INTERVIEW

JEUNE ET JOLIE

© Mars Distribution

JEUNE ET JOLIE


François Ozon, Marina Vatch et Géraldine Pailhas

réalisateur-scénariste et actrices


« L'idée était de faire un film sur quatre saisons ». Le film commence sur une plage et « devait se terminer sur une plage », ce qui a été tourné, mais a été arbitré au montage. Il s'agissait de couvrir une année scolaire, ce qui « paraît très long lorsque l'on a l'âge » de l'héroïne. Ainsi commence le récit du tournage de « Jeune et jolie », film centré sur une jeune femme, maître de ses actes, par François Ozon et ses deux actrices principales.

Ne pas tout expliquer sur elle

François Ozon aime l'idée que chaque spectateur se fasse son propre jugement par rapport à l'attitude du personnage principal. Il rappelle que lui-même n'est pas psychologue et que volontairement il propose des choix ouverts, sans interprétation ni jugement. Et même le fait qu'elle puisse « rechercher le père » au travers de ses actes, relèverait plutôt du cliché. Il précise que « si vous interrogez un psy, il vous dira que la relation la plus névrotique est entre la mère et la fille », pas avec le père.

Il avait en tous cas « envie que la relation entre elle et son frère relève d'une certaine fascination » et que ce dernier « soit le regard de l'enfance sur sa propre sœur », permettant sa découverte au travers de leur complicité et de ce qui l'émeut lui. Il fallait ensuite montrer que « le dépucelage ne se passe pas bien », créant une espèce de dédoublement, puisqu'elle est à la fois là et pas là. Dans le fond cette idée du double habite le film, puisqu'il revient en quelque sorte au travers des miroirs et de la double vie qu'elle va mener.

Une documentation sur la prostitution adolescente

Pour préparer le film, il a appelé Maïwen pour avoir les numéros de la brigade des mineurs, et approcher le proxénétisme des mineurs. Il a ainsi rencontré Serge Hefez, qui joue le psy dans le film. Selon lui, on aura une perception différente du personnage selon si on est homme ou une femme.

Marina Vatch, elle, estime que son personnage avait besoin de se confronter à quelque chose de brutal, au travers du désir des autres... Ce qui ne l'a pas dérangé pour l'accompagner, la développer... Elle ne s'est pas posé beaucoup de questions sur ses choix.

Faire accepter ce rôle à Marina

François Ozon avait vu Marina Vatch dans le film de Klapisch « Ma part du gâteau », mais il avoue qu'il « ne l'avait pas spécialement remarquée ». Lors du casting elle a dégagé une sorte de mystère, au delà du jeu. Il dit d'ailleurs d'elle qu' « elle a quelque chose qui fait qu'on a envie de la regarder ». Et que « la caméra l'aime ».

Marina Vatch elle, n'avait pas vu tous les films d'Ozon. Mais elle avoue le fait que l'on ressort de certains de ses films « parfois perturbé ». Elle a apprécié que dans « Jeune et jolie », le sujet et les situations soient très sobres.

Il indique qu'il n'est jamais dans une relation de sadisme avec ses comédiennes. Il a choisi Marina Vatch en premier. Il s'agissait avant tout de lui faire confiance, de l'associer le plus en amont possible, notamment au casting du frère, de discuter avec elle du choix des costumes, mais aussi d'être clair sur la direction que prenaient les scènes de sexe.

Marina Vatch confirme que le fait de l'avoir associée très tôt fut « un élément de mise en confiance ». Ceci lui a permis de tisser un rapport privilégié avec le réalisateur, qui l'a aidé par la suite à défendre son propre personnage. Son rôle était très écrit dans les faits, la trajectoire qu'elle emprunte. Mais c'est une jeune femme qui se tait beaucoup. Elle ne s'explique pas, on la suit et on ne sait pas où ça ira, d'où un sentiment de liberté.

Géraldine Pailhas confirme que le spectateur a plus envie de la suivre pour la capter, plus que la capturer. De manière générale, l'émotion lui paraît d'autant plus grande que l'on est guidé par quelqu'un dont on n'arrive pas à dessiner la forme... Mais ce personnage, selon elle, est un peu le reflet de l'hypocrisie des autres. Tout le monde croit que la fille est le monstre, mais la mère l'est un peu aussi... D'ailleurs sa fille le lui dit (« c'est pas moi qui suit dangereuse »). Elle est très consciente de ce qui se passe autour d'elle, plus que de ce qui lui arrive à elle-même... Elle a conscience de son pouvoir sur les autres, elle le découvre. Mais ce pouvoir lui échappe déjà un peu, car elle sait déjà beaucoup...

Selon Géraldine, quand on regarde cela de l'extérieur, cette fascination qu'elle éprouve, cette envie d'être salie, abîmée... c'est presque insupportable...

L'arrivé de Géraldine Pailhas sur le projet

Géraldine Pailhas a été appelée environ deux mois avant le début du tournage. Elle avait envie de retravailler avec Ozon, par plaisir, et puis parce que ces deux personnages, malgré divers heurts, « se ré-entouraient de bienveillance ». Et puis parce que le réalisateur leur avait dit qu'il voulait qu'elles soient « belles toutes les deux ».

Elle trouve de plus que la vision sur la famille est très juste. Elle précise que « les enfants, on vit avec, on les élèvent, sans savoir s'ils vous regardent comme un phare dans la nuit », ou si « ils veulent vous tuer ». Un beau jour « on va découvrir que son enfant est un individu ». Et « même quand c'est harmonieux », la vie de famille, « est-ce que ça n'est pas parce qu'on ignore qui est l'autre ? »

Dans le fond ici, on est dans un contexte classique de famille recomposée, mais sans gros problèmes. Ce qui fait notamment que « l'échange d'argent, avec les clients » ne correspond pas à « un besoin à combler ». Son personnage de femme « est à la tête de la famille, comme une chef d'entreprise ». Elle orchestre l'harmonie, mais « elle fait l'erreur d'avoir des certitudes sur les autres, et aussi de tout vouloir porter ». François Ozon, lui, ajoute que beaucoup d'amis mères s'identifient sans problème au personnage Géraldine.

Le choix des chansons

Concernant le choix des chansons, François Ozon précise qu'il a choisi Françoise Hardy parce que ses chansons représentent bien l'adolescence. Il y a donc dans le film deux chansons des années 60, plus légères, et deux autres plus mélancoliques, dont une écrite par Michel Berger.

Le tourbillon cannois

Quand on demande à Marina Vatch comment elle a vécu la présentation du film en compétition à Cannes, elle indique que c'est un « curieux endroit », où l'on « est accueilli de manière sublime ». Elle a apprécié « la chaleur de la réception » du film. Consciente que ce doit être « tout autre lorsqu'un film est mal accueilli », elle avoue avoir eu « plusieurs appréhensions », notamment liées au calendrier chargé en rencontres, alors qu'elle « n'est pas très à l'aise dans ces circonstances ». Timide, elle a su cependant gérer à merveille la difficulté de ces premières rencontres de presse.

Propos recueillis par Olivier Bachelard

Olivier Bachelard
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