©Warner Bros France
scénariste, réalisateur et acteur
A l’occasion de la sortie de « Tête de Turc », Pascal Elbé est venu à Lyon parler de son premier film. Rencontre avec un cinéaste proche de son public, au franc-parler passionnant.
Journaliste :
L’adolescent qui joue Bora, le personnage principal, est absolument formidable. Comment l’avez vous découvert
Pascal Elbé :
Tout d’abord, je ne voulais pas d’acteur professionnel pour le personnage de Bora. J’avais envie d’un gamin qui soit un peu dans le même état d’urgence que Bora. On a donc procédé à des castings dits « sauvages », dans divers lycées de banlieue parisienne, et on a finalement trouvé Samir. Il a un regard mélancolique, mais surtout très dense, très fort. Ce qui m’a plu aussi chez lui, c’est sa simplicité. Je n’ai pas vu arriver un petit acteur mais plutôt un jeune de seize ans qui avait envie de jouer la comédie.
Journaliste :
Quelles ont été vos influences cinématographiques pour faire ce premier film ? Par exemple, il y a beaucoup d’ellipses dans « Tête de Turc ».
Pascal Elbé :
Il y plusieurs cinéastes qui m’ont influencé comme spectateur, et après en tant qu’auteur. Fatih Akin, par exemple, ou même les frères Coen, procèdent beaucoup par ellipse. On est souvent devant leurs films en se demandant « Quoi ? Quoi ? » pour se dire, deux minutes plus tard : « ah c’est ça ! ». Eh bien, c’est ce qui fait participer. Vous n’êtes plus uniquement spectateur. Il y une interaction à ce moment-là. J’aime beaucoup ce procédé. Quand j’écris, j’aime commencer au cœur d’une scène pour ensuite avoir une approche plus générale et explicative.
Ensuite, dans la forme, j’ai été plus inspiré par « Short cuts » de Robert Altman, avec ces destins mêlés qui développent plusieurs personnages et qui suivent un fil rouge avant de se rassembler. Dans le même ordre d’idée, il y a le film de Paul Haggis, « Collision », qui m’avait marqué, puis les films d’Inarritu : « Babel », « Amours Chiennes ». Tout ça, c’est plutôt pour la forme "mosaïque" de la narration.
Enfin, pour faire exister les personnages, je suis plutôt sensible au cinéma israélien, au cinéma espagnol, même germano-turc de Fatih Akin. Je suis sensible à ce verbe, cette façon de parler qui peut parfois être crue, même violente, mais qui dégage une certaine poésie. Ce que j’aime dans ces films israéliens ou espagnols, c’est le fait qu’ils aillent au coeur du sujet sans prendre le spectateur par la main, en lui montrant un début, un milieu, une fin. C’est cette culture, plus méridionale, qui me touche. Ca parle vite, parfois de manière crue, et on évite ce coté explicatif. Tout est palpable et on comprend.
Journaliste :
Puisque vous parlez de cultures méridionales, dans votre film il y a deux figures qui sont très fortes. Celle de la mère, avec le personnage de Ronit, et celle de la fraternité, avec les deux frères arméniens. En revanche, il y a une absence du père et le seul que l’on voit est, disons, en retrait. Pourquoi ?
Pascal Elbé :
Ce film est tout d’abord le fruit d’un travail de recherche. Je me suis un peu promené dans les cités, qui sont souvent représentées comme des miroirs un peu blafards de la société. J’y ai croisé beaucoup de femmes seules, et je trouve qu’elles ont un combat au quotidien qui est assez admirable et digne d’intérêt. En plus, je trouve qu’elles composent des personnages très riches pour le cinéma. Toutes ces femmes qui ont un quotidien parfois chargé et lourd et qui, pour leurs enfants, restent dans une forme de dignité et de courage, c’était une chose à laquelle j’avais envie de rendre hommage. Ca me rappelle un peu ces actrices italiennes dans les films italiens d’après-guerre, qui osaient affronter les hommes avec cette force de caractère alors que dans la cuisine tout est en train de s’effondrer ; leur maris rentrent tard le soir, ils ne savent pas comment acheter de la nourriture au quotidien... Il y a cette espèce de force de combat car, malgré tout, on préserve les apparences. Il ne s’agit pas de s’écrouler ou d’apparaître faible, car sinon tout s’écroule.
Je représente trois femmes différentes. Il y en a une qui est un peu plus fragile que d’autres, mais les trois sont en souffrance et dévoilent un visage différent. La mère de Bora apparait plus solide, mais on voit bien, lorsqu’elle est seule ou se confie avec sa meilleure amie, qu'elle a elle aussi des doutes et est à deux doigts de jeter l’éponge. Les femmes sont souvent la pierre angulaire d’une famille.
Pour moi, la famille est un terreau très riche, il y a tous ces thèmes forts qui me parlent : la rédemption, la trahison, la soumission, la culpabilité... C’est avec ces sujets que l’on a fait les plus grandes tragédies grecques, ou tous ces films de James Gray, de Coppola ou de Scorsese que j’adore. Et c’est vrai que l’image du père dans ces films est une figure écrasante, très puissante. J’avais toutefois envie d’aller un peu à l’opposé. Vous savez, dans les cités, l’absence du père est souvent quelque chose de récurrent. J’en ai parlé aussi avec des policiers qui m’ont confié que les jeunes jouaient parfois avec eux comme la figure paternelle qu’il leurs manque. C’est à dire qu’ils ont besoin de s’opposer et de se confronter, et j’ai vu un petit peu ce jeu, du chat et de la souris je dirais, qui se crée lors d’interpellations. Vous voyez, on voit souvent une espèce de respect mutuel entre grands flics et grands voyous. Il y a même un gamin qui a lancé : « tu vois, si on n'était pas là, ils n’auraient pas de boulot ». C’est assez étrange.
Journaliste :
Pourquoi avez vous choisi un Turc ? Est-ce que cela a entraîné le choix de cette confrontation turc/arménien ?
Pascal Elbé :
Ce qui me plait dans les films américains que j’ai cités, c’est l’identité qui habille leurs personnages, au travers des communautés afro-américaines, latino ou italo-américaines. Alors je me suis demandé celles qui représentaient le tissu social de la France et qui n’est pas intégrées. J’ai volontairement choisi des communautés peu représentées. Je n’avais pas envie de parler de la communauté maghrébine car on l'a trop stéréotypée et stigmatisée.
De plus, cette confrontation arméniens/turcs amène une richesse dans la composition des personnages. J’avais envie d’un discours un peu dur, parfois, comme le flic arménien qui avance qui avance : « on a été accueillis comme de la merde et on s’est intégré par la force des choses, alors on ne va pas plaindre ces gamins ». C’est un discours que l’on peut rencontre dans les communautés italiennes, parfois juives. Des communautés qui sont bien intégrées comme celle arménienne.
Journaliste :
Est-ce que Atom survit ?
Pascal Elbé :
J’espère. J’appelle son médecin tous les deux jours pour avoir des nouvelles (rires). Sérieusement, je suis content que vous me demandiez cela, car j’avais une image dans le film où l'on voyait son frère au pied d’une pierre tombale avec son nom, mais je l’ai coupée. Je me suis dit qu’après tout, ce qui est terrible, c’est que le film finisse comme ça. C’était indispensable, pour moi, que cela finisse comme une tragédie grecque. Je voulais finir tristement, sinon cela voudrait dire que rien n’a d’importance. Je viens de voir le film d’un de mes camarades, Richard Berry. Au début du film, il se prend vingt-cinq balles dans le buffet et il toujours vivant... Mon Roschdy, il n'a pris qu’une balle, et il a de la chance s’il est encore debout. Finalement, Bora a payé très cher son méfait. Je voulais que cela finisse tristement pour montrer que chaque geste, chaque parole a un poids. Mais moi, je pense qu’il est encore en vie... Même si le mal est fait... (Sourire) Je pense qu’il faut quand même laisser de l’espoir. Autrement, que reste t-il ?
Journaliste :
C’est pour cela que le veuf ne se suicide jamais ? Car il est quand même à deux doigts du RER à un moment...
Pascal Elbé :
Vous comme moi, on ne sait pas ce qu’il se passe dans la tête du veuf. C’est terrible. Vous savez, il y a six mois, une jeune femme d’origine portugaise vivant dans une cité a appelé les urgences pour son père âgé d’une soixantaine d’années. Quand enfin le Samu est venu, elle les a accueillis en bas en leur disant : « dépêchez vous, il va mal ». Ils ont répondu : « c’est bon, déjà on est hors secteur ». Quand ils ont ouvert la porte de l’appartement, il est mort une demi-minute après... C’est révoltant. Comment pouvez-vous accepter ça ?
Et vous savez, aujourd’hui, on peut obtenir le nom de la personne qui va intervenir quand on appelle. Cela rassure la personne en détresse de savoir que c’est le docteur X qui vient. Donc on peut trouver le visage de l'accusé lorsque ce genre de tragédie se produit.
J'avais trois ou quatre scènes pour faire vivre ce veuf et il fallait le faire passer par certains stades. On le voit désemparé, au bord du suicide et puis, à un moment donné, sa seule réponse est de trouver le responsable de son malheur. J'avais des scènes où on le voit chercher le nom des rues, ou encore lorsqu'il appelle le Samu et que personne ne comprend ce qu'il raconte. Je les ai coupées pour aller à l'essentiel.
Je pense que lorsqu'il va sur le terrain vague avec le flingue, son idée première est de ne pas de tuer mais de dire: « tu n'as pas répondu à mes appels, mais maintenant tu vas m'écouter. Tu vas me répondre et me dire ce qu'il s'est passé ». Il ne décide pas de se venger, il veut juste comprendre. Malheureusement, combien de fois compte-t-on des accidents qui se produisent comme ça ? Moi, mon grand père, qui était pigiste au Figaro, je me le rappelle l'avoir vu arriver à la maison avec un pétard, pour histoire de famille… D'où tenait-il ce flingue ? J'ai eu peur. J'étais môme, j'ai cru qu'il allait se passer l'irréparable. D'ailleurs, ce n'est pas innocent si ce veuf se retrouve avec un pétard…Mon grand-père n'était pas un bandit. Lui non plus.
Journaliste :
Est-ce que le fait d'avoir supprimé quelques scènes sur l'histoire personnelle de ce personnage ne donne pas un peu l'impression que le film pourrait exister sans lui ? On a le sentiment qu'il ne s'agit que d'un fil de l'intrigue, qui sert seulement le dénouement.
Pascal Elbé :
Non, ce n'est pas que pour le dénouement. C'est un film sur la responsabilité. Je voulais montrer qu'un acte irréfléchi sur un médecin peut entrainer d'autres malheurs. Cela implique aussi la personne qu'il devait secourir, sa famille, ses voisins. Pour moi, c'était indispensable. Pour tout vous dire, dans la première version du scenario, le veuf arrive avec son pétard chez l'urgentiste, qui lui ouvre la porte en chaise roulante. Et sans parole, on voyait le veuf qui s'asseyait. Il avait compris. Puis je me suis dit qu'il valait mieux aller au bout du propos, aller dans quelque chose de plus dramatique, monter les conséquences de cet acte irresponsable.
Journaliste :
Entre l'écriture et le début du tournage, quand avez-vous mis des visages sur vos personnages ?
Pascal Elbé :
A aucun moment. Vous savez, quand vous écrivez pour un acteur, c'est la meilleur façon de ne pas l'avoir. Il a peur d'être pris en otage par la pression que vous mettez sur ses épaules, donc j'écris vraiment sans penser à quelqu'un en particulier. Même pas Roschdy Zem, qui est pourtant l’une des personnes que je vois le plus à Paris. Je pensais que le rôle du flic serait tenu par quelqu'un de plus vieux. Même le veuf. Lorsque je faisais lire le scénario, les gens s'imaginaient un vieux. Même au niveau des origines de mes personnages : Simon Abkarian, qui est d'origine arménienne, joue un Français ; Roschdy Zem, d'origine marocaine, et moi, d'origine juive, jouons deux Arméniens ; Ronit Eklabetz, qui est israélienne, joue une Turque… Tant mieux.
Journaliste :
Comment s'est déroulé le processus d'écriture?
Pascal Elbé :
Je suis assez bordélique dans ma façon d'écrire. J'ai écris pour d'autres camarades : Roschdy Zem, Michel Boujenah… Et je n'ai jamais écrit de la même façon. J'étais parti pour écrire une histoire avec de nombreux personnages aux destins croisés, et il y avait les films de James Gray qui m'obsédaient aussi. Je me suis demandé comment mélanger tout cela et, à la même période, le fait divers de l'incendie du bus marseillais m'a aussi beaucoup touché. Mais sincèrement, au début, je ne savais même pas que j'allais écrire un drame. Cela aurait très bien pu dériver vers une comédie, avec cet urgentiste persuadé d'avoir son héros à ses côtés alors que c'est le gamin qui a brûlé sa voiture… C'est très étrange, la magie de l'écriture. A un moment donné, vous vous rendez compte que l'histoire vous dépasse. Les personnages existent par eux-mêmes. A de nombreuses reprises, je me suis aperçu que vous ne pouvez pas faire agir un personnage comme bon vous semble. Il a une existence propre. Ca parait un peu mystique tout ça, mais, au bout d'un moment, j'ai été pris dans une mécanique qui appartient à mes protagonistes. C'est assez bizarre.
Journaliste :
Vous saviez déjà, au moment de l'écriture, que vous alliez réaliser le film ?
Pascal Elbé :
Oui. Je savais que je voulais le réaliser mais cela me paraissait trop loin. Quand vous écrivez une histoire comme celle-là, vous vous y dédiez corps et âme. Il y a tout le travail de recherches et de rencontres. Tous mes personnages, je les ai croisés dans la vraie vie. Et au bout d'un moment, vous vivez l'histoire à 100%. Elle vous appartient.
Journaliste :
Qu'est-ce qui vous plait le plus alors ? L'écriture, la réalisation ou l'interprétation?
Pascal Elbé :
La réalisation, clairement. Lorsque vous êtes derrière la caméra, vous avez tous vos sens en alerte : sur l'histoire, le sens, le propos, la forme, les décors… Vous avez votre mot à dire sur tout. Vous vous occupez de l'aspect humain… Quand on est acteur, on est forcément moins impliqué qu'un réalisateur. Le réalisateur, lui, dès six heures, il est debout, avec son équipe, en train de tout régler… L'acteur, à dix-onze heure, il arrive… Il se fait maquiller et il ne tourne pas avant 14h. Mais c'est magique aussi d'être acteur. Un acteur, c'est un matériau précieux.
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