Et puis j’ai reçu ce scénario [de "The Voices", ndlr] et la première chose qui a retenu mon attention, c’est que ça ne me rappelait aucun film que j’avais déjà vu. J’ai aussi eu tout de suite énormément d’empathie pour ce tueur en série. C’est quelque chose qu’on n’a jamais dans ce genre de film. Bien sûr j’ai adoré le chat. Enfin, il y avait tout le monde fantastique de Jerry, qui n’était pas décrit, à créer donc j’avais de la place pour m’exprimer. On était quatre sur le projet dont trois messieurs qui avaient déjà réalisé des thrillers. J’ai rencontré les producteurs à Los Angeles, ils m’ont choisie mais je ne leur ai jamais demandé pourquoi. J’ai un peu peur de leur réponse !

Journaliste : Est-ce que, dans le scénario, il y avait déjà la dimension humoristique et parodique qu’on retrouve à l’écran ?

Marjane Satrapi : C’était déjà humoristique et parodique mais Ryan Reynolds en a rajouté toute une couche parce que comme c’est lui qui fait la voix du chat et du chien, lors du tournage, alors même que les voix étaient déjà enregistrées, il a inventé plein de nouveaux trucs qui n’étaient absolument pas dans le scénario et j’ai gardé tout ce qui était super. Il est très drôle Ryan Reynolds !

Journaliste : On sent beaucoup l’univers des frères Coen dans votre film. Quelles sont vos influences cinématographiques ?

Marjane Satrapi : Vous tombez vraiment juste quand vous évoquez les frères Coen. Car si j’essaie de ne pas copier le boulot de quelqu’un en mettant ensuite « hommage à », j’ai des influences naturelles. Dont les frères Coen. Par exemple pour la scène finale, j’avais fait un story-board qui malheureusement était la copie exacte de "The Big Lebowsky" ! Parce que j’ai vu le film 15 fois et que c’est dans mon inconscient ! Autre chose que j’admire beaucoup chez les frères Coen, c’est qu’on se rappelle toujours des personnages secondaires. Ils ont toujours un vrai corps.

Journaliste : On a l’impression que vous apprenez continuellement au fur et à mesure que vous faites des films…

Marjane Satrapi : Mais oui j’apprends, je n’ai pas la science infuse. Après il n'y a presque plus rien à inventer au cinéma. Par contre il y a une chose qu’on peut trouver, c’est son propre langage. C’est cette recherche que j’entreprends. Côté technique, à force de travailler, j’arrive de mieux en mieux à anticiper. Je vois les problèmes venir ! Et puis je suis curieuse. Je demande toujours à mon chef op’ de m’expliquer les objectifs qu’il utilise. Je ne suis pas du genre à dire « Je sais tout ». Parce que je ne sais pas tout.

Journaliste : Est-ce que votre touche personnelle dans ce film ne vient pas de la BD ?

Marjane Satrapi : Non pas vraiment. Vous savez avant de faire de la bande dessinée, je peignais. Et je crois qu’il y a deux catégories de cinéastes : les dessinateurs et les non-dessinateurs. Fellini, Almodovar, Fritz Lang faisaient partie de ces réalisateurs dessinateurs. Il y a une identité visuelle très importante. Personnellement je ne peux pas voir un plan comme faisant partie d’une séquence. Pour moi un plan c’est un tableau. Chaque plan est un tableau. Donc chaque chose qu’on y met à l’intérieur compte. Par conséquence, il y a souvent des choses qui m’irritent. Si la ligne du bas de cadre n’est pas parallèle, je deviens dingue. Il y a aussi des lumières et des couleurs que je n’aime pas. Donc j’ai davantage était influencée par l’art plastique que la bande dessinée.

Journaliste : Je trouve par exemple que l’idée de l’ange et du diable est très graphique, ça nous ramène aux BD de tintin. Je pensais que c’était des apports de votre culture BD.

Marjane Satrapi : Sauf que l’histoire du chat et du chien ce n’est pas de moi. Après vous dites que le chien et le chat c’est la gentillesse et le diable… Mais ça c’est votre regard. Pourquoi ne verrait-on pas le chat comme un être honnête et le chien comme un benêt ?! On pourrait aussi dire que le chat est plein d’humour et que le chien sort poncifs sur poncifs !

Journaliste : Quel regard portez-vous sur la carrière de Ryan Reynolds qui prend un vrai virage ces derniers temps avec le récent "Captives" d’Atom Egoyan ?

Marjane Satrapi : C’est-à-dire que Ryan Reynolds est un très très bon acteur. Il suffit de le voir dans "Buried", même dans "Green Lantern" qui est pourtant une merde. Car arriver à faire ce qu’il fait dans un film aussi merdique, c’est de l’ordre du génie ! C’est le Einstein des acteurs ! Évidemment pour "The Voices", vous ne vous dites pas Ryan Reynolds pour interpréter un serial killer. Mais là c’est lui qui a lu le scénario et qui a voulu faire le film. Moi j’ai dit OK mais je voulais le voir avant. Vous pouvez avoir le meilleur réalisateur et le meilleur acteur du monde, s’ils ont deux visions opposées du film, ça ne pourra pas être bon ! Et il avait en fait la même vision que moi, surtout ce côté enfantin et très innocent de son personnage. Et puis il a beau avoir des yeux noirs parfois inquiétants, il a surtout ce sourire pour quoi on donnerait le bon Dieu sans confession ! Dès qu’il souriait j’avais presque envie qu’il me donne des coups de couteaux, c’est pour dire ! Il s’est avéré être beaucoup mieux que tout ce que j’avais pu espérer. C’est un excellent acteur qui a certainement dû souffrir du syndrome « Elle est belle, donc elle est bête ». Et bien non, il est sympa, il est beau, c’est le mari de Blake Lively et en plus il est talentueux ! C’est l’homme parfait !

Journaliste : Comment ça s’est passé avec vos producteurs ?

Marjane Satrapi : D’abord j’ai tourné le film à Berlin et pas aux États-Unis. Parce que je cherchais un équilibre entre les producteurs américains et mon équipe qui me soutiennent. Ça arrangeait la production pour des raisons de coûts et moi pour assurer mes arrières. Il faut dire que Ben Stiller devait le faire pour 36 millions de dollars et que je leur ai fait pour 11 millions. Pour les décors, j’ai tout trouvé sur place parce que ce sont les Européens du Nord qui ont créé l’Amérique. Alors bien sûr vous ne trouverez pas New York, mais un petit village du centre des États-Unis, vous le choppez dans certains coins de Berlin. Et j’ai bluffé un type du Michigan qui était persuadé de connaître le bowling du film alors qu’on l’a créé ! Donc les producteurs ne m’ont pas cassé les pieds pendant le tournage. Les problèmes sont venus après en fait. Il a fallu que je justifie chacun de mes choix. Et il faut que je vous dise un truc, c’est que des fois je n’avais pas raison. Pour le final cut on s’est engagé dans le jeu de l’usure et pour ça, croyez-moi, je suis très tenace !

Mathieu Payan
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