©Gaumont Distribution
réalisatrice, acteurs, actrices, producteurs
Journaliste :
D’autres films avant le votre ont traité ce sujet. Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire un film sur la rafle du Vel’d’Hiv’ ?
Rose Bosch :
Déjà, les films précédents ne disposaient peut-être pas de moyens leur permettant de raconter l’histoire de manière frontale dans toute sa brutalité et surtout dans son ampleur (reconstitution des Vel’ d’Hiv, peu de figurants dans les plans etc.) ; ils ne pouvaient pas rendre justice à l’importance de l’évènement. Ce fut tout de même la plus grosse rafle réalisée en Europe : 13000 personnes capturées en un jour et demie.
Ensuite, les autres films avaient tendance à traiter cette rafle sous forme de toile de fond d’une autre histoire, alors qu’ici on raconte totalement l’histoire de la rafle du Vel’ d’Hiv’ du 6 juin 42 jusqu’à la fin août.
Alain Goldman :
J’ajouterais aussi que l’on ne peut pas réduire la raison de faire ce film à une question de moyens, c’est aussi une question de volonté. Les deux films auxquels vous vous référez sans doute sont « M. Klein » et « Les Guichets du Louvre ». Losey lui-même n’a pas souhaité se référer à la rafle du Vel’d’Hiv mais aux rafles en générales, y compris celle des dictateurs d’Amérique latine, et celui de Mitrani n’entre même pas dans le Vel’d’Hiv, sans compter qu’il ne parle pas de ce que ces gens ont vécu. Il s’agit plutôt de l’histoire d’amour entre une juive et un jeune non-juif qui décide de faire quelque chose alors que « La Rafle » prend à bras le corps cette histoire et la raconte de A à Z.
Journaliste :
Mais pensez vous qu’il est toujours audacieux, aujourd’hui en 2010, de faire un film sur cette rafle ?
Rose Bosch :
Je ne sais pas si c’est audacieux, mais c’est indispensable, parce que je suis sûre que vous avez appris des choses que vous ignoriez. C’était nécessaire de monter cette rafle telle qu’elle a eu lieu. On nous a caché ce qui s’est exactement passé durant cette rafle, le marchandage humain, le fait que Vichy va au devant de la demande allemande en proposant des enfants dont les Allemands ne veulent pas. On nous cache aussi que le fichier juif était déjà constitué. Il y a des tas de choses qui m’ont choquée en tant que citoyenne française.
Il n’y a pas de raison que les Américains soient les seuls à se retourner sur leur passé plus ou moins récent, à faire des films avec une honnêteté intellectuelle en regardant les choses en face, et que nous, nous ne puissions pas le faire.
En même temps, il y a des raisons de se réjouir quand on sait qu’à Montmartre, plus de 12000 juifs sont cachés spontanément. Les gens ouvrent leurs portes, les cachent dans les caves, dans les meubles, alors que Paris est quadrillée, occupée et qu’ils finissent de finir à Drancy. Est-ce que moi, non-juive, j’aurais fait ça au risque de me retrouver dans les camps pour avoir été amie des juifs ? C’était très risqué de les aider.
Il y avait des réalités qui étaient bonnes à dire comme, par exemple aussi, on dit que les juifs sont allés à l’abattoir par milliers sans se rebeller. Et bien écoutez, si vous êtes attrapés en famille, que vous avez vos quatre enfants avec vous et qu’il y a une chance que l’un d'entre eux se prenne une balle, vous ne vous révoltez pas…
Journaliste :
Comment s’est faite la rencontre avec Joseph Weismann ?
Rose Bosch :Le quartier de Montmartre où vivait une communauté juive très importante et très modeste fut très éprouvé, très affecté, car il a perdu plus de 800 enfants dans cette rafle. Je voulais partir de Montmartre jusqu’aux camps de Beaune-la-Rolande car, si déjà, la Rafle du Vel’d’Hiv n’est pas très connue, les camps français ne le sont pas du tout. Il en existe quelques photos et en particulier des photos aériennes, mais elles sont très rares. J’avais beaucoup entendu parler de ce quartier et il fallait que je trouve des rescapés de cette Rafle pour recueillir des témoignages. Je voulais que les enfants m’amènent jusque là. Or ceux qui sont allés jusqu’aux camps y sont morts. Certains avaient pu s’échapper de Drancy, mais grâce à des manipulations telles que des falsifications de papiers d’identité. Je ne parvenais pas à trouver un destin qui m’accroche vraiment. Jusqu’à ce qu’on m’amène une cassette qui datait d’il y a dix huit ans, dans laquelle tout un tas de gens témoignait, et je les connaissais tous car, croyez moi, il n’y en a pas tant que ça encore en vie. Mais tous ces destins ne permettaient pas d’aller aussi loin, jusque Beaune. Et tout d’un coup, je vois apparaitre un monsieur qui parle de manière très précise et émouvante de la Rafle, de Montmartre, où il a vécu, du Vel’ d’Hiv’, mais aussi du camp de Beaune-la-Rolande. Et là, je l’entends raconter comment il s’était évadé avec un autre petit gars de dix ans en rampant sous les barbelés. Et là, encore plus extraordinaire, il se trouve qu’il explose en sanglots en disant : « Si jamais quelqu’un ose faire un film sur ce qu’on a vécu... mais non, personne ne va, personne n’osera... ». C’était absolument énorme et je me suis dit qu’il fallait absolument que je le retrouve. Ce fut très difficile, mais finalement je l’ai retrouvé grâce à une pile de lettres qui avaient été adressées à Simone Weil et à d’autres ministres. Je retrouve une de ses lettres qui indique une adresse au Mans. N’ayant pas d’autres moyens de le contacter, je tente d’envoyer une lettre à cette adresse en lui proposant de témoigner pour mon projet. Cet homme, c’est Joseph Weismann, qui est aujourd’hui l’un des producteurs du film.
Journaliste :
Hugo, vous jouez le rôle de Joseph dans le film. Avez-vous rencontré Joseph Weismann ? Vous a t-il donné quelques conseils ?
Hugo Leverdez :
Je l’ai rencontré une fois à Paris, puis à Budapest sur les lieux du tournage. Il marchait devant moi et je ne savais pas encore qui il était. J’ai demandé à ma mère si elle ne pensait pas que c’était Joseph, et elle m’a conseillé d’aller à sa rencontre. Je lui ai finalement demandé et il a acquiescé en lâchant quelques larmes, car je crois qu’il savait que c’était moi qui allais jouer son rôle. Il était très ému, car je lui ai dit que je ne voulais pas le décevoir. A Budapest, il décrivait comment ça c’était passé, ce qu’il avait vécu là-bas. C’était très dur pour lui.
Journaliste :
Quelle est la part de fiction dans ce film ?
Rose Bosch :
En fait, c’est à l’image d’une mosaïque. Tous les évènements du film se sont réellement passés, mais par forcément aux personnages à qui ça arrive dans le film. Dans la multitude de témoignages, j’ai recueilli ce qui me paraissait emblématique et j’ai fait en sorte que tout cela se tienne ensemble. Quand on a 74 personnages à développer, deux heures de film et une situation politique à expliquer, il faut, à un moment donné, faire des raccourcis géographiques et temporels mais sans mentir, ni exagérer.
Journaliste :
Est-ce que raconter cette histoire du point de vue de ces enfants était important pour vous ?
Rose Bosch :
C’est essentiel, car les enfants sont plus fragiles que d’autres victimes. Le rapport de force entre adultes et enfants est complètement inégal et ils sont souvent victimes de la folie des hommes. Celle-ci en était une majeure, qui a été perpétrée dans un pays où pourtant, ont été écrits les textes des Lumières, de grands textes sur l’humanisme. Tout à coup, on semble tout oublier et ce sont les enfants qui en font les frais. C’est terrible, car on leurs dit toute leur vie de faire confiance aux institutions, que la police est là pour les protéger, et tout s’écroule d’un coup.
Journaliste :
Comment s’est passé le tournage avec les enfants ?
Rose Bosch :
Ils nous ont donné une pêche d’enfer ! On en avait 200 sur le plateau, vous imaginez le souk ! En plus, on a fêté l’anniversaire d’un des petits comédiens sur le plateau. Alors à la fois, on les protégeait car ils ne savaient pas tout et on ne devait pas tout leur dire, et en même temps, eux, ils étaient heureux car on avait besoin qu’ils soient sales toute la journée et ça les changeait de leur habitudes. Ils avaient le droit de faire les fous, puis au moment de tourner on leur disait de ne pas sourire, d’être dans l’émotion, et ils le faisaient avec une telle discipline et rigueur qu’elles en étaient impressionnantes.
Journaliste :
Leur a-t-on expliqué l’histoire ?
Rose Bosch :
Ce qu’il faut savoir, c’est que ces enfants ont des parents, qui sont présents sur le plateau. La responsabilité de dire ou de ne pas dire, c’est la leur. Certains comme Hugo, qui joue le personnage principal, le savaient car leur parents l’avait déjà évoqué, il l’avait appris à l’école aussi. Tout dépendait de l’âge. Mes propres enfants, par exemple, qui avaient 9 ans, je ne leur ai pas tout dit. J’ai souvent énormément schématisé en disant « ici, il y a une rafle et ces gens sont expulsés vers d’autres territoires en Allemagne parce qu’Hitler l’a décidé et eux, ce sont les méchants et vous, vous êtes les gentils ». Ils ne savaient pas qu’au bout de la ligne de chemin de fer il y avait Auschwitz. Ils n’avaient pas besoin de le savoir. Tout expliquer à un enfant qui n’a pas la maturité ou les moyens psychologique de se rassurer lui-même, ça veut dire briser son innocence. Et j’avais besoin de cette innocence, à l’image de celle qu’avaient les gamins à l’époque.
Mélanie Laurent :
Je crois qu’en plus de l’innocence, il y avait une vraie confiance, à l’égard des gendarmes et de la France. En même temps, ce n’était même pas pour cacher la vérité aux enfants. Dans le film et dans la réalité, les enfants ne comprenaient pas ce qu’il se passait. On a entendu des témoignages de survivants disant qu’ils s’attendaient à un spectacle pendant le Vel’ d’Hiv. Alors, après, au bout de deux jours sans eau, sans nourriture, ils se sont rendus compte des réelles intentions. Il y a, par exemple, cet épisode, recoupé par plusieurs témoignages, de ce petit garçon qui courre rattraper le camion car il est persuadé qu’il va retrouver ses parents. L’enfant, dans sa tête, ne peut pas se dire qu’il part à la mort, tout comme certains adultes d’ailleurs.
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