INTERVIEW

GOLDEN DOOR

© Memento Films

GOLDEN DOOR


Emanuele Crialese

réalisateur et scénariste


Vous montrez peu d’émotion dans vos personnages, pourquoi ?

C’est conscient en effet, car j’ai une vision bien particulière de l’être humain. J’ai tendance à voir en priorité le côté digne de l’homme, son intériorité. Je dois tomber amoureux avec mes personnages. Je ne veux pas voir de personnage pessimiste. Le personnage doit être sacré, c’est presque religieux. J’aime l’idée que mes images apparaissent comme d’un autre monde !

Quel fut votre point de départ pour ce film, vos inspirations ?

Je me suis beaucoup documenté pour ce film. Je me suis demandé si je devais réécrire l’histoire ou faire un documentaire historique. Finalement, j’ai fait ma propre interprétation, en mélangeant les styles de vêtements par exemple, pour apporter une mémoire plus qu’un historique. J’avais un réel besoin de quitter l’historique. Après, j’ai beaucoup lu sur la vie des gens et j’ai découvert ce monde. J’ai trouvé dans cet homme agricole une vision de la planète semblable à une noblesse. Aussi, une énorme confiance dans l’homme : on survit si on est ensemble.

J’explore ainsi le mythe de l’Amérique et ce qu’il a pu provoquer, la réelle volonté de croire en ce Nouveau Monde. Une autre source d’inspiration fut ces photos de fruits et légumes géants, qui étaient les premières formes de propagandes arrivées d’Amérique pour encourager les paysans à quitter leur terre aride pour une terre d’abondance assurée. Cette image fausse des Etats-Unis est encore existante aujourd’hui avec Hollywood par exemple.

Pourquoi une telle fascination pour le personnage de Charlotte Gainsbourg ?

C’est la femme moderne que l’époque ne connaît pas encore. Je l’ai aussi choisie pour son physique « alien », tout en longueur, la peau blanche ; tout l’opposé de l’italienne ! C’est un personnage mystérieux, je voulais qu’elle soit différente des autres personnages du film. Quand je filme j’ai une réelle fascination pour les personnages féminins. On avait discuté du personnage avec Charlotte, mais en fonction de ses dévoilements, on a changé beaucoup de choses, par exemple un simple regard a pu remplacer une page entière de scénario !

Que vouliez-vous signifier avec ce fleuve de lait ?

C’est la vision biblique de la Terre Promise, les fleuves de lait et de miel représentent l’abondance. Je voulais faire nager mes personnages dans l’abondance toute leur vie. Mais il n’y a aucun horizon, on ne sait pas où se termine cette nage. Cela démontre que l’homme ne sait pas où il va, ce qui n’est pas tellement optimiste. Ce n’est pas forcement une vision très joyeuse mais ceci laisse au spectateur son propre avis.

Dans un tel film politique et historique, pourquoi ce mélange poétique et onirique ?

C’est la partie cachée de l’homme ! On a tous un peu honte de parler de nos rêves, mais le rêve aide à soutenir le poids de la réalité. Mon cinéma s’éloigne d’une réalité pour une autre plus métaphorique. On a besoin de rêver comme de manger ; sans rêve on ne vit plus.

Peut-on parler d’une fin fantasmatique ?

Beaucoup de choses relèvent du rêve dans le film, mais cette fin est faite d’évènements bien réels. On constatera une vraie unité entre les hommes, ils ont les mêmes désirs, les mêmes espoirs. Ellis Island où ils débarquent tous est une sorte de Dieu qui choisit de l’entrée ou non dans le Nouveau Monde.

Cedric Jolivet
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