© Mars Distribution
réalisteur-scénariste, producteur et acteur
ANDRE DUSSOLLIER :
Excusez-moi pour le retard, j’étais au téléphone avec Charles Pasqua, pour régler certaines affaires en suspens... (Rires)
JOURNALISTE :
Vous pensez qu’il est peut-être temps, pour la cinématographie française, de faire face à son histoire, en particulier néo-colonialiste ?
ERIC VALETTE :
Pas nécessairement l’histoire néo-colonialiste, mais l’histoire en générale, oui. Je dirais faire face au « quotidien », qui peut être le quotidien social, le quotidien politique. Il y a des tas d’affaires dont le cinéma français pourrait s’emparer. Je pense, justement, à l’assassinat du juge Borel, aux moines de Tibérine en Algérie, ou même aux histoires franco-françaises. Je suis toulousain, alors je pense à l’affaire Allègre, qui a été allègrement lavée à grand renfort de téléfilms hagiographiques. Ou encore les disparus de l’Yonne. Des histoires qui posent des questions, qui génèrent des sujets de fictions intéressants et, je vais paraître un peu trivial, des sujets de divertissements purs, des films à suspense, à enquêtes, des films excitants pour les gens. Mais c’est vrai qu’on est extrêmement timide sur ces sujets-là. Donc si nous, cinéastes, on peut amener notre pierre à l’édifice, on est content.
JOURNALISTE :
Ce qui est assez frappant avec votre film, c’est que j’ai l’impression que vous n’avez cherché à faire aucune concession, ni sur le fond, ni sur la forme. Sur le fond, je veux dire que les vingt premières minutes dressent un portrait assez accablant des structures de pouvoir en France. Et sur la forme, vous n’avez pas peur de la violence, de ce qui pouvait faire l’intérêt, justement, de films comme "Trois hommes à abattre" ou "Mort d’un pourri". Le film est assez hardcore quand même...
ERIC VALETTE :
Oui, car j’ai une approche très viscérale du sujet. Je n’aime pas prendre des gants. Je trouve que ce n’est pas parce qu’on traite de hautes sphères qu’on doit être timide, ou en tout cas ne pas mettre les mains dans le cambouis. Je voulais éviter le côté « film bourgeois », façon Nicole Garcia, ce genre de choses...
ANDRE DUSSOLLIER :
C’est une amie, tu sais ! (Rires)
ERIC VALETTE :
(Rires) Moi ça m’intéresse qu’il y ait de la violence de façon frontale. Il ne faut pas s’y complaire, mais ça donne une rythmique au récit, où d’un seul coup on réalise que ces discussions d’alcôves et de couloirs ont des répercussions extrêmement pragmatiques dans la réalité. Ca fait mal ! Donc pour moi c’était essentiel que les causes produisent des conséquences.
JOURNALISTE :
Est-ce que vous vous êtes fait aidé, tant pour l’écriture que le tournage, par des gens de la police ?
ERIC VALETTE :
Oui. Ce que je veux dire, c’est qu'en terme de documentation, on avait quand même le roman d’origine, extrêmement documenté, Dominique Manotti, l’auteur, ayant beaucoup de contacts dans les milieux policiers et politiques. Et via Eric, via les scénaristes, via moi-même, nous avions nos propres connexions. Donc à chaque fois on faisait lire les scènes, pour avoir des détails plus réels. Maintenant, il y a quand même une licence poétique, dramatique, importante. J’ai pas la prétention de faire une enquête, parce que j’aime bien quand ça décolle, quand on se dit que c’est du cinoche.
ERIC NEVE :
Il y a un moment où il faut se dire qu’on n'est pas des journalistes, mais des gens de fiction, de narration, et il nous faut surtout et avant tout des lignes dramaturgiques sur les personnages et une histoire. C’est ça le cœur d’un film. Après, la toile de fond politique, si on peut l’avoir et que cette dramaturgie s’y inscrit, c’est magnifique.
JOURNALISTE :
Au niveau des scènes de crimes, je les trouvais très réalistes.
ERIC NEVE :
Mais il faut quand même être crédible.
ERIC VALETTE :
On avait quand même bossé notre truc. On n’est pas dans... « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende ». C’est de John Ford. Il y a quand même un équilibre à avoir. Je me méfie toujours des films qui sont sur-documentés, sur-expertisés, c’est pas forcément le plus intéressant. Parfois une bonne spéculation est plus intéressante.
JOURNALISTE :
De toute façon, vos premiers films étaient de la fiction pure. Vous en avez d’ailleurs réalisé deux aux Etats-Unis, et je voulais savoir la différence avec le travail en France, et si vous comptiez y retourner ?
ERIC VALETTE :
Je pense y retourner un moment, si le timing est bon, si le projet est bon. Voilà, je ne fais pas partie des gens qui disent « Oh mon Dieu, les Etats-Unis, plus jamais, ils m’ont gâché mon film ! » Bien sûr qu’ils gâchent les films. (Rires) Mais encore une fois, je suis dans un processus de travail, donc je sais exactement ce que je fais et où je le fais. Je sais que quand je fais un film en France, je vais avoir plus de contrôle qu’aux Etats-Unis. Donc je ne peux pas faire la sainte-nitouche qui va dans une partouze et qui dit qu’on lui a touché les fesses. Je savais que quand je revenais ici faire ce film, qu’on avait en projet avec Eric bien avant que je parte aux Etats-Unis, les circonstances seraient les bonnes. Et quand je suis revenu, on avait l’argent, on avait les acteurs, et donc on s’est dit qu’on y allait. Encore une fois, je ne suis pas aigri, ni amer, envers les Etats-Unis. Je suis prêt à y retourner, mais le plaisir du contrôle, le plaisir de l’échange avec un producteur, qui est un, et pas quinze types qui ont eux-mêmes plein de conflits internes, c’est quand même beaucoup plus simple. On n’est pas toujours d’accord, mais on trouve toujours une solution. Et on vise toujours le haut, on ne vise pas le plus petit dénominateur commun.
JOURNALISTE :
Dans le film d’Eric, Victor Bornand est un personnage très complexe. Sa relation à la morale est quand même très spéciale.
ANDRE DUSSOLLIER :
Je pense que dans ce genre de situation, tous les personnages, quand ils ont un soucis d’efficacité ou une obligation de résoudre quelque chose, ils vont fatalement être parasités par des actions qui enlèvent un peu de leur pureté. Tout le monde se salit un peu dans ce genre de situation. Il y a quelque chose de tragique dans le destin de tous ses personnages. Il est rare, en une heure et demie, qu’on puisse dessiner un parcours, une évolution, et dont on peut deviner, malgré la position qu’il occupe au départ, qu’il va être écrasé et soumis à la raison d’état. Un levier qui va de toutes façons être broyé.
ERIC VALETTE :
Et qui assume sa situation de fusible.
ANDRE DUSSOLLIER :
Oui, il assume, en effet, ce qui explique son geste... Comme disait Eric, il y a en lui une moralité d’honneur.
ERIC VALETTE :
Je suis un grand fan du cinéma japonais, particulièrement des films de samouraïs des années 60 et 70. Et pour moi il y avait cet aspect du Ronin chassé de son clan.
JOURNALISTE :
D’où l’importance du personnage de Thierry Frémont. La tradition du mercenaire sociopathe.
ERIC VALETTE :
Il y a le fusible, lui c’est plus l’électron libre. C’est aussi un personnage plus « romantique », le tueur à gages qui essaie de s’extraire de sa réalité et qui vise une espèce d’idéal. Le personnage m’a beaucoup ému à la lecture, et très bizarrement il a fait partie des personnages qui ont fait que les chaînes hertziennes ne nous aient pas suivi. Elles ne comprenaient pas le temps que nous passions sur ce personnage, sur ce tueur. Et elles trouvaient que l’opposition binaire du conseiller politique et de la flic, ça suffisait. Je trouvais au contraire que c’était cette complexité-là qui était intéressante, il est à la charnière de plein d’histoires, il est dans l’action physique aussi. Il incarne pas mal de soldats perdus, qui ont fini au SAC ou dans ce genre de chose, sans être forcément engagés politiquement, mais qui ont suivi leurs potes. Ce personnage m’émeut vraiment beaucoup, et c’est grâce à Thierry Frémont, à qui je voudrais rendre un grand hommage. C’est un grand acteur, affreusement sous-employé dans le cinéma actuel.
JOURNALISTE :
Le choix de la musique est étonnant pour un thriller, tournant parfois en dérision les grands pontes de la politique...
ERIC VALETTE :
Elle fonctionne de diverses façons. Parfois c’est une musique très premier degré, très émouvante, qui est le thème d’intériorité des personnages, leur « détresse », parfois c’est de la musique de tension, beaucoup plus classique. Mais je vois de quoi vous parlez. Un thème au clavecin, que nous appelions le thème de la tromperie. Il devait souligner l’ironie de toutes ses situations. On l’entend sur le générique de début aussi... Je voulais un film riche en musique, en tous cas, dans l’esprit de certains films des années 70, mais avec un esprit un peu plus rock. C’est en tout cas la première fois que j’apportais autant d’importance à la musique. Dans le film, les personnages ne disent jamais ce qu’ils pensent, à part peut-être Bornand avec Mado, ils sont toujours dans la retenue. Il fallait bien expliciter l’intériorité des personnages et la musique nous a aidés pour ça.
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