INTERVIEW

OMAR M'A TUER

© Mars Distribution

OMAR M'A TUER


Roshdy Zem et Sami Bouajila

réalisateur et acteur


Le deuxième film de Roshdy Zem « Omar m’a tuer » revient sur le procès et la condamnation de Omar Raddad, jeune Marocain inculpé du meurtre de Madame Marchal. Roshdy Zem, accompagné de son acteur principal Sami Bouajila, nous présente les motivations de ce retour en arrière qui éclaire sur les aspects les plus sombres de cette affaire…


Roshdy Zem insiste notamment sur le fait qu’il n’apporte aucun fait nouveau. Son film ne fait que rappeler les éléments du dossier.
RZ : Je voulais poser des vraies questions à travers ce dossier, uniquement à partir de faits avérés. Je voulais faire comprendre que cela peut arriver à n’importe qui de se retrouver dans cette situation, mais là l’actualité m’a rattrapé (l’affaire Strauss-Kahn, ndlr) ! Je ne voulais pas dénoncer la Justice mais bien certaines personnes qui sont censées la représenter et l’honorer. Parce que si le dossier Omar Raddad est si fragile, c’est qu’il y a eu des actes délibérés à l’encontre de l’enquête. Pour moi, il n’y a pas eu d’erreur judiciaire, il y a eu des volontés de faire disparaître des éléments à décharge. Ce film est une façon de dénoncer cette machine qui se met en route et qui, quand elle décide de vous écraser, ne vous laisse plus aucun moyen pour faire marche arrière…

Roshdy Zem a rencontré de nombreuses personnalités pour faire son film, Vergès, la partie civile… Il nous apprend qu’en mettant le film en route, il a également été visé directement par diverses menaces.
RZ : J’ai rencontré par exemple Maître Leclerc, qui est un grand avocat, et qui était celui de la partie civile dans l’affaire Raddad. J’ai découvert, et c’est mon opinion personnelle, un homme très embarrassé qui ne se vante pas sur les toits de Paris d’avoir fait condamner Omar Raddad à 18 ans de prison.
D’autre part, la famille de la victime m’a menacé de poursuites judiciaires si je faisais le film. La dernière lettre de menaces que j’ai reçue me disait ce qui devait être dans le film. Notamment, il fallait qu’on sache qu’il a été condamné à 18 ans de prison et que son pourvoi en cassation a été rejeté ! Moi je n’ai pas fait un film polémique, il n’y a aucun scoop, il n’y a rien de nouveau. Je pose juste de vraies questions.

Roshdy Zem était intéressé de raconter l’affaire « Raddad », mais il était également motivé de tirer le portrait d’un homme : Omar.
RZ : Je voulais raconter cette histoire à travers les yeux d’Omar Raddad, dont on a beaucoup parlé dans les médias et dont on sait peu de chose. Cet homme a rapidement perdu son patronyme : pour tout le monde c’était Omar. Le Président, comme le public, l’appelle Omar. Son parcours m’a intéressé. Et c’est le livre de Rouard qui a été déclencheur dans mon envie de faire le film. Parce que d’une part, j’avais la possibilité de partir sur une contre-enquête et d’autre part, je trouvais la personnalité du romancier devenu académicien très cinématographique. Ça me permettait d’éviter le cliché de l’inspecteur qui mène sa propre contre-enquête et qui donne un côté film policier trop classique.

Roshdy Zem nous parle de son parti-pris pour sa réalisation, qu’il a voulu dichotomique à l’image des deux personnages principaux.
RZ : On ne filme pas de la même manière Sami Bouajila et Denis Podalydès (respectivement Omar Raddad et Pierre-Emmanuel Vaugrenard dans le film, ndlr) ! Sami, tout comme il est écrasé par le système judiciaire, est écrasé par la caméra. On a tourné dans une vraie prison, une cellule très petite avec très peu de recul, l’équipe et la caméra étaient presque sur Sami. On lui a ôté ainsi toute forme de liberté. J’ai aussi choisi la caméra à l’épaule pour rendre ce côté fragile et fébrile de l’homme. En revanche, je prends plus de recul avec Denis, qui a ainsi toute sa liberté, et j’utilise la caméra sur pied ou rail pour obtenir de la fluidité et de la stabilité. Le traitement de l’image est également un peu différent entre les deux personnages : il y a un léger blanchiment sur les images de Omar Raddad post-1994.

Sami Bouajila nous explique comment il a appréhendé le personnage d’Omar Raddad.
SB : Le but du jeu était de retrouver l’authenticité du personnage. J’ai lu le scénario et j’ai plongé dans les témoignages qui ont servi à Roshdy. A mes yeux, ce qui caractérise Omar, c’est son physique, sa difficulté à communiquer et celle pour comprendre. J’ai fantasmé mon Omar. Je me suis abreuvé d’images et de sons d’Omar. C’est quelqu’un de droit, d’épuré. Je ne pouvais pas cabotiner avec ce personnage. Moi qui suis très expressif, il fallait que je calme mon jeu pour caractériser sa retenue et sa sobriété.

Roshdy Zem nous parle du procès et de l’intrusion du racisme aux Assises.
RZ : Raddad m’a dit « Au procès, j’ai rien dit, parce que j’ai rien fait. Pourquoi j’aurais dit quelque chose ? » Il n’a pas les mêmes codes que nous. Leclerc m’a dit une chose très juste : « Il n’y a rien de pire que les innocents pour se défendre. » Jusqu’au procès, Omar est persuadé que Justice va être rendue. Il attend, mais il a un vrai respect pour l’uniforme et la Justice. Au procès, son calme apparent a joué contre lui. Vergès dit d’ailleurs qu’« il a le calme d’un assassin »…
Concernant ses origines marocaines, Raddad a senti uniquement le problème aux Assises, avec son président. Avec les gendarmes, tout s’est bien passé ; les surveillants en prison ont selon lui étaient très corrects. La seule fois où il a senti être confronté au racisme, c’est face au président de la cours d’assise, qui l’a appelé par son prénom et a estimé que pour un type qui ne faisait pas de mal à une mouche, il avait quand même égorgé un mouton… Cette remarque veut quand même dire que tous les musulmans sont des assassins potentiels. Même la partie civile a été surprise par ce discours et par le fait que Vergès n’ait pas contre-attaqué. Mais Vergès ne voulait pas faire de scandale. Pour lui, le procès a commencé au verdict, il a perdu le procès mais a gagné la bataille des médias. Le public pensait majoritairement Raddad innocent.

Propos recueillis par Mathieu Payan
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