INTERVIEW

BÊTES DU SUD SAUVAGE (LES)

© ARP Sélection

LES BÊTES DU SUD SAUVAGE


Benh Zeitlin

réalisateur et scénariste


Pour sa première venue à Deauville, Benh Zeitlin est reparti de l’édition 2012 avec le Grand Prix et le Prix de la révélation Cartier. Son film « Les Bêtes du sauvage » a littéralement séduit le jury mais aussi le public. Lors de la conférence de presse, le jeune réalisateur de 30 ans est revenu sur son expérience et son tournage avec la communauté du bassin du sud de la Louisiane.



Journaliste :
Est-ce que la forme très naturaliste du film était pensée dès le départ ?

Benh Zeitlin :
Je me suis toujours dit qu’il y aurait deux niveaux de compréhension pour cette histoire : un niveau très réaliste et un autre beaucoup plus poétique et lyrique qui est typiquement la manière dont Hushpuppy [le personnage féminin principal du film, ndlr] se représente le monde, comment elle l’interprète. Je me suis moi-même demandé comment je pouvais le voir à l’âge de 6 ans.

Journaliste :
Comment avez-vous connu cette communauté et comment avez-vous décidé de faire un film sur elle ?

Benh Zeitlin :
Au départ je me suis intéressé à ce territoire et à ces gens qui vivent où la terre est avalée par la mer. Je me suis donc installé dans une marina sur place et tous les jours j’allais écrire sur un ponton face à la mer où les locaux venaient de plus en plus nombreux me voir pour me demander ce que je faisais ici. Je leur ai donc expliqué mon projet cinématographique et un lien s’est créé. Les gens se sont ouverts à moi puis m’ont invité à dîner et petit à petit j’ai appris sur leur vie. C’est de cette manière qu’est né le film.

Journaliste :
Vous êtes le réalisateur de ce film mais vous êtes aussi son scénariste et son compositeur. Pourquoi avez-vous occupé toutes ces fonctions ?

Benh Zeitlin :
Pour moi faire un film c’est comme faire un tout. Je n’ai pas fait d’école de cinéma. Quand je faisais un spectacle de marionnettes pour ma sœur, je faisais tout. Pour mon film, je ne voulais pas non plus cloisonner les métiers. Je préfère d’ailleurs que l’on voie dans mon film un côté un peu artisanal. Je ne suis pas le seul à avoir plusieurs casquettes, d’autres dans l’équipe avaient plusieurs missions. Pour la musique, j’ai vraiment pensé la partition comme un élément du scénario parce qu’on peut faire passer énormément de choses à travers la musique, comme à travers le son ou les images d’ailleurs.

Journaliste :
Avez-vous rencontré des difficultés lors du tournage de votre film ?

Benh Zeitlin :
Il y en a eu pas mal. On avait notre lot de difficultés quotidiennes. Mais je m’y attendais et puis finalement, elles font elles aussi partie de la fabrication d’un film. Le plus difficile a quand même été les insectes. Dans cette contrée humide et chaude, on a fait face à des moustiques, par exemple, où on en venait à s’entraider pour tuer ceux qui se posaient sur nous. Mais ça a participé à la cohésion du groupe et à faire de ce tournage une expérience unique !

Journaliste :
Quelles motivations trouvent encore les habitants à continuer à vivre sur cette terre ?

Benh Zeitlin :
C’est un peu la question qui est à l’origine du projet. Elle est légitime ! Mais une fois sur place et malgré les difficultés que cette population vit, on finit par comprendre pourquoi elle reste. Mais je sais que c’est une chose très dure à expliquer et à concevoir. C’est un peu comme répondre à la question « Pourquoi tu quittes pas ton père, puisqu’il est dur avec toi ? ». Ton père reste ton père et tu ne peux pas en changer. Là c’est pareil, c’est leur terre, elle fait partie de leur vie. Ils ne peuvent en changer. Elle leur apporte aussi et ils organisent des célébrations pour elle. La nature est dure mais ils ont un rapport viscéral avec elle. C’est une culture très différente du reste des États-Unis.

Journaliste :
Les nouvelles générations perpétuent-elles l’héritage des anciens ? Est-ce important pour eux de continuer à vivre comme leurs ancêtres ?

Benh Zeitlin :
Il y a un changement clair en Louisiane du sud et pas seulement à cause des événements climatiques qu’on sait. Car si le sud de l’Etat est vraiment en train de s’effacer petit à petit sous les eaux, il y a un autre aspect qui risque de disparaître : l’histoire et la culture de toute une communauté. En effet, les choses changent inexorablement avec le temps. Alors que les grands parents ne parlent que le français, les parents aujourd’hui parlent à la fois l’anglais et le français tandis que les enfants ne parlent presque que l’anglais. On rencontre aujourd’hui dans une même famille, deux générations qui n’arrivent plus à communiquer. Heureusement, il y a une réelle prise de conscience de ce phénomène. Une prise de conscience essentielle puisqu’on cherche maintenant par quels moyens on pourrait transmettre cet héritage, comment perpétuer cette tradition. Un travail tout de même rendu difficile de par les problèmes de communication…

Propos recueillis par Mathieu Payan
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