© Patrice Riccota
réalisateur et acteur
C'est à l'hôtel de la Tour Rose, autour d'un feu de bois crépitant, qu'apparaissent le réalisateur de " Bienvenue chez les Rozes ", Francis Palluau, le producteur du film, Charles Gassot, et Loránt Deutsch, l'un des acteurs principaux. Après quelques photos, ils s'installent tous trois face aux journalistes.
Journaliste : comment vous est venue l'idée du film ?
Francis Palluau : je trouvais amusante l'inversion des valeurs. En fait, un soir, je regardais un vieux film en noir et blanc, c'était l'histoire de deux truands qui prennent en otage une famille. Et je me suis imaginé pendant tout le film ce que ça donnerait si on inversait un peu les rôles. J'ai trouvé ça drôle.
Journaliste : votre film fait un peu penser à " Sitcom " d'Ozon à ce niveau-là. L'arrivée d'un petit facteur provoque un changement au sein de la famille, cela vous a-t-il inspiré ?
Francis Palluau : pas du tout. Mais d'autres films m'ont inspiré, plutôt en ce qui concerne la mise en scène, comme ceux de Weber, de Blier, qui sont des gens marquants dans la comédie. Et notamment ce mélange entre la comédie et d'autres genres, comme chez Blier. J'en avais assez des films formatés, et de toutes ces règles qui font qu'un film est de tel ou tel genre. Pour moi, il n'y a pas de manière de filmer, de jouer, de règles imposées. La comédie vient de la situation, pas des règles du genre.
Journaliste : est- ce que ce n'est pas aussi du cynisme ?
Francis Palluau : je crois qu'il y a beaucoup moins de cynisme qu'il n'y paraît. Ce n'est pas du cynisme, c'est plutôt du mauvais esprit. Ce que j'aime c'est tester les limites : savoir jusqu'où on peut faire rire d'une situation, de n'importe quelle situation. Il y a un plaisir ludique du mauvais esprit.
Journaliste : La fin reste malgré tout très morale. Vous auriez pu aller encore plus loin dans la comédie noire.
Francis Palluau : c'est vrai, mais j'ai préféré laisser une porte ouverte à autre chose. Et puis ce serait trop systématique d'aller jusqu'au bout.
Journaliste : votre film est esthétiquement très proche des films studio stylisés, notamment au niveau des couleurs, on pense à Serial lovers, Huit femmes, aussi en plus ce ton décalé…
Francis Palluau : je voulais quelque chose qui fasse très catalogue, un univers particulier qui ne soit pas du tout celui du quotidien. Je voulais un décor qui ne soit pas réaliste, avec un jardin onirique. Et le studio permet cet effet, d'abord parce que tous les décors sont créés, mais aussi parce que ça permet d'avoir un jeu de lumière parfait. Et puis, il y a la magie du studio, c'est ça aussi le cinéma.
Charles Gassot : il a choisi le plus cher quoi !
Francis Palluau : je ne le savais pas mais c'est vrai. Et pourtant Charles m'a demandé ce que je préférais, sans me freiner là-dessus.
Charles Gassot : et pour le deuxième, il recommence…
Journaliste : à ce propos justement, votre prochain film est l'adaptation d'un roman " Martiens go home " de Fredric Brown. Ce n'est pas le même genre de travail. Comment vous est venue cette idée ?
Francis Palluau : ce n'est pas mon idée. C'est Charles Gassot qui , sachant que je lis beaucoup de fantastique, de science-fiction, m'a proposé l'adaptation de ce roman. Alors qu'il n'avait vu que les rushs de ma première réalisation. Mais le thème n'est pas si différent de celui de " Bienvenue chez les Rozes " : des extraterrestres atterrissent dans une petite ville de Bretagne. Ces extraterrestres connaissent toutes les vérités des hommes et ils balancent tout : les histoires personnelles, politiques, tous les mensonges, les hypocrisies… c'est aussi un film sur les apparences quelque part.
Journaliste : il y a beaucoup d'acteurs issus de comédie dans ce film, comment votre choix s'est-il fait pour la distribution des rôles ?
Francis Palluau : si un certain nombre de comédiens vient de la comédie, ce n'est pas calculé. Je voulais qu'il y ait des personnalités de différents univers : télévision, cinéma, … Et surtout il y avait des envies de rencontres, et le plus que chacun pouvait apporter au scénario.
Journaliste : pourquoi Loránt Deutsch ?
Francis Palluau : à la fois pour son côté comique et pour son côté émotionnel. Il y a quelque de vraiment émouvant en lui : il est toujours en dehors de la situation présente, comme le personnage qu'il incarne dans le film. En plus je cherchais une sorte de Tintin asexué… (Réaction de vexation feinte de Loránt Deutsch, assis à ses côtés.)
Journaliste : et vous Loránt, avez-vous accepté tout de suite la proposition de Francis Palluau ?
Loránt Deutsch : disons que je reçois beaucoup de scénarios avec des histoires de groupe, parce que jusque là j'en ai joué un certain nombre. C'est vrai que c'est plus facile parce qu'on n'est pas en avant par rapport aux autres et qu'il n'y a pas la pression du succès du film. On ne porte pas l'échec ou la réussite d'un film sur ses épaules, c'est tout le groupe qui le porte. D'un autre côté, à la longue c'est toujours pareil, il y a un moment où ça suffit. L'histoire m'a plu, le personnage aussi. Plus on avance dans l'histoire, plus le film se construit, jusqu'à la fin. C'est ce que j'ai aimé, en lisant le scénario, j'ai été surpris. C'est plein de sables mouvants, de fausses clefs, j'ai été déstabilisé par le scénario, alors j'ai accepté.
Journaliste (à Francis Palluau): comment le choix de Carole Bouquet s'est fait pour jouer la mère de famille ?
Francis Palluau : c'est un film sur les apparences. Or l'image publique de Carole est celle de la femme idéale, belle, brillante, amusante. Dans le film, c'est exactement cette image que renvoie la mère de famille qu'elle joue, puis on casse cette image au cours de l'histoire. J'ai eu la chance qu'elle rentre tout de suite dedans, j'ai eu sa réponse au bout de deux jours. En plus, il y a eu une très bonne entente avec André Wilms, et elle a une adoration complète pour Yolande. Carole attendait avec impatience le tournage avec elle C'est arrivé que Carole oublie de dire sa réplique parce qu'elle était subjuguée devant Yolande.
Journaliste : André Wilms reste dans votre film un genre de Lecquennois.
Francis Palluau : disons que le personnage qu'il joue est le plus fade du scénario, donc il fallait quelqu'un qui pourrait exister avec ce personnage. Il me fallait un acteur avec son étrangeté propre, ce fût lui.
Journaliste (s 'adressant au producteur Charles Gassot) : c'est votre troisième production cette année, qu'est-ce qui vous a convaincu de produire celui-ci ?
Charles Gassot : ce qui m'intéresse avant tout dans un film, c'est l'originalité du sujet, la découverte de gens nouveaux, avec un ton nouveau, qui fasse réagir. Et ce film correspond à tout ça. Avec Francis, on se connaissait déjà quand il m'a présenté ses trente pages de scénario. Il a son propre humour, et il n'y avait que lui qui pouvait le mettre en scène, c'est pourquoi il est scénariste et réalisateur de son premier film.
Journaliste : il paraîtrait que vous avez déjà un nouveau projet en commun…
Charles Gassot : c'en est encore à l'écriture du scénario, mais c'est vrai : j'ai dans ma serviette le nouveau scénario de Francis. Je crois que c'est important d'accompagner les nouveaux projets des réalisateurs, pour qu'ils durent. Il y a 40 à 50 premiers films par an en France, mais très peu de deuxièmes films. La démarche d'un producteur doit être plus éditorialiste, il faut aussi travailler à l'accompagnement des auteurs. D'autant plus qu'il y a un vrai problème pour le cinéma français aujourd'hui, c'est de survivre face aux rouleaux compresseurs américains. Au moment où est sorti " Ah si j'étais riche ! " (en décembre 2002) que j'ai produit, sortait également le deuxième volet du " Seigneur des anneaux ", et celui d' " Harry Potter ". Comment voulez-vous combattre face à ça ? Il y a quelques années la musique française semblait être dans la même impasse, la loi Toubon a été mise en place. Et ça a fonctionné. Dans les pays où des quotas existent comme en Espagne, en Corée du Sud, le cinéma national existe. Il faut réguler la situation de dominance dans laquelle se trouve le cinéma américain. Beaucoup ne se rendent pas compte qu'on est en train de tuer le cinéma français. Et le problème ne vient pas forcément des grands complexes, où les programmateurs font des efforts là-dessus, c'est plutôt un problème de financement des petits cinémas indépendants qui ne pensent qu'à une chose : comment rembourser leurs agios. La réponse est simple : en faisant du chiffre de manière sûre, avec des grosses productions américaines. Pour avoir accès au public, c'est pareil : les gros films américains ont une couverture quasi-systématique dans la presse, alors que pour nous, ce n'est pas aussi évident.
Journaliste : et vous, avez-vous des projets après ce film, Loránt ?
Loránt Deutsch : je tourne un film pour décembre. Une comédie, disons… plus bienveillante, avec des têtes d'affiche. Il y aura Thierry Lhermitte et Philippe Noiret notamment.
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