© Tadrart Films
réalisateur
Journaliste :
Qu’est-ce qui a motivé cette envie ? On a l’impression que vous voulez réhabiliter Choron ?
Pierre Carles :
C’est parce que c’est le grand oublié. Il a été gommé de la photo de famille par l’équipe actuelle de Charlie Hebdo. Lorsqu’est paru en 2004 quelques mois avant la mort de Choron « Les années Charlie » le best off de noël avec un recueil de unes de Charlie Hebdo, la une la plus connue (« un mort tragique au bal de Colombey-les-deux-églises ») n’était pas crédité comme étant de Choron alors qu’elle est de lui. Donc on l’a gommé comme dans les pays de l’Est où on virait les personnes gênantes des photos. Un des moteurs de la fabrication de ce film c’était pour rendre à Choron ce qui appartient à Choron, pour lui faire justice. Il était aussi important que Cavanna qui est le premier à le dire. C’étaient Cavanna et Choron les deux personnalités fortes de ce journal.
Journaliste :
Cavana dans votre film lui rend hommage, c’est le seul de l’ancienne équipe...
Pierre Carles :
Oui, les autres nient l’importance de Choron, notamment Vals, Wolinsky et Cabu. Cavana dans l’historique remet les choses en place. Ils n’existaient pas l’un sans l’autre.
Journaliste :
Comment avez-vous fait pour convaincre ceux d’aujourd’hui de parler au micro ?
Pierre Carles :
On a rusé, on est allés les chercher dans les lieux publics, par exemple au festival d’Angoulême pour Wolinsky, au festival de Cannes où ils sont allés présenter un film : « C’est dur d’être aimé par des cons ». On les a interviewés dans des endroits accessibles au public. Les questions qu’on leur a posées n’étaient pas celles auxquelles ils s’attendaient et ils étaient parfois un peu énervés par certaines questions notamment quand on leur demandait pourquoi ils n’ont pas rendu hommage à Choron.
Journaliste :
Comment s’expliquer l’absence de sa propre fille dans le film ?
Pierre Carles :
On n’a pas interviewé Michelle Bernier parce que c’est bien sa fille d’un point de vue génétique, mais il nous a semblé que Vuillemin était plus son fils en terme d’humour. D’ailleurs à un moment donné dans le film, pendant l’émission avec Marc Olivier Fogiel, ils essaient de faire dire à Choron qu’il aime bien ses enfants et qu’il est papa poule etc. Il répond « pas du tout, je leur ai jamais torché le cul ». A la question « qu’est ce que vous laisseriez à vous enfants » : « rien ! ». Je pense que la réponse est là. Qu’a-t-il laissé à ses enfants ? …
Journaliste :
Un film qui porte son nom, qu’en aurait-il pensé ?
Pierre Carles :
Il n’a pas vu le film, il était mort avant qu’il ne soit achevé. Je pense qu’avec Martin qui s’est inspiré de l’esprit Choron pendant des années, on a été assez fidèles. On a fait un film relativement classique mais c’est aussi lui rendre hommage que de faire les choses normalement. Donc un film classique mais avec des archives incroyables et avec un Choron qui pour ceux qui ne le connaissent pas reste une découverte extraordinaire.
Journaliste :
En dehors de vos propres images, d’où viennent tous les documents ?
Pierre Carles :
A sa mort on s’est aperçu que beaucoup de choses restaient inédites, notamment les cassettes Hara-Kiri. Elles contenaient des sketches qui ont beaucoup inspiré les Nuls et ceux qui ont fait de l’humour sur Canal+, et ils n’avaient pas envie de montrer à quel point ils étaient des copieurs. Donc il suffisait d’aller chercher ce qui existait et Choron nous a confié pas mal d’archives avant de mourir. Ce n’était pas difficile à débusquer, il fallait juste en avoir la volonté.
Journaliste :
Comment expliquez-vous qu’il accepte d’être filmé dans son lit d’hôpital et dans son village natal ?
Pierre Carles :
Choron était quelqu’un de très exhibitionniste vous savez. Il était avide de tournage et était très content car il était très isolé. Il n’y a eu aucun problème. Nous, on a voulu lui faire faire un dernier tour de piste, car on savait qu’il était mourrant.
Journaliste :
Vous avez des points communs avec lui ?
Pierre Carles :
Non, la particularité d’Hara-Kiri, Choron, Cavanna, Gébé, venaient tous de milieux modestes, étaient tous fils de prolétaires, de cheminots vivant modestement. C’est très rare qu’un journal de cette importance, vendu à plus de 250.000 exemplaires ait été fait non pas par des gens issus de la bourgeoisie un peu intellectuelle, mais par des prolétaires. C’est exceptionnel dans la presse française.
Journaliste :
Et sur l’auto censure actuelle ?
Pierre Carles :
Ce qu’on n'a pas le droit de faire [actuellement] c’est de ne pas se fixer de limites. C’est ce que faisait Hara-Kiri, ils ne se fixaient pas de limites, d’ailleurs souvent ça pouvait être limite mauvais goût, peu importe, ça pouvait être aussi génial. C’est ce qui a changé, aujourd’hui les gens se fixent des limites, s’autocensurent, savent très bien où s’arrêter et deviennent des employés de la provocation et non pas des mystiques de la subversion comme le dit Marc Edouard Nabe dans le film. Donc on a effectivement des petits employés de la provocation à la télévision, à la radio.
J’espère que ce film va nous amener à nous questionner sur le politiquement correct et à se demander si on n’est pas dans les années 60, si il n’y a pas des choses sur lesquelles on ne peut pas plaisanter, s’il n’y a pas des choses taboues. Quand on voit le nouveau Charlie Hebdo on pourrait se dire qu’on a beaucoup perdu, beaucoup régressé.
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