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Réalisateur et acteurs
Mohamed Hamidi est venu à Lyon présenter son premier film, "Né quelque part", récemment projeté à Cannes hors compétition. Ce président et cofondateur du Bondy Blog, d’origine algérienne, est co-auteur et metteur en scène des spectacles de Jamel Debbouze, Malik Benthala et Abdelkader Secteur, trois comédiens qui jouent également dans son film. Pour cette interview, il est accompagné de l’acteur principal, Tewfik Jallab, et de Malik Benthala. Ensemble, ils évoquent leurs souvenirs de voyage en Algérie, les similitudes avec leur propre histoire personnelle. Sans oublier, l’importance de l’humour dans ce film.
Journaliste :
Comment est né le projet ?
Mohamed Hamidi :
Le projet vient d’un texte que j’ai écrit en 2005, d’une centaine de pages, qui raconte un peu la même histoire : celle d’un jeune qui retourne dans le pays de ses parents, qu’il ne connaît pas, pour des raisons administratives : sauver la maison de son père. Puis, ce dernier se fait subtiliser ses papiers par son cousin et à cette occasion il découvre ce pays qu’il ne connaît pas. Là commence une vraie recherche sur son identité, sur le trajet de ses parents, sur son histoire personnelle, son histoire familiale. J’ai écrit ce texte en 2005, et cette même année je suis allé en Algérie. Cela faisait 20 ans que je n’y étais pas retourné. J’y suis moi-même allé pour des histoires de maison, mon père s’y trouvant malade à l’époque. C’était l’occasion de découvrir cette maison avec lui. Après j’ai mis de côté le texte, pour faire d’autres choses, notamment l’écriture et la mise en scène de spectacles pour Jamel ou Malik notamment. Jamel, à qui j’ai fait lire le texte, était emballé par cette histoire. En 2010, on a décidé de travailler une adaptation avec Alain-Michel Blanc, un scénariste dont j’avais beaucoup apprécié le travail de narration dans "Va, vis et deviens". On a travaillé un an à l’adaptation et à l’écriture du scénario.
Journaliste :
Qu’est-ce que le scénariste a changé par rapport à votre texte de départ ?
Mohamed Hamidi :
On a gardé les grandes lignes : le personnage qui part, qui rencontre son cousin, qui se fait voler ses papiers d’où s’en suit l’inversion des deux personnages. Alain-Michel m’a ensuite aidé à adapter l’histoire pour le cinéma avec une dramaturgie plus cinématographique. Dans l’histoire originale par exemple, on suivait le cousin en France, dans quelques quartiers de Paris. Et Alain-Michel m’a convaincu de rester enfermé avec le personnage en Algérie pour être avec lui dans cette situation d’isolement. Il m’a aussi aidé à développer les personnages secondaires.
Journaliste :
Allez-vous sortir le film en Algérie ?
Mohamed Hamidi :
J’aimerais beaucoup. À l’occasion de la tournée de Jamel en Algérie, on cherche des lieux de projections. J’espère pouvoir le faire avant la fin de l’année. Comme on a tourné le film au Maroc, on y est allé le projeter pour l’équipe. J’aurai adoré tourner en Algérie, mais aujourd’hui les structures de production sont peu développées, il y a peu de relais sur place. Et comme la situation se passe à la campagne, ce n’était pas impératif de tourner en Algérie. Par contre, il a fallu faire un travail conséquent pour que le Maroc ressemble à l’Algérie : transformer les maisons, faire attention au vocabulaire des comédiens. C’est un peu comme si on tournait un film français en Belgique et que les comédiens se mettent à dire « septante » !
Journaliste :
Pour vous, les acteurs, cette histoire a-t-elle des résonnances personnelles ?
Tewfik Jallab :
Tout à fait. Moi, j’ai fait ce voyage quand j’avais 20 ans. Un voyage que mon père a organisé de force, pour mes frères, mes sœurs et moi. On retardait le voyage, ma mère ne voulait pas nous laisser partir ; elle s’inquiétait beaucoup parce que leur village avait subi des massacres. Mais, grâce à ce voyage, j’ai commencé à me construire une mémoire collective et familiale.
Malik Bentalha :
Je ne suis pas encore allé en Algérie, mais j’espère y aller. Je voulais faire ce film pour rendre fier mon père, qui est algérien. Et, ça me tenait à cœur parce que je fais partie d’une génération de transition, qui parle de l’Algérie sans la connaître. On se sent Français, on revendique nos origines algériennes, mais on n’y connaît rien ! C’est tout le sujet du film. Ce film est une pierre à l’édifice de la double culture. Il n’est pas propre aux Algériens, le film a une portée universelle. En plus, Mohamed arrive à faire passer ses messages par le biais de l’humour, c’est quelque chose qu’il fait à merveille.
Mohamed Hamidi :
Il y a une tradition de la comédie en Algérie et dans le cinéma algérien. Les Algériens ont une vraie capacité à l’autodérision, qu’on retrouve d’ailleurs chez Jamel mais aussi chez Fellag ou Abdelkhader Secteur, qui est dans le film. C’est un humour proche des Anglais, avec le côté absurde et le décalage. Les Algériens n’ont jamais cessé de rire et de rire d’eux-mêmes, y compris dans les années les plus difficiles. L’humour permet de parler de choses sérieuses sans forcément donner des leçons et sans en avoir l’air. Même si le film avait une certaine profondeur sur les sujets à aborder : les questions de filiations, les rapports au père, l’héritage, etc. Je voulais que le personnage traverse ça dans une ambiance réaliste de l’Algérie, là où il y a toujours une place pour la fantaisie.
Journaliste :
Le rythme du film est instauré par l'unique téléphone du village. Comment vous est venue cette idée ?
Mohamed Hamidi :
Oui, cet « arbre-phone », comme on l'a appelé, lui permet de renouer le contact avec la France, avec son frère Kikim et sa copine. C'est un moyen de faire participer tout le monde ; c’est un peu le téléphone arabe en direct ! Parce que tout ce qui s'y dit va finir par être su par tout le monde, alors autant le faire tout de suite ! Et le réceptionniste, joué par Fatha Benahmed, qui est un vrai comédien à l'italienne pour le coup, permet d'apporter une touche d'humour aux nouvelles informations.
Journaliste :
Deux couleurs dominent le film, le bleu et l'ocre. Etait-ce volontaire de votre part de donner cette teinte à l'histoire ?
Mohamed Hamidi :
Bien sûr. D'ailleurs, j'ai voulu, avec le chef opérateur, que l'ocre tire même plus vers le marron pour qu'on s'éloigne des couleurs du Maroc. On a repeint les maisons marocaines pour retrouver les couleurs des maisons algériennes. Et plus généralement, je voulais un vrai contraste entre la France et l'Algérie. Farid, dans le film a un choc visuel quand il sort de l'aéroport, le choix des vêtements et des accessoires ont été choisi pour créer cela : la veste bleu-pétrole de Jamel, le jean de Fatsha… La 504 bâchée, sable… Pour moi l'Algérie c'est ça, c'est du bleu et de l'ocre !
Journaliste :
Est-ce que tous les villages algériens ressemblent à celui-ci où vous avez poussé un peu la caricature ?
Mohamed Hamidi :
C’est très typique ! Tous les soirs, on se retrouve au café, on regarde la télé française, on regarde les matchs de foot. Ça s’interpelle d’une table à l’autre. Et quand des Français viennent, on est un peu l’attraction du village, y’a un peu cette ambiance là, cette effervescence.
Journaliste :
Dans les dernières minutes du film, on voit les conditions des clandestins dans les prisons, est-ce que c’est la touche d’un film engagé ?
Mohamed Hamidi :
Pour le centre de rétention, je voulais montrer avant tout la réalité. Celle que j’ai pu percevoir quand j’en ai visité un pour préparer le film. Mais, il y a plus qu’une touche d’engagement dans le film. Ici, ce n’est pas un engagement militant ou politicien. Dans son ensemble, le film nous parle de l’importance de la diversité, du vivre ensemble, de l’importance de se connaître, d’assumer ses origines. On y voit un jeune homme bien intégré dans sa vie parisienne, puis l’image de la France en Algérie, notamment à travers les médias. J’ai voulu montrer ce lien très fort qui existe entre la France et l’Algérie, lié à notre histoire commune. L’engagement du film, c’est montrer comment on assume cette double culture sans pour autant être en contradiction avec les lois françaises, la culture française… Ça fait partie des choses que je revendique. J’ai été prof et éducateur pendant très longtemps. Le message que je voulais faire passer aux jeunes, c’est qu’on peut être fier des ses origines, fier de sa religion ou de la religion de ses parents sans pour autant être dans l’opposition avec la République française. Et inversement.
Journaliste :
Tewkif, c’est votre premier film au cinéma ?
Tewfik Jallab :
Non, en fait j’ai déjà joué pour le cinéma à l’âge de 10 ans, dans un film qui s’appelait "Killer kid". Mais c’est ici mon premier grand rôle. En ce moment, je termine un autre film qui s’appelle "La Marche" et qui raconte la marche pour l’égalité et contre le racisme qui a eu lieu en 1983.
Journaliste :
Et vous Malik, quels sont vos projets ?
Malik Bentalha :
Ce film est mon premier vrai rôle au cinéma, auparavant j’ai surtout eu des petits rôles où je jouais « pompiers n°4 » ou « arabe n°2 »…! Mohamed m’a donné cette chance. Et actuellement, je double la voix d’un personnage dans "Monstre Académie" avec Catherine Deneuve. J’ai aussi la chance d’avoir un one-man-show, c’est un premier spectacle. Je serai au Bataclan à Paris à la rentrée, et je démarre une tournée en 2014.
Journaliste :
Le film a été programmé à Cannes au dernier moment, comment avez-vous vécu cette expérience ?
Mohamed Hamidi :
C’était une vraie bonne surprise. Le film a été montré en séance spéciale de la sélection officielle. La moitié du public était composé de lycéens de la Région Paca. Ce qui m’a aussi touché, c’est de le montrer à la presse internationale, pour voir ce qu’ils pensaient de l’histoire sans la même connaissance que la presse française des rapports franco-algériens, ou des rapports à l’immigration et des jeunes des quartiers. Ça m’a permis de voir que cette histoire de l’héritage d’un père est vraiment universelle. C’est pour cela que je tenais à finir le film par l’image du père. Après ce voyage, Farid se sent différent, adulte.
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