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réalisateur et acteurs
Grenoblois d’origine, Teddy Lussi-Modeste est venu en terre lyonnaise avec ses deux comédiens principaux, Guillaume Gouix et Serge Riaboukine, pour défendre son premier long-métrage « Jimmy Rivière », qui se déroule dans le milieu des gens du voyage, monde que connaît bien le réalisateur puisqu’il en est lui-même originaire. Interview.
Journaliste :
Quel est la part autobiographique de votre premier film ?
Teddy Lussi-Modeste :
Jimmy Rivière n’est pas un film autobiographique, mais très personnel. Ce que je partage avec le rôle-titre du film, c’est cette problématique : « comment appartenir à un groupe tout en étant différent ». Pour moi, l’enjeu était que cette histoire puisse être universelle, que chaque spectateur puisse s’identifier à Jimmy Rivière, puisse voir en ces « voyageurs » des hommes avant tout et, enfin, puisse rejoindre cette communauté des hommes grâce à cette fiction.
Journaliste :
Vouliez-vous faire changer le regard sur les gens du voyage ?
Teddy Lussi-Modeste :
J’ai eu cette envie, en effet, de présenter ces hommes sous un jour que je connais, car je suis moi-même issu de cette communauté. C’est vrai que j’ai eu envie de les présenter de manière plus juste, plus vraie. Ensuite, je n’ai pas voulu faire un documentaire. J’ai réalisé un film de fiction, j’ai raconté une histoire.
Journaliste :
Vous dites que vous ne faites pas complètement partie de la communauté des gens du voyage. Comment vous le vivez ?
Teddy Lussi-Modeste :
J’appartiens à cette communauté tout en étant différent. Très jeune, j’ai eu le désir de lire, et dans ma famille, c’était considéré comme étrange. J’avais l’impression d’être vu comme un étranger, un « gadjo ».
Journaliste :
Et faire du cinéma, ce n’était pas pire aux yeux de votre famille ?
Teddy Lussi-Modeste :
Paradoxalement, non ! Les voyageurs vont beaucoup au cinéma. Ils sont très cinéphiles. Finalement, faire ce film m’a permis de me rapprocher de ma famille. C’est devenu un vrai sujet de discussion ! Mais je ne sais pas si cela va me rapprocher de la communauté, car le film n’est pas encore sorti sur les écrans. Je me demande quelles seront leurs réactions face au film, face aux tabous que j’aborde.
Journaliste :
Comment avez-vous vécu les événements qui sont survenus l’été dernier en 2010 contre les gens du voyage et les Roms ?
Teddy Lussi-Modeste :
Mon film a été écrit et tourné avant ces événements. Je n’ai pas été surpris par ce qui s’est passé à l’été 2010. En effet, pour les besoins du tournage, des maires nous avaient refusé l’accès à des terrains. Un maire ne nous a pas donné l’autorisation de tourner sur sa commune une scène entre deux personnages, parce qu’il savait que c’était un film avec des gens du voyage. Il y avait déjà dans l’air cette chose ignoble qui s’est passée cet été. J’ai vécu ces événements avec une grande violence et sans vraiment pouvoir les théoriser. Je ne comprenais pas pourquoi « tous » les gens de la communauté du voyage devaient être punis parce que quelque uns avaient fait quelque chose d’illégal, et comment l’amalgame entre gens du voyage et Roms avait pu être autant soutenu voire même voulu par les pouvoirs publics. Il convenait simplement de punir les citoyens qui avaient commis des actes répréhensibles et pas toute une communauté.
Journaliste :
Serge et Guillaume, est-ce que vous êtes allés à la rencontre des gens du voyage avant le tournage ?
Guillaume Gouix :
Teddy nous a emmené à Gien où il y avait un rassemblement de 30 000 gens du voyage pour un culte pentecôtiste. Nous sommes restés deux jours en nous faisant un peu discrets pour observer. A Marseille, Teddy m’a présenté à certains voyageurs et j’ai pu vivre avec eux des choses du quotidien ; j’ai notamment fait les marchés, histoire de les côtoyer et de sentir leur énergie. Teddy et moi ne voulions pas que j’imite un voyageur à la virgule près. J’ai apporté beaucoup de moi, de mon histoire, tout en utilisant leur énergie, leur côté solaire et leur caractère à la fois contenu et extravagant.
Serge Riaboukine :
J’ai effectivement découvert cette communauté comme Guillaume à cette convention. J’ai aussi regardé un DVD, pas entier, mais un prêche m’a suffit à cerner comment se conduisent les pasteurs. Ils ont un ton, un débit commun à tous et qui est impressionnant, avec une puissance vocale. Je me suis attaché à trouver quel pasteur j’aurai été si j’avais eu à épouser cette religion pour, comme Guillaume, apporter quelque chose de moi.
Journaliste :
On pense beaucoup aux prédicateurs américains.
Serge Riaboukine :
C’est très proche. Au même titre que des prédicateurs entrent en transe, à la convention, j’ai vu des personnes prêtes à s’écrouler sur elle-même d’émotions, comme si elles étaient touchées par une révélation. C’est très physique, impudique, mais jamais « vulgaire ». C’est très impressionnant, on n’est pas habitué à voir cela dans nos églises par exemple.
Journaliste :
Vous avez écrit de très beaux rôles de femmes dans votre film. Est-ce que le personnage de Hafsia Hersi était initialement une vraie tornade, ou est-ce qu’elle a amené sa fougue dans ce rôle ?
Teddy Lussi-Modeste :
Au moment où j’ai rencontré Hafsia pour ce rôle, il faut savoir que son personnage existait peu. Quand je l’ai rencontrée, j’ai senti le fort désir qu’elle avait pour le film et je me suis rendu compte que je pouvais mener l’histoire plus vers elle. J’ai donc développé son rôle. J’ai aimé sa façon d’être agressive et tendre en même temps. Sur la question des rôles, j’ai voulu que tous les personnages, qu’ils soient hommes ou femmes, voyageurs ou pas, en aient un romanesque. Je voulais que tous aient un rôle de composition. Par exemple la sœur, qui n’est pas une comédienne, n’est pas du tout dans la vie comme dans le film. Ils ont tous eu à interpréter un rôle. Enfin, sur la question des femmes dans le film, il était très important pour moi que ce soient elles, l’entraîneur, la petite copine, la sœur ou la mère, qui emmènent le héros vers l’émancipation.
Journaliste :
Que vous a apporté Rebecca Zlotowski, votre co-scénariste ? Est-ce que c’était son regard de femme qui vous intéressait ?
Teddy Lussi-Modeste :
Je considère Rebecca comme le co-auteur du film et pas comme ma co-scénariste. Je n’ai pas travaillé avec elle parce que c’était une femme. C’était important de travailler avec une personne qui n’était pas voyageur pour avoir cette passerelle entre le scénario et le public. Mais c’est vrai que j’ai travaillé avec beaucoup de femmes, et notamment à des postes normalement tenus par des hommes : la chef op’, la chef de la déco, la directrice de la production, la monteuse aussi. Peut-être que j’ai davantage confiance en les femmes !
Journaliste :
Guillaume, comment se sont passés la rencontre et le tournage avec ces comédiennes de caractère ?
Guillaume Gouix :
Je connais Hasfia depuis mes 14 ans. C’était étrange pour nous deux de jouer ces scènes d’amour. Sinon, je suis un fan de Béatrice Dalle. J’adore Jarmush, Claire Denis, « 37,2 »… Elle a été généreuse, très ouverte.
Teddy Lussi-Modeste :
Béatrice Dalle ne lit pas du tout les scénarios. Elle rencontre le réalisateur et les scénaristes. On lui raconte le projet et les personnages. Elle est très instinctive. Ensuite, elle décide ou non de faire le film. Moi j’avais déjà le désir, en écrivant le scénario, que ce soit elle qui interprète le rôle du prof de boxe. Quand elle m’a dit oui, ça m’a donné des ailes.
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