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Le réalisateur Jean-Pierre Améris, venant faire la promotion de son nouveau film « Les Emotifs Anonymes », nous reçoit pour une chaleureuse interview à but thérapeutique.
Journaliste :
Cela fait cinq films sur sept que vous tournez à Lyon. Est-ce que tourner dans votre région natale vous rassure ?
Jean-Pierre Améris :
Absolument. Comme vous avez dû le sentir en regardant “Les Emotifs”, c’est un film sur l’anxiété et le manque de confiance en soi. Il est vrai que d’être à Lyon me rassure. Est-ce que c’est la présence familiale proche ? Je ne sais pas. C’est peut-être autre chose que cela, le fait d’y avoir vécu adolescent. Je retrouve ce parfum d’adolescence lorsque je reviens ici. C’est pour cela que j’avais envie de le filmer à Lyon, même si on ne sait jamais vraiment où ni quand l’action se passé. C’est un conte qui se déroule un peu dans une ville imaginaire. Lyon possède tout de même des lieux pour lesquels j’ai une certaine affection. Le Cintra, c’était un restaurant qui impressionnait mon père. C’était important pour moi, par rapport à sa mémoire, d’aller tourner là.
Journaliste :
Est-ce que ce film peut être considéré comme une thérapie pour vous ?
Jean-Pierre Améris :
Ce qui m’aide et m’a toujours aidé, c’est le cinéma, cette pulsion créatrice. Le film trouve sa racine dans, je crois, les problèmes que rencontre tout le monde dans l’enfance et l’adolescence. Pour ma part, j’y étais très mal à l’aise, et c’est là où j’ai eu ce coup de foudre pour le cinéma. Il n’y avait que là où je me sentais à l’abri : l’impasse Saint Polycarpe, le cinématographe cours Suchet… Quand j’étais mal dans la vie, je me ruais littéralement au cinéma. Et lorsque la lumière s’éteignait, je me sentais vraiment à l’abri. Et tout ce que je ne pouvais pas vivre dans la vie, je le vivais par procuration en allant au cinéma. J’ai essayé de recréer modestement cela dans le film : un petit monde dans lequel on va se sentir à l’abri. A 20 ans, le fait de faire des court-métrages m’a porté et m’a permis de surmonter toutes mes peurs. Je n’ai jamais renâclé devant l’obstacle pour un film. Dans la vie, oui, mais pour un film, ça me vaut tous les courages.
Journaliste :
Cette ambiance un peu feutrée et sombre était-elle un désir de votre part depuis le début ?
Jean-Pierre Améris :
Il y a plusieurs choses. Esthétiquement, je crois que c’est le fait de l’avoir écrit en Belgique avec un scénariste belge. Je pense que le film est empreint d’une ambiance jusque dans son humour un peu absurde. D’autre part, j’avais l’ambition que les spectateurs plongent dans une perception similaire à celle des émotifs. Lorsque l’on est un peu émotif, le monde vous semble un peu comme une scène de théâtre : il vous semble curieux. La réalité étant un peu rude, on se crée un petit monde. Je voulais garder ce côté très subjectif.
Journaliste :
D’où est venue l’idée de ce film ?
Jean-Pierre Améris :
Aux alentours des années 2000, lorsque j’ai pris connaissance de ces groupes de paroles divers, les “émotifs anonymes”, qui existent vraiment. J’ai découvert le nombre de gens qui ont besoin d’aller parler dans ces groupes. C’est la même pratique que pour les alcooliques anonymes. Ce fut créé dans les années soixante-dix aux Etats-Unis, puis c’est venu en France petit à petit. Viennent aux émotifs anonymes des gens qui sont empêtrés dans leurs émotions, certains dans la colère, d’autres sont dans un processus de répétition d’échecs professionnels ou sentimentaux. Vous ne pourriez jamais imaginer qu’un garçon, habillé branché et ayant l’air bien sûr de lui, vienne confesser qu’il vit comme une torture toutes ses réunions au travail, ou encore de très jolies filles qui viennent dire que leurs vies sentimentales vont d’échecs en échecs à cause de leurs mains qui deviennent moites au moindre rendez-vous, ou de cette impression systématique qu’elles ont un bouton sur la figure. C’est la peur du regard de l’autre en fait. Il y a toute une littérature à ce propos. C’est incroyable à quel point tout cela concerne les gens. Alors, l’intérêt de ces groupes de paroles est de pouvoir se dire que l’on n’est pas tout seul. Ca rassure un peu.
Journaliste :
Selon vous, la timidité est-elle une conséquence de l’hyper-émotivité ? En d’autres termes, tous les timides sont-ils hyper-émotifs, ou bien peut-on être hyper-émotif sans être timide ?
Jean-Pierre Améris :
Je pense que l’on peut être hyper-émotif sans être timide, et c’est bien de faire la distinction. Le film, comme son titre l’indique, parle des hyper-émotifs, des gens qui sont « trop pleins ». Ce sont des volcans car il y a un tiraillement entre le désir de vivre, d’aimer, et même sexuel, qui est très fort, et un verrou qui fait que ça tiraille dans les deux sens comme un élastique. Cela crée une tension qui est extraordinaire et, en même temps, très vive. Si l’on regarde bien, les personnages. ne sont pas déprimés : ils sont aux aguets. Tout est dur, et il va falloir le faire.
Journaliste :
Il y a beaucoup d’artistes chez les hyper-émotifs ?
Jean-Pierre Améris :
Eh bien, je crois qu’ils le sont tous. Les acteurs, en tout cas, le sont. Si je me suis lancé pour la deuxième fois avec Isabelle Carré, après « Maman est folle » pour la télévision (elle interprétait déjà une mère fragile), c’est à force d’en avoir discuté. Avant même de finir le scénario, en parlant du sujet, on s’est trouvé plein de points communs. C’est vrai que j’ai trouvé en elle un peu mon alter-ego. On fait les mêmes choses pour dissimuler ce petit désordre intérieur. On essaie de faire tout correctement, toujours à l’heure, on dit tout le temps « pardon », « excusez-moi »… C’est elle qui m’a glissé l’idée de la chanson « La mélodie du bonheur » parce que, elle, avant une interview ou une situation qui l’émeut ou qui lui fait peur, elle se chante une chanson.
Journaliste :
Mais alors, quand elle se présente en avant-première… elle ne doit pas être toujours à l’aise ?
Jean-Pierre Améris :
Et Benoit Poelvoorde, c’est pareil. On me dit souvent que c’est un contre-emploi pour Benoit, je ne suis pas si sûr. Il y a sûrement eu des vérités qu’il a eu du mal à livrer, là… Je savais ce que je voulais montrer de lui. J’ai de l’affection pour cet acteur et j’avais envie de le filmer d’une certaine façon. Donc, parfois il était un peu contraint, mais je sais qu’au final il est fier de sa prestation. Il semblerait que la frontière entre le grand timide et le grand dictateur était très ténue (rires) ! Mais ce n’est pas toujours facile. Avec les hommes, c’est souvent un peu plus difficile, parce que je cherche toujours un peu la fragilité. La plus grande mise à nue, pour lui, fut de chanter. Il s’était juré de ne plus jamais chanter après « Podium ». Il trouvait que c’était ce qu’il y avait de plus terrible, mais je le trouve merveilleux. En plus, pour le personnage, il le chante naturellement. Et surtout, c’est la déclaration d’amour du film. Il ne lui dit jamais qu’il l’aime. Ce qui lui fait vraiment peur, c’est de monter dans la chambre avec elle. Alors, il va chanter pour retarder l’échéance.
Journaliste :
Avez-vous eu du mal à le retenir ? Car il n’est quand même pas tout à fait dans son registre…
Jean-Pierre Améris :
Non, je ne dirais pas que j’ai eu du mal. Je crois qu’il avait envie d’aller vers ce registre. C’est tout de même un grand émotif, et l’une des thérapies possibles, même pour un enfant, c’est quand même d’aller jouer sur scène. Cela fait beaucoup de bien. C’est ce paradoxe du comédien qui fait que ce sont des gens assez travaillés par la timidité qui exercent ce métier.
Journaliste :
Pensez-vous alors que tant que les hyper-émotifs ne font pas sauter le verrou, ils se pourrissent la vie ?
Jean-Pierre Améris :
Voilà. C’est peut-être pour cela, aussi, que j’ai voulu le faire sous une forme assez légère. C’est quand même un film sur le plaisir, le plaisir du chocolat, entre autres, avec ces deux personnages qui n’arrivent pas à en prendre. Je pense toujours à des spectateurs qui étaient comme moi, à l’adolescence, et qui iraient voir le film. On a toujours un petit devoir de les encourager. J’espère que voir ce film leur donnera confiance. Vous savez, lorsque j’ai fait « C’est la vie », j’ai vu beaucoup de personnes en fin de vie me dire « j’ai eu peur » : « Je voulais ouvrir un restaurant mais j’ai eu peur », « J’aurais voulu être actrice mais je n’ai pas voulu oser par rapport à ma famille », etc. Peur du ridicule, peur de l’échec… La peur est tout de même très présente, et je pense que tout le monde est confronté à cela.
Journaliste :
L’idée d’imbriquer ce trait de caractère et le chocolat, c’est génial. Je ne sais pas où vous avez été la chercher, mais elle fonctionne très bien.
Jean-Pierre Améris :
C’est venu du fait de travailler à Bruxelles avec Philippe Blasband. Nous avions beaucoup d’idées, mais on avait encore des hésitations sur le métier des protagonistes. Je voulais que le film traite des difficultés dans le travail : comment cela se passe quand on a un talent mais que l’on est empêché par ses inhibitions. C’est vrai que travailler à Bruxelles, où le chocolat était très présent et, en plus, dans un salon de thé où l’on se faisait qu’en manger, fut le déclic. A partir de là, le film a démarré. On a su que l’on tenait la bonne idée.
Journaliste :
Le film est très bien rythmé. Vous avez fait le montage vous-même ?
Jean-Pierre Améris :
Oui mais avec l’aide de ma monteuse. C’est un travail délicat dans une comédie. Je suis admiratif de tous les réalisateurs qui font de la comédie, pour le coup. Moi c’était ma première et c’est une histoire de rythme et de petites choses qui font que ça fonctionne ou pas. Puis après, on ne sait jamais si ça va faire rigoler. Par exemple, le gag des chemises, j’étais quasiment le seul à y croire. Il y a parfois des moments, dans le comique, où l’on se sent bien seul.
Journaliste :
Cette expérience vous a-t-elle donné envie de continuer dans le genre ?
Jean-Pierre Améris :
Peut-être. Mais vu que c’est vraiment difficile et que ce n’est pas vraiment ma pente naturelle, c’est loin d’être sûr. En tout cas, si je parviens à faire les projets que j’ai en tête, ce ne sont pas des comédies. J’espère faire « l’Homme qui Rit » de Victor Hugo. J’ai toujours eu envie de réaliser un film de monstre. C’est d’ailleurs un peu dans la continuité. Adolescent, les films qui me plaisaient le plus étaient les histoires de monstres.
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