INTERVIEW

IL DIVO

© StudioCanal

IL DIVO


Paolo Sorrentino

réalisateur et scénariste


Journaliste :
D’où vous est venue l’idée de faire un film sur Giulio Andreotti ?

Paolo Sorrentino :
J’en ai toujours eu envie. A 19 ans, j’ai fait un court-métrage sur le sujet, qui s’est avéré un échec. Je me souviens qu’un journaliste qui l’avait interviewé l’avait décrit comme un homme qui ne regardait pas dans les yeux. Il m’a alors semblé que le personnage présentait une dimension psychologique vraiment intéressante.

Journaliste :
Et vous l’avez rencontré ?

Paolo Sorrentino :
Oui, deux fois avant de commencer à écrire le scénario. Je peux vous dire qu’au contraire, il vous regarde dans les yeux ! Seulement, il vous regarde comme si vous n’existiez pas. Cet homme ne s’intéresse qu’au pouvoir.

Journaliste :
Et qu’est-ce qui vous fascine le plus chez lui ?

Paolo Sorrentino :
Tant de choses. Il gouverne à la manière de la curie romaine. J’ai toujours été impressionné par les hommes qui ne mélangent pas le pouvoir et la richesse ou l’opulence. Andreotti est de ceux-là, je ne comprendrai jamais. Vous savez, j’ai une vision banale des choses. J’ai toujours pensé que la quête de pouvoir était indissociable d’une quête matérielle.

Journaliste :
Le premier tiers du film est truffé de références aux films de gangsters et de mafia. Vous avez voulu montrer Andreotti comme un parrain ?

Paolo Sorrentino :
Il y a un peu de cela. Disons qu’Andreotti a instauré un rapport de pouvoir vertical, comme dans les grandes organisations.

Journaliste :
Les acteurs sont épatants. Comment les avez-vous dirigés ?

Paolo Sorrentino :
Personnellement, je préfère passer du temps à peaufiner l’écriture de mes personnages et du scénario qu’à travailler mes acteurs au corps. Il n’y a pas de mystère : mon film regroupe les meilleurs acteurs du théâtre italien d’aujourd’hui. Et quand on a la chance d’avoir des acteurs intelligents et de talent, on a forcément de bons résultats.

Journaliste :
Avez-vous fait l’objet de pressions visant à vous dissuader de faire ce film ?

Paolo Sorrentino :
Pas directement. J’ai entendu des rumeurs, mais aucune menace n’a été formulée. Paradoxalement, les personnes dont il est question dans le film se sont plus intéressées aux séquences décrivant leur vie privée (comme par exemple la fameuse scène de danse dans les salons du Conseil) qu’à la représentation morale que j’ai faite d’eux ! Comme quoi, ils n’ont jamais considéré qu’un film comme le mien pouvait les inquiéter.

Journaliste :
Beaucoup de surnoms sont donnés à Giulio Andreotti. Pourquoi avez-vous choisi celui de Il Divo pour intituler votre film ?

Paolo Sorrentino :
C’est un célèbre journaliste politique, Mino Pecorelli, qui l’avait ainsi surnommé. C’est devenu évident pour tout le monde. Il faut savoir qu’Andreotti était un personnage public très médiatisé, connu pour son goût pour les mondanités, un peu comparable à Berlusconi aujourd’hui. Il Divo est aussi une expression qui se prête aux hommes d’église, c’est donc devenu un surnom ironique.

Journaliste :
Giulio Andreotti a-t-il réagit au film ? Directement ou indirectement ?

Paolo Sorrentino :
Oui. Il l’a vu quelques jours avant d’être projeté à Cannes et il a très mal réagi. Il a même menacé de quitter la salle lors de la scène où le personnage révèle tout le mal qu’il a fait à l’Italie. C’est assez surprenant, parce qu’il est toujours resté imperturbable face aux attaques, auxquelles il était habitué depuis cinquante ans. Cela s’explique sans doute par la force du cinéma. Mais dès lors que le film a été récompensé, étonnamment, il s’est radouci. Il a un peu changé son fusil d’épaule, me reprochant cette fois-ci d’avoir été imprécis dans mes scènes traitant de sa vie privée. Sauf que je n’ai jamais eu la prétention d’être précis : ces scènes sont le pur fruit de mon imagination.

Journaliste :
Avez-vous rencontré des difficultés pour financer le film ?

Paolo Sorrentino :
En Italie, il est très difficile de réaliser des films politiques ou traitant de l’histoire politique de l’Italie. Par exemple, nous n’avons reçu aucun investissement de la part des chaînes télévisées, ni des institutions. En cela c’est très différent de la France. Nous avons donc dû mobiliser des personnes qui croyaient en notre projet, et qui, pour la plupart, ont puisé dans leurs fonds propres. Cela a pris un an, et nous y sommes parvenus. Pour autant, le succès remporté à Cannes par mon film et celui de Matteo Garrone (« Gomorra ») ne signifie pas qu’on assiste à une renaissance du cinéma politique italien. Selon moi ce sont des cas isolés.

Sylvia Grandgirard
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