© Mars Distribution
acteur et réalisateur
Journaliste :
Vous avez réalisé des documentaires au début de votre carrière. Vous êtes-vous posé la question de faire de cette histoire un documentaire pour le cinéma ?
Vincent Garenq :
Non pas du tout, je ne veux plus faire de documentaire. Je faisais cela pour gagner ma vie, mais j’ai toujours voulu faire du cinéma. Alors certes, cela m’a appris beaucoup de choses et j’ai été très content de passer par là. Or non seulement je ne veux plus en faire, mais en plus en lisant le livre, qui a servi de base à « Présumé coupable », je voyais un film.
Journaliste :
Vous auriez pu en faire un grand film documentaire à la Depardon.
Vincent Garenq :
On a souvent pensé à Depardon, notamment en filmant la scène de fouille au commissariat. Là nous ne répétions même pas, nous étions avec de vrais policiers.
Journaliste :
Quand l’affaire a éclaté, l’aviez-vous suivie ? Et comment avez-vous réagi ?
Vincent Garenq :
Je ne savais rien dans le détail de l’affaire d’Outreau. C’est vraiment en lisant le livre d’Alain [Marécaux, ndlr] que j’ai découvert en profondeur ce qui c’était passé. Et quand je suis parti sur ce projet, j’ai lu tout ce qui s’était dit et écrit sur le dossier.
Journaliste :
Est-ce que le fait que ce soit un huissier de justice, un homme de loi, qui se soit fait arrêter et mal juger vous a davantage interpellé ?
Vincent Garenq :
C’est vrai qu’il y a une ironie terrible. Mais l’histoire d’Alain raconte l’histoire de tous les autres. Sauf que la sienne est encore plus emblématique : sa femme est arrêtée, son histoire parallèle est terrifiante.
Journaliste :
Philippe, vous dites que c’est « Comme un cri que je me sentais obligé de pousser à la place de quelqu’un ». Vous étiez révolté ?
Philippe Torreton :
A la lecture du livre d’Alain et du scénario qui en été tiré, oui bien sûr. Ce cri, c’était aussi pour dire : Regardez comment tout peut se transformer, se dévier, comment une machine peut devenir folle, comment elle peut broyer des gens. Quand on perd sa femme, ses enfants, sa maison, son métier, qu’on revend son étude, c’est… On ne peut pas perdre plus que tout ce que cet homme a perdu…
Journaliste :
Quelle question avez-vous posée à Alain Marécaux quand vous l’avez rencontré pour la première fois ?
Philippe Torreton :
Je n’avais rien prémédité, je ne m’étais pas fait un petit carnet avec des questions. Je fais confiance à la vie ! J’étais vite dans mes tous petits souliers, parce qu’on se rend rapidement compte que la douleur d’Alain est très présente, très impressionnante. Il est d’une émotivité folle. Il était heureux de me rencontrer et on était dans un respect mutuel. Je lui ai finalement demandé peu de choses, j’ai juste voulu savoir comment il priait. Le reste, je ne me sentais pas le droit de le questionner, d’ouvrir toutes ses cicatrices. Le scénario, validé par Alain, me suffisait.
Journaliste :
Vous racontez que vous avez perdu beaucoup de poids pour les besoins du film et que vous étiez à fleur de peau pendant le tournage. Est-ce que ce sont des émotions qui décuplent votre interprétation ?
Philippe Torreton :
Je ne savais pas trop comment faire ressortir ces émotions. Je savais que le régime entraînerait quelque chose. Ça isole un peu de faire un régime draconien. Vous n’allez plus à la cantine du tournage, vous évitez les restos avec les copains. Je me suis entretenu dans une sorte de jus mélancolique. Ce qui est déstabilisant, c’est qu’il n’y a pas de formule dans notre métier. Pour moi, lire ce scénario a été extrêmement violent et choquant. Pour le jouer, je ne savais pas comment faire, j’ai eu de grands moments de solitude. Personnellement, j’essaie de me mettre « à la place », d’imaginer concrètement ce que peut être une fouille au corps, un interrogatoire, un isolement…
Journaliste :
Est-ce que le fait d’avoir fait ce film aide à la reconstruction d’Alain Marécaux ?
Vincent Garenq :
Je parle pour lui, mais il dit que sa reconstruction s’est faite en quatre étapes. Son livre, l’acquittement, la prestation de serment et le film.
Journaliste :
Avez-vous rencontré des difficultés d’autorisations de tournage ?
Vincent Garenq :
Quand je suis arrivé dans le Nord, je pensais qu’on allait presque nous dérouler le tapis rouge. Pas du tout. Je n’ai pas pu tourner dans le vrai tribunal, il a fallu que j’aille à Paris. Idem concernant les prisons où nous avons été tourné, en Belgique !
Journaliste :
Avez-vous fait un film contre la Justice ou contre les personnes qui l’incarnent ?
Vincent Garenq :
Je n’ai pas fait un film à charge, je raconte juste ce qui s’est passé. Je décris l’erreur judicaire. Ce film est quasi inattaquable. En plus, nous nous sommes mis des freins, sinon on nous aurait dit que le film serait caricatural. Outreau, c’est une énormité ! Le fils d’Alain nous a dit comment des policiers à peine formés lui faisaient dire que son papa lui avait touché le zizi. Puis après dans la procédure, au fil des écrits, la phrase devenait « masturbait ».
Journaliste :
On dit que le juge Burgaud était trop jeune pour une telle affaire ?
Philippe Torreton :
C’est vrai qu’en Belgique, comme dans d’autres pays, on ne peut pas être juge avant un certain âge. Il faut avoir vécu l’appareil judicaire sous d’autres formes avant de prétendre pouvoir juger dans des affaires de mœurs par exemple… Il faut bien que la vie soit passée par soi pour piger toute sa complexité, comprendre qu’elle est pleine de paradoxes. À 26 ou 28 ans, comment aurais-je pu me projeter juge ? Décider de condamner à tant d’années ? Ce film n’est donc pas à charge, c’est un film « pour » la Justice, qui devrait s’en emparer pour éveiller les consciences et proposer des réformes.
Cinémas lyonnais
Cinémas du Rhône
Festivals lyonnais