INTERVIEW

TOUS AU LARZAC

© Ad Vitam

TOUS AU LARZAC


Christian Rouaud

réalisateur et scénariste


Journaliste :
Combien de temps cela prend-t-il de faire un film comme "Tous au Larzac" ?

Christian Rouaud :
Cela prend trois ans. Si vous voulez, je suis allé voir les gens sur le plateau du Larzac en 2008, pour voir s’il y avait les personnages et si je pouvais raconter cette histoire. J’ai fait avec eux une interview avec un petit magnétophone, en leur faisant raconter tout ce qu’ils pouvaient, et je me suis retrouvé avec 750 pages d’entretiens. C’est à partir de tout cela que j’ai écrit le film. Après, il s’est écoulé deux ans, pendant lesquels les producteurs ont cherché le financement, et moi les archives. J’ai commencé à tourner en juillet 2010, pendant six semaines, puis deux semaines en septembre de la même année. Enfin, il y a eu six mois de montage image et un mois de montage son, en particulier pour sonoriser les archives. Plus l’étalonnage et le mixage, cela nous fait trois ans.

Journaliste :
Est-ce qu’entre le moment où vous décidez de faire le film et celui où vous passez à sa réalisation proprement dite, les évènements contemporains vous légitiment dans votre démarche ?

Christian Rouaud :
Non, j’ai su en écrivant l’histoire que ça allait parler de nous, aujourd’hui. Je m’étais déjà rendu compte de cela en faisant mon film sur « les Lip », qui parlaient déjà d’aujourd’hui. A pleins d’égards, c’est le début d’une période, ces deux histoires. « Les Lip », c’est le début du libéralisme, et là c’est le début du moment où les paysans commencent à réfléchir sur le monde. Aujourd’hui, ceux sont eux qui réfléchissent sur la bouffe, sur l’avenir de la planète.

Journaliste :
Ce qui frappe quand on voit le film, c’est que ces gens n’étaient pas politisés, puis le sont devenus, d’ailleurs sans forcément d’idée de bord politique, par la force des choses et de l’action. Et c’est quelque chose de très contemporain.

Christian Rouaud :
Oui. Il leur tombe un coup de massue sur la tête, leur vie s’écroule, ils vont avoir très vite l’intelligence de savoir qu’ils ne s’en sortiront pas tous seuls. Et donc ils font appel. C’est vrai que la conjoncture leur est favorable, puisqu’on est dans l’après-68, et arrivent là tous les militants de l’époque, quelle que soit leur obédience. C’est dans cet espèce de melting-pot incroyable qu’ils vont, eux, progresser. En se frottant à tout ça… Ils sont à la fois extrêmement émus de voir ces gens qu’ils ne connaissent pas venir soutenir leur combat, et en même temps chacun vient avec sa valise. Tout le monde voulait, d’une certaine façon, récupérer le Larzac pour sa chapelle. Ce qui est formidable, c’est que sur ces dix années, les chapelles vont peu à peu s’écrouler, et les gens vont s’écouter. Dans le film, Michel (Courtin, NDLR) parle d’une « porosité aux idées des autres », et c’est une très belle formule.

Journaliste :
Ce qui m’a interpellé, dès le début du film, c’est que vous avez voulu faire du Larzac contemporain un authentique décor cinématographique. Non seulement vous célébrez la lutte des habitants du Larzac, mais vous célébrez également la beauté du lieu en lui-même.

Christian Rouaud :
Pour moi, le paysage se devait d’être l’un des protagonistes du film. Il y a neuf personnages, dans le film, plus le paysage. Et surtout, il y a l’idée du western, qui m’est venue tout de suite, car le Larzac est un décor de western. Le plan d’intro, avec Léon (Maille, NDLR) qui court, c’est un plan de western. D’ailleurs, j’ai revu une quarantaine de westerns avant de faire ce film, pour bien me mettre ça dans l’œil. Pour moi, c’est un western à tous égards : les pionniers qui arrivent au départ pour occuper un espace vide, la spoliation de la terre, l’occupation des fermes par l’armée encerclée par les paysans, la création d’une communauté…

Journaliste :
Est-ce qu’il vous a été facile de convaincre les protagonistes de cette histoire de se livrer à vous ?

Christian Rouaud :
Je vais vous dire : la raison pour laquelle j’ai fait ce film, c’est que quand j’ai tourné "Les Lip", j’avais tourné une séquence sur l’histoire du Larzac, qui avait sauté au montage. Et j’ai reçu un jour le journal du Larzac, dans lequel il y avait une critique du film, assez élogieuse, mais qui disait qu’il était dommage qu’on n’y parle pas du Larzac, et qui terminait en disant qu’il serait bien de faire un film de cette qualité sur l’histoire du Larzac. Ils étaient donc tous très contents que je vienne faire un film sur eux !

Propos recueillis par Frédéric Wullschleger
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