© Ed Distribution
réalisateur et scénariste
Abus de ciné :
« Cabeza de Vaca » a mis presque vingt ans à sortir dans les salles françaises…
Nicolas Echevarria :
Juste après le festival de Berlin où il fut montré [en 1991], « Cabeza de Vaca » fut acheté par Arte et diffusé de nombreuses fois à la télévision française. Arte en a eu l’exclusivité jusque récemment, puis le distributeur [ED] en a racheté les droits. Le seul pays européen à distribuer le film en salles fut l’Allemagne. Même dans les pays coproducteurs, en Espagne et en Grande-Bretagne, le film ne fut pas diffusé dans les cinémas. Je suis néanmoins très heureux que le film ait aujourd’hui une nouvelle actualité.
Abus de ciné :
Vous avez étudié l’architecture et la musique avant de vous plonger dans le cinéma aux USA. Est-ce que ces deux formations vous aident dans votre travail de cinéaste ?
Nicolas Echevarria :
J’ai vécu un dilemme professionnel : entre l’architecture et la musique, je ne savais pas quoi faire. Je suis parti vivre à New York. Lorsque j’ai approché l’univers du cinéma, je me suis rendu compte que toutes ces connaissances, en architecture, en peinture, en musique, m’étaient très utiles. Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir perdu mon temps. Mon maître en musique, Mario Lavista, est devenu plus tard mon collaborateur : il a composé la musique de « Cabeza de Vaca » et d’autres films que j’ai réalisés.
Abus de ciné :
Avant « Cabeza de Vaca » vous avez réalisé plusieurs courts et moyens métrages documentaires autour des indigènes mexicains et leurs traditions religieuses, mystiques, culturelles, artistiques. C’est ce parcours qui vous a poussé à privilégier l’aspect spirituel de Cabeza de Vaca ?
Nicolas Echevarria :
A mon retour au Mexique, je me suis beaucoup intéressé à des communautés indigènes. Le pays a bien changé depuis, mais à cette époque, dans les années 70, il existait des régions très éloignées, difficiles d’accès. On y rencontrait des communautés qui ne parlaient parfois même pas l’espagnol, que des valeurs très strictes interdisaient, par exemple, de prendre l’avion. C’était fascinant de constater que, dans un monde aussi moderne, il pouvait exister des groupes aussi isolés. J’ai toujours éprouvé une attirance particulière pour la vie rituelle et les coutumes qui ont avoir avec le Mexique antique, particulièrement l’usage d’hallucinogènes pour des raisons religieuses et curatives. J’ai surtout résidé auprès d’une communauté située dans la partie occidentale du Mexique, durant une trentaine de jours, une sorte de parcours initiatique semblable à celui de Cabeza de Vaca ! J’ai également réalisé un film sur une célèbre chaman de l’époque, Maria Sabina, qui soignait avec des plantes hallucinogènes. Elle se fit connaître par un article publié dans la revue Life en 1957. Ce fut mon premier long-métrage documentaire. Au moment de réaliser « Cabeza de Vaca », j’avais donc déjà de nombreux antécédents documentaires en liaison avec le chamanisme et le Mexique ancien. D’une certaine manière, « Cabeza de Vaca » est aussi un film autobiographique, qui parle de la façon dont j’ai pu approcher ces communautés et communier avec elle. Une quête initiatique sur un homme plongé dans une nouvelle culture, et qui absorbe les manifestations de cette culture pour devenir un homme nouveau.
Abus de ciné :
La production du film a connu des difficultés : vous avez dû abandonner le projet une première fois à quelques jours du tournage du fait de la désaffection de la production. Il vous a donc fallu reprendre à zéro, car tout était perdu. N’avez-vous pas eu la tentation de laisser tomber et de passer à autre chose ?
Nicolas Echevarria :
J’ai dû abandonner d’autres projets, faute d’argent ou de production, parfois après plusieurs années de préparation. Mais pour « Cabeza de Vaca », j’ai toujours eu l’espoir et l’intuition que le film finirait par se faire. J’y ai passé autant de temps que Cabeza de Vaca en a mis pour traverser le continent à pied : huit ans ! J’étais plus jeune, plus optimiste, j’avais foi en ce film. Cette attente fut sans doute bénéfique, au final : les collaborateurs et les comédiens qui étaient là au départ quittèrent le projet parce qu’ils avaient d’autres engagements, et d’autres, formidables, prirent leur place : Guillermo del Toro fut l’un d’eux, c’était l’un des premiers films pour sa société de maquillage ; Guillermo Navarro, le directeur photo, le seul Mexicain à avoir obtenu un Oscar ; l’acteur Juan Diego, que j’ai découvert dans un film de Carlos Saura – le choix d’un acteur hispanique était l’une des conditions à la participation de l’Espagne à la production – et qui avait ce côté mystique que je recherchais ; et d’autres comédiens, devenus célèbres depuis : Daniel Gimenez Cacho, Roberto Sosa… Le film a mis du temps à se faire mais, comme le bon vin, l’attente a fini par le rendre meilleur
Abus de ciné :
En regardant le film, on imagine combien les conditions de tournage ont dû être difficiles. Comment s’est déroulé le travail avec les comédiens dans ces conditions extrêmes ?
Nicolas Echevarria :
Le problème de cette région des manglares, au Mexique, n’était pas tant le soleil que les insectes ! Nombre des effets de brouillard que l’on peut voir dans le film n’étaient pas intentionnels : il s’agissait d’une brume provoquée par l’insecticide ! Sur le plateau, certains collaborateurs, qui se découvrirent allergiques aux piqûres d’insectes, durent poursuivre avec des combinaisons d’apiculteurs ! C’est un endroit merveilleux, mais qui n’a jamais pu être exploité par le tourisme à cause des insectes. Ils sont les gardiens écologiques de la région !
Abus de ciné :
Que représente pour vous cette image finale étonnante, une croix géante portée par des indigènes ?
Nicolas Echevarria :
J’ai toujours eu cette image en tête. L’idée m’est venue en lisant un reportage dans un magazine, je crois que c’était Paris Match, sur une visite du Pape, où des indigènes avaient fabriqué une énorme croix pour la porter jusqu’au Saint-Père. Dans le film, elle traduit un double symbole : d’une part, le fait que dans de nombreux cas, les richesses des peuples se sont retournées contre eux. Un pays qui possède du pétrole a bien plus de chances d’être envahi qu’une nation démunie ! Le Mexique a subi le même problème, à cause de nos mines d’argent. D’autre part, la charge de la croix représente la charge du christianisme.
Il y a un détail intéressant dans cette image : personne n’oblige les indigènes à porter la croix. Personne ne les surveille, ne les force. C’est une image très simple : une croix, des indigènes, un Espagnol qui joue du tambour pour permettre à tous les porteurs de suivre le même pas. La croix est comme transportée par des fourmis. Ils opèrent un virage pour se diriger vers des nuages noirs – un détail qui n’était pas prévu, que j’ai utilisé sur l’instant. C’est peut-être une image du futur, le futur du pays aux mains des conquistadors.
Abus de ciné :
Vous avez choisi de traiter essentiellement le parcours spirituel du personnage, en laissant de côté son errance géographique…
Nicolas Echevarria :
Adapter un livre comme celui de Cabeza de Vaca s’est avéré très difficile. J’ai dû me concentrer sur quelques aspects essentiels du personnage. Le livre même prend l’apparence d’une fiction, écrite par Cabeza de Vaca une dizaine d’années après l’expédition, sous la forme d’une lettre au roi. Volontairement, il « oublia » des détails de son aventure, parce que l’Inquisition faisait rage alors ; ses descriptions de miracles pouvaient lui valoir des accusations d’hérésie. Il fit lui-même un gros travail d’autocensure. Par exemple : certains Espagnols, pour survivre, durent manger leurs compatriotes morts ! Impossible de relater cela au roi.
Abus de ciné :
Vous avez fait un travail important sur le traitement de l’image : elle semble prise sur le vif, à l’époque où se déroulent les faits.
Nicolas Echevarria :
Beaucoup de critiques ont reproché au film son aspect documentaire, mais pour moi, ce n’était surtout pas un défaut ! J’avais toujours le souci du réalisme. Par exemple, la majorité des indigènes dans le film sont vraiment des indigènes, mélangés à des acteurs professionnels. Impossible de faire la différence.
Abus de ciné :
Cabeza de Vaca était le trésorier de l’expédition, ce qui rend son dépouillement physique et spirituel quelque peu ironique…
Nicolas Echevarria :
Oui. S’il avait eu une autre fonction, son histoire n’eût sans doute pas été aussi dramatique. On sait peu de choses de Cabeza de Vaca. Après cette aventure, il participa à une seconde expédition en Argentine et favorisa l’implantation des jésuites dans la région. Il devint un homme bon. Ses hommes se retournèrent contre lui et le firent emprisonner de retour en Espagne. Il mourut dans des circonstances qui restent peu précises.
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