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réalisateur-scénariste, acteur et juge d'instruction
Journaliste:
Ce film est tiré d'un fait divers...
Laurent Lecvaq (qui n'est plus juge d'instruction):
En 1993, je recherchais l'individu pour une escroquerie dans le cadre d'une formation de l'ANPE, dans le domaine du bâtiment. Je le retrouve en train de construire une autoroute, sans droit ni titre, en tant que conducteur de travaux. A l'époque, Génération écologie utilisait un scarabé protégé pour arrêter tous les nouveaux projets d'autoroute. Le temps que le tribunal administratif se prononce, cela stoppait les travaux pour trois ou quatre ans... Lui, Philippe Bèré, reste là pendant trois semaines, sachant que c'est risqué. Lors de l'instruction, il a admis que pour la première fois il était quelqu'un. Il était devenu l'espoir économique d'une région, et du coup, les gens ne voulaient pas porter plainte. C'est un paradoxe, car en plus cette escroquerie l'a ruiné, puisqu'il y a mis son argent. Mais ce qui est encore plus amusant, c'est qu'il a fait toute "sa carrière" dans le BTP. C'était un autodidacte, et chaque fois que je faisais une erreur technique, il me reprenait. Finalement on a dû détruire l'autoroute, pour des questions de recel...
Xavier Giannoli:
Il était obsédé à l'idée qu'on puisse reconnaître qu'il avait fait du bon boulot.
Journaliste:
Comment est venu ce sujet là ?
Xavier Giannoli:
A la base, il y a eu un article du "Nouvel Obs", très romanesque. Et quand je l'ai rencontré en prison, j'ai été frappé par son regard fuyant et dense à la fois. Comme un gouffre. Cela faisait trop pour un premier film, une trop grande histoire, trop épique. Je ne trouve pas le déclic, et à l'époque, Daniel Carlin, réalisateur de documentaire, s'y intéresse. Puis je fais mes trois films, et me remet sur le sujet. Carlin aussi le rencontre, et arrête après que ce dernier lui ait volé son ordi et ses affaires. Mais il partage ses sources et ses inspirations avec moi.
J'ai voulu finalement prendre des distances avec le fait divers. En reconstituant la réalité ailleurs, dans un premier temps. En choisissant le cinéma de genre, ensuite. En travaillant sur une sorte de course poursuite, de vertige (comme lors de l'écriture), de rythme... et sur la générosité humaine.
Journaliste:
Cette version fait 2h10 contrairement à celle de Cannes qui faisait 2h35. La première heure est beaucoup plus centrée sur les faits et gestes de l'escroc, elle est très austère, on ne sait rien...
Xavier Giannoli:
Dans la première version du scénario, je n'avais pas encore Cluzet. Avec lui, il m'a fallu écrire des scènes affectives, des égarements, des regards. Je doute, je tatônne, je cherche. Je rajoute ce début, j'expérimente. Après Cannes, une vague d'émotion me donne confiance pour radicaliser mon personnage. Et arrive la sécheresse du début...
Journaliste:
Cela change la vision du personnage pour le spectateur...
Xavier Giannoli:
Oui, et c'est tant mieux si on se demande s'il n'est pas juste un cinglé... J'ai eu beaucoup de liberté entre Cannes et la sortie. Les coupes ont permis de rajouter des choses matérialistes, comme quand il repasse ses billets de banque. Cela a rendu aussi les choses plus claires : c'est un homme fermé au début, qui n'a aucun soucis du monde qui l'entoure, comme dans "Gran Torino". Puis le trouble amoureux le fait rester, la rencontre avec les autres... mais ça n'est pas si clair.
Journaliste:
C'est étonnant d'arriver à faire du beau avec des engins de chantier...
Xavier Giannoli:
Il n'y a pas de mythologie associée aux chantiers. Ce n'est pas très sexy. Mais juste avant qu'il ne se fasse déborder par son mensonge, il fallait qu'il y ait de la féérie. C'est là tout l'enjeu de la mise en scène. Et c'est là toute la dimension épique du Scope, même si ça veut dire un matériel délirant (rires)...
Brice Fournier:
C'est là le paradoxe de ce décors de Cambrai, âpre, car partout où on se tournait, il y avait un arbre, du brouillard, et une lumière un peu magique...
Xavier Giannoli:
J'ai choisi le nord pour son côté western. Le personnage, c'est un peu un bandit à cheval qui arrive dans une ville. Là-bas, il y a une certaine lumière, une impression d'être sur un bateau en pleine mer...
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