INTERVIEW

DOGORA

© Anne Laure POTHIN

DOGORA


Patrice Leconte et Etienne Perruchon

réalisateur et compositeur de la musique


Patrice Leconte a pris pour lieu de tournage le Cambodge, mais son idée originale est née avant tout du choc émotionnel qu’il a ressenti en découvrant la musique d’Etienne Perruchon lors d’une représentation de « Leonce et Lena » à l’Odéon. Immédiatement, il a ressenti le désir de mettre des images sur cette musique, et quand il est arrivé pour la première fois au Cambodge, cette idée s’est précisée. C’est là que le film Dogora s’est imposé à lui, et que l’alliance de la musique et de l’image est née. Dans cette alliance, la musique n’a toutefois jamais été altérée ; Leconte s’est inspiré de la montée dramatique provoquée par les chansons et le choix des images a découlé de cette logique dramatique.

Dès le départ, Leconte a écarté l’idée du reportage. Il voulait également éviter toute forme de didactisme en ne se concentrant que sur le pur ressenti, l’émotion seule qui pouvait résulter du mariage de la symphonie musicale et de l’image.

Les repérages ont été très longs, mais dès cette étape, Patrice Leconte avait une idée déjà assez précise des images qu’il joindrait à tel ou tel morceau. Dès lors, le montage en a été simplifié. Les thématiques se sont également dessinées à partir de la musique. L’équipe a continuellement filmé en écoutant la musique et des associations subjectives se sont faites. Patrice Leconte a assuré lui-même le cadrage et le tournage a été effectué en équipe réduite (4 personnes). La caméra n’était pas dissimulée mais il n’y a jamais eu de refus de la part des personnes filmées.

Le film a réellement pris forme au Cambodge, mais Dogora n’a pourtant rien du reportage socioculturel et sa visée est universelle et humaniste. Pour Leconte, l’expression de la grâce, le choc des déséquilibres (de couleurs, de richesses…) sont des éléments présents dans de nombreux pays. C’est au Cambodge qu’il a planté sa caméra, mais c’aurait pu être au Brésil, ou dans tout autre pays où la beauté naît souvent de contrastes.

L’absence totale de repère historique dans le film découle de cette volonté de toucher à l’universel ; Leconte estime qu’il n’avait aucune légitimité pour parler de l’histoire de ce pays, et si le regard qu’il pose sur le Cambodge est rempli de bienveillance et d’empathie, il n’en est pas moins celui d’un étranger. Les douloureux souvenirs de la colonisation étaient présents lors du tournage, mais plutôt que d’employer un ton dogmatique, il a préféré laisser les regards parler de ces stigmates. Et, par la beauté des visages et des paysages, il a voulu faire surgir l’idée de l’espoir, qui subsiste malgré tout.

Si les enfants occupent une grande place dans Dogora, c’est avant tout parce qu’ils sont souvent à la source des émotions les plus fortes, et que ces émotions se lisent sur leur visage et dans leurs yeux. Même lorsqu’il a imaginé une fiction sur la musique d’Etienne Perruchon, il a avant tout pensé à donner les rôles principaux à des enfants. Leconte avait aussi le désir de filmer des personnes âgées, mais peu d’entre eux apparaissent finalement dans le film.

Enfin, Dogora n’est pas un film militant au sens propre du terme, mais il comporte pourtant un engagement par sa forme en elle-même. Leconte est conscient que la communication se complique, qu’elle perd de plus en plus son caractère essentiel (rapprocher des hommes et leur ouvrir les yeux sur Autrui) et son film est une invitation à recréer ce contact humain.

Delphine
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