INTERVIEW

QUI A ENVIE D’ÊTRE AIMÉ ?

© Haut et Court

QUI A ENVIE D’ÊTRE AIMÉ ?


Anne Giafferi, Eric Caravaca et Laurence Petit

réalisatrice-scénariste, acteur et distributrice du film


Journaliste :
Parlez-nous d’abord de la genĂšse du film, de ce qui vous a intĂ©ressĂ© dans cette histoire.

Anne Giafferi :
L’histoire est adaptĂ©e d’un livre que mon mari a Ă©crit [« Catholique anonyme » de Thierry Bizot]. C’est une adaptation assez libre de cette histoire qui lui est arrivĂ©e. Ce qui m’intĂ©ressait dans son histoire, c’était l’expĂ©rience spirituelle. J’ai recrĂ©Ă© toute l’histoire familiale autour du personnage principal, ce qui permettait Ă  la fois de prendre du recul par rapport au hĂ©ros – parce que je n’avais pas envie de faire un film sur mon mari, sur notre famille, ça m’aurait un peu refroidie – et aussi de donner de la profondeur au personnage, d’essayer de comprendre pourquoi ça lui arrivait Ă  lui et pas Ă  un autre alors que c’était vraiment quelqu’un dont on aurait pu dire : « ça ne lui arrivera jamais ». Ce qu’il y a d’intĂ©ressant dans la spiritualitĂ© de chacun, c’est ce que ça raconte des gens. Pourquoi les uns sont croyants, pourquoi les autres non ? Comment ils placent le curseur de ça ? Il y a toujours une histoire personnelle derriĂšre cela, et que je trouve touchante. Finalement, c’est plus intĂ©ressant de comprendre pourquoi les gens sont croyants ou non, que de dĂ©battre sur l’existence ou la non-existence de Dieu qui, finalement, ne mĂšne Ă  pas grand-chose. Personne ne sait ce qu’il en est.

Journaliste :
Qu’est-ce que votre mari a pensĂ© du film ?

Anne Giafferi :
Il a beaucoup de recul par rapport au personnage d’Antoine, parce qu’il est assez diffĂ©rent de lui, finalement. Mais il trouve que l’histoire est trĂšs fidĂšle Ă  ce qu’il a ressenti et Ă  ce qu’il a vĂ©cu. Donc c’est Ă  la fois diffĂ©rent et trĂšs fidĂšle.

Journaliste :
Eric, qu’avez-vous puisĂ© dans le livre d’origine par rapport au scĂ©nario ?

Eric Caravaca :
C’est une histoire intĂ©rieure, l’intimitĂ© d’une lecture. On peut retrouver cela au cinĂ©ma, mais un peu moins dans un scĂ©nario, car on est tout de suite plus habituĂ© Ă  vouloir voir les diffĂ©rents personnages


Anne Giafferi :
Ce que je trouve trĂšs fidĂšle dans le jeu d’Eric, par rapport au personnage qui est dans le livre, c’est le cĂŽtĂ© un peu maladroit, de mauvaise foi parfois, qui se prend les pieds dans le tapis assez rĂ©guliĂšrement par rapport Ă  son entourage. C’est quelque chose de trĂšs fidĂšle Ă  ce que Thierry raconte dans son livre. C’est ce qui crĂ©e vraiment le cĂŽtĂ© sympathique du personnage, dans lequel on peut se retrouver.

Journaliste :
Quel Ă©tait votre rapport Ă  la religion avant ce film ? Est-ce que vous auriez pu avoir la mĂȘme expĂ©rience que le personnage ?

Eric Caravaca :
Ca m’est arrivĂ© aussi ! J’étais trĂšs pratiquant, au moins cinq annĂ©es de ma vie. Moi et mon frĂšre, qui a mĂȘme fait le sĂ©minaire d’Issy-les-Moulineaux pour ĂȘtre prĂȘtre. Donc j’ai eu une histoire comme celle-lĂ , mais Anne n’était pas au courant. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles j’ai Ă©tĂ© touchĂ© par le scĂ©nario. Cela m’a allumĂ© pendant quelques annĂ©es, mais pas tellement de maniĂšre complĂštement bĂ©ate ! Il y avait une communautĂ© de gens, aussi, avec qui je m’entendais bien, il y avait matiĂšre Ă  rĂ©flexion, des sĂ©minaires, des pĂ©lerinages, Ă  St-François-d’Assises, Ă  Rome
 Cela m’a beaucoup donnĂ©, cela m’a rempli Ă  un moment de ma vie. Mais c’est fini ! Je crois certainement en quelque chose : je crois que je suis espagnol donc catholique quoiqu’il arrive. MĂȘme les Espagnols qui ont essayĂ© de se dĂ©tacher de la foi artistiquement, sont retombĂ©s en plein dedans !

Anne Giafferi :
Moi, j’ai reçu une Ă©ducation catholique classique, assez culturelle : j’ai Ă©tĂ© baptisĂ©e, j’ai fait ma communion, je me suis mariĂ©e Ă  l’église
 Mais je n’ai jamais Ă©tĂ© Ă  la messe, et j’ai un certain recul par rapport Ă  cela. Je ne vais pas plus Ă  la messe, maintenant que Thierry a Ă©tĂ© touchĂ© par la foi. Je reste sur la mĂȘme position : je me pose des questions. Parfois j’ai l’impression que je crois en Dieu, parfois non. Je n’ai pas une spiritualitĂ© trĂšs dĂ©veloppĂ©e.

Journaliste :
Comment avez-vous préparé ce rÎle ?

Eric Caravaca :
Le plus nouveau, pour moi, Ă©tait la paternitĂ©, parce que je suis un jeune papa et il y avait aussi tout cela dans le scĂ©nario : cette histoire de famille. Donc c’était aussi trĂšs important. C’est de cette famille qu’il se dĂ©tache un peu pour prendre du temps, pour ĂȘtre touchĂ© par cette foi qui l’habite subitement. Donc j’ai plutĂŽt abordĂ© ce rĂŽle comme ça, du cĂŽtĂ© du pĂšre. Il y a vraiment aussi une Ă©nigme Ă  rĂ©soudre pour Antoine : son pĂšre, cette histoire de famille qu’il porte sur les Ă©paules


Anne Giafferi :
Oui, l’histoire de famille est presque aussi importante que l’expĂ©rience spirituelle. C’est vraiment une composante trĂšs importante du personnage.

Eric Caravaca :
Et c’est l’histoire d’un pùre, aussi ! De son pùre à lui, de lui qui est pùre


Anne Giafferi :
D’ailleurs, Ă  un moment, nous voulions appeler le film « Le PĂšre, le Fils, le Saint-Esprit » ! C’est assez reprĂ©sentatif, finalement. Ce personnage, au moment oĂč son fils est en train de devenir un homme, se dit : « s’il y a quelque chose Ă  faire, Ă  dire et Ă  ne pas reproduire, c’est maintenant, aprĂšs ce sera trop tard ». Donc c’est au sujet de l’ñge de son fils, qui est en train de grandir, et c’est aussi Ă  propos de lui, qui est aux abords de la quarantaine. C’est un moment spĂ©cial de sa vie et il se pose des questions.

Journaliste :
Pourquoi en avoir fait un avocat ?

Anne Giafferi :
Je voulais qu’il soit d’un milieu socio-professionnel assez aisĂ©, quelqu’un de brillant, qui gagne bien sa vie. Et puis le parallĂšle entre la loi des hommes et la loi de Dieu m’intĂ©ressait : la robe des avocats et la soutane, les discours, les plaidoiries, les sermons... Je trouvais qu’il y avait une correspondance entre ces deux univers.

Journaliste :
Vous avez rĂ©servĂ© un traitement trĂšs particulier du personnage dans son rapport Ă  l’autre, ses rapports physiques surtout. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Anne Giafferi :
Ce que je trouvais important de souligner, dans sa relation avec son pĂšre et avec son fils, c’est le manque de rapport physique, l’impossibilitĂ© de se toucher presque. C’est un homme qui prend sa petite fille dans ses bras sans problĂšme, qui lui fait des cĂąlins, qui joue avec elle, qui la met dans son lit
 Or son petit garçon, il ne le touche jamais, comme son pĂšre l’a fait avec lui. On sent cette espĂšce d’incapacitĂ© Ă  se toucher. Il y a une scĂšne importante dans la voiture, quand le pĂšre fait tomber sa main : on sent que c’est un manque d’habitude, ça le surprend, ça le choque, et en mĂȘme temps, Ă  ce stade du film, c’est comme s’il allait ĂȘtre contaminĂ© par son pĂšre ! Il se dĂ©tache de lui, et c’est un refus de contamination. Il ne veut pas ĂȘtre comme lui.

Journaliste :
Il y a aussi cette scĂšne oĂč il va dans l’église, oĂč il sert des mains puis se lave les siennes en revenant dans sa voiture


Anne Giafferi :
Oui, c’est un personnage qui a des problĂšmes avec cela, qui n’aime pas les familiaritĂ©s et les rapports physiques. C’est aussi pour montrer qu’il n’est pas dans l’expression des sentiments mais plutĂŽt sur la rĂ©serve.

Journaliste :
Et que pouvez-vous dire de son rapport avec sa femme ?

Anne Giafferi :
Quand on est trĂšs proche des gens, on finit par ne plus faire tellement d’efforts. Et il est Ă  une pĂ©riode de sa vie oĂč il est dans une espĂšce de bulle personnelle. Il est trĂšs concentrĂ© lĂ -dessus, c’est quelqu’un de passionnĂ©, il est dans cette relation avec Dieu qui, Ă  un moment, le coupe un peu de sa femme. Mais quand il prend conscience que cela lui fait de la peine et la fait souffrir, ça lui est insupportable.

Journaliste :
On dirait d’ailleurs une sorte d’adultĂšre. L’avez-vous aussi vĂ©cu comme ça ?

Anne Giafferi :
Dans la rĂ©alitĂ©, je savais que Thierry allait Ă  ces rĂ©unions. Mais il est vrai qu’au bout d’un mois et demi, je me suis aperçue qu’il avait beaucoup de livres sur JĂ©sus, sur Dieu
 Il ne lisait quasiment que ça ! Et Ă  un moment, j’ai un peu eu une inquiĂ©tude. Je me suis dit : « qu’est-ce que ça va donner ? » A la limite, lutter contre une femme, c’est plus « facile » et lutter contre Dieu, c’est presque pire, puisque ça serait quelque chose d’impossible ! Mais cette inquiĂ©tude n’a pas duré 

Journaliste :
Le film donne l’impression de se moquer tantĂŽt des catholiques, tantĂŽt des athĂ©es. C’est voulu ?

Anne Giafferi :
On se moque un petit peu des deux, effectivement. Du moment oĂč il y a un peu d’intolĂ©rance, d’a priori et de prĂ©jugĂ©s, il y a de quoi prendre un peu de recul et se moquer un peu. La catĂ©chĂšse, par exemple, que l’on pourrait trouver un peu caricaturale, devait Ă  mon avis ĂȘtre montrĂ©e, parce que c’est comme cela que le personnage la voit quand il arrive : il a vraiment l’impression d’ĂȘtre tombĂ© dans la cour des miracles, et c’est ça aussi qui rend son Ă©volution intĂ©ressante.

Journaliste :
On sent déjà ce double regard sur la religion dans la série « Fais pas ci, fais pas ça », sur laquelle vous avez travaillé avec Thierry Bizot, mais avec un style complÚtement différent. Ici, vous avez voulu faire quelque chose de plus intimiste ?

Anne Giafferi :
Oh, dans « Fais pas ci, fais pas ça », il doit y avoir un Ă©pisode oĂč on parlait de religion


Journaliste :
Pas forcĂ©ment qu’un Ă©pisode ! Les deux familles ont quand mĂȘme des visions diffĂ©rentes de la religion


Anne Giafferi :
Oui, il y en a une qui est un peu plus catholique et pratiquante que l’autre, mais c’est vraiment le principe de base de « Fais pas ci, fais pas ça » : il y a deux familles qui sont diffĂ©rentes dans la façon de voir la religion, la politique, l’éducation des enfants. Le film est moins portĂ© sur la comĂ©die de premier degrĂ© comme « Fais pas ci, fais pas ça », oĂč le but premier c’est de faire rire. C’est un film qui essaie d’apporter un peu plus de profondeur.

Journaliste :
Mais il aurait pu ĂȘtre plus dramatique, il y a aussi des moments d’humour.

Anne Giafferi :
Je trouve ça bien de pouvoir aborder des sujets profonds comme celui-ci avec lĂ©gĂšretĂ©, et aussi beaucoup de tendresse, de recul. ValĂ©rie Bonneton, c’est le petit contre-point de comĂ©die de cette histoire ; c’est la fille qui est un peu paumĂ©e et qui rigole d’elle-mĂȘme. C’est sympathique et ça ne peut que toucher, Ă©mouvoir et en mĂȘme temps faire rire. J’aime bien ce recul sur les choses. D’ailleurs, la seule personne pour laquelle j’ai vraiment Ă©crit le rĂŽle, c’est ValĂ©rie Bonneton. Parce que je la connaissais, j’avais envie de l’avoir dans ce film.

Journaliste :
Et d’oĂč vient ce choix de Benjamin Biolay dans le rĂŽle du fils prodigue ?

Anne Giafferi :
Je ne l’avais jamais vu en concert, ni mĂȘme au cinĂ©ma. Je l’avais vu uniquement sur des plateaux de tĂ©lĂ©vision et Ă  chaque fois, j’étais frappĂ©e d’abord par la prĂ©sence qu’il avait, cette espĂšce de carrure impressionnante, ce regard, cette façon de remettre ses cheveux, et surtout son cĂŽtĂ© dĂ©sinvolte et l’air de se foutre complĂštement de ce que les gens pouvaient penser de lui. C’est quelque chose qui m’intĂ©ressait pour le personnage.

Journaliste :
D’oĂč vient le choix de l’affiche ?

Anne Giafferi :
C’est une idĂ©e de la distributrice.

Laurence Petit :
C’est une belle histoire ! A Haut et Court, on acquiert des films sur scĂ©nario, donc ça fait une petite annĂ©e qu’on travaille ensemble. On a suivi le tournage, le montage. La toute premiĂšre fois que j’ai vu l’un des premiers montages, je me suis dit qu’il fallait un dessin pour illustrer le film. Je l’ai senti en voyant le film. Et j’ai tout de suite pensĂ© Ă  SempĂ©, mais en me disant que ça allait ĂȘtre compliquĂ©. Le plus drĂŽle est que Thierry Bizot connaĂźt bien la galeriste de Jean-Jacques SempĂ©. Nous lui avons organisĂ© une projection pendant la postproduction du film. Jean-Jacques est sorti du film en disant : « Je pourrais vous raconter que je vais mettre huit jours et huit nuits Ă  me tordre l’esprit pour trouver un dessin qui illustre ce film et non je sais ce que je vais faire » ! Et nous avons eu une premiĂšre esquisse de dessin trĂšs rapidement. Il a acceptĂ© d’écouter nos critiques et de retravailler deux-trois petites choses sur le dessin, notamment la foule qui entoure ce personnage, mais tout de suite, cette idĂ©e du petit personnage levant le doigt, c’est vraiment pendant le film qu’il en a eu l’idĂ©e. Donc c’est un peu un petit miracle, surtout qu’il n’a fait qu’une affiche durant sa carriĂšre, en 1981 pour « De Mao Ă  Mozart », donc il nous a fait un cadeau incroyable ! Et ça s’est fait en toute simplicitĂ© !

Journaliste :
Le choix du titre s’est fait avant l’affiche ?

Laurence Petit :
Oui. Nous nous sommes longtemps demandés si nous gardions le titre du livre.

Anne Giafferi :
Et il est vrai que « Qui a envie d’ĂȘtre aimĂ© ? » parle plus de tous les personnages du film. Ils ont tous un problĂšme d’amour.

Laurence Petit :
Et c’est l’identitĂ© mĂȘme du film d’Anne. « Catholique anonyme » appartient vraiment au livre de Thierry. L’adaptation qu’en a fait Anne devait avoir un titre est trĂšs interpelant, un titre qui ouvre.

Anne Giafferi :
Je crois vraiment qu’on peut voir ce film et l’apprĂ©cier, que l’on soit croyant ou non. Il n’est pas rĂ©servĂ© Ă  une catĂ©gorie de personnes. Il peut parler Ă  tout le monde.

Propos recueillis par Raphaël Jullien
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