INTERVIEW

AGUA

© Tadrart Films

AGUA


Verónica Chen

réalisatrice


Lorsque Verónica Chen évoque son film, on voit tout de suite qu’elle est peu intéressée pour évoquer les aspects techniques ou concrets de "Agua". Quand on lui demande par exemple si le film est inspiré d’une histoire vraie, elle balaie rapidement la question : « la seule chose vraie c’est le marathon et les courses dans la piscine ». De même, quand on veut en savoir plus sur la manière dont elle a investi la vraie compétition pour son film, elle ne fait que répondre qu’ils ont eu besoin d’ « un jour pendant le marathon et de deux semaines pour le reconstruire ». Ce genre de détails ne semblent pas l’intéresser.

En tout cas, Chen n’est sûrement pas le style à plonger dans la folie des "révélations de coulisse". Elle s’étend légèrement plus pour parler de la manière dont elle a tourné les scènes sous l’eau – sans doute parce qu’elle paraît y avoir pris beaucoup de plaisir ! – en nous annonçant plutôt fièrement qu’elle a « appris à plonger et passé son permis » avant de tourner, qu’il y avait « 8 plongeurs dans l’équipe de tournage » et que « le chef opérateur de ces scènes est l’opérateur steadycam qui travaille avec Gus Van Sant et il est argentin » (ndlr : Matías Mesa).

Côté coulisses du tournage, elle nous indique aussi qu’elle a fonctionné au coup de cœur pour le casting, ne recherchant pas forcément des acteurs qui savaient très bien nager : la preuve en est que l’acteur qui joue Chino « ne savait pas nager et a dû s’entraîner pendant 6 mois » ! Bref, c’est à peu près tout ce qu’on peut arracher à la réalisatrice sur ce genre de sujets !

Par contre, Veronica Chen accorde une très grande importance aux aspects symboliques... mais il est parfois dur de la suivre, notamment à cause du handicap de la traduction, forcément décalée, sélective et source de déformations ! Pour évoquer le début du film, la réalisatrice pense que, « de façon géographique, dans un désert, il y a eu de l’eau avant, donc il y a une relation avec l’eau », indirectement, et que ce « manque d’eau a un rapport avec le désir : le personnage principal a dû aller dans le désert à cause d’une déception antérieure très forte mais partir, aller loin, ne fait pas disparaître le désir mais peut le renforcer ». Chen dit avoir voulu « que le spectateur comprenne que le désert intérieur forme le personnage ».

Ce désert a aussi un lien avec « le côté obscur du personnage : accusé injustement de dopage, il a préféré fuir alors qu’il avait la possibilité de rester et d’affronter ». Pour Verónica Chen, le personnage reproduit les mêmes choses ensuite : « la première fois, il abandonne la femme avec qui il est, alors qu’elle est enceinte ; la deuxième fois, il abandonne Chino tout seul. Il a l’impression d’aider comme ça ! Mais c’est vrai qu’il fait aussi du bien à travers le mal ! »

Verónica Chen aime aussi parler des femmes, des hommes et de leurs relations. Pour elle, « la femme de Chino, c’est son lien avec la réalité : elle travaille, elle paie pour la passion de Chino. Elle ne voit pas le temps de la même façon : pour elle c’est un temps biologique, lié à la naissance de son bébé, alors que pour Chino, le temps est une question prédominante ».

Selon Chen, « les hommes sont égoïstes, rêveurs, passionnés… mais un peu comme tout le monde », s’empresse-t-elle d’ajouter, comme pour ne pas froisser les journalistes masculins qui lui font face ! Et si sa manière d’érotiser les acteurs traduisait aussi sa vision de l’homme ? En fait, elle note très justement qu’« un nageur est presque complètement nu tout le temps. Il se change devant tout le monde, son corps ne lui appartient presque pas. Pourtant il est difficile d’atteindre son intérieur, sa carapace est très forte ». Chen nous indique aussi qu’elle voulait « parler du plaisir par opposition à la concurrence : le plaisir et la passion les font nager ».

Evidemment, la natation est au centre de son film, qui est loin de ressembler aux films de sport habituels. En fait elle n’a « pas vu de film sportifs spécifiquement pour faire "Agua" », elle en avait vu quand elle était petite mais n’y a pas pensé. Elle révèle alors qu’elle a d’abord souhaité « raconter une histoire en partant d’un personnage qui avait fui dans le désert et qui est de retour, sans savoir ce qu’il avait fui et ce qu’il voulait récupérer ». Après, elle a « pensé que ce personnage, par son caractère, était forcément un nageur ! » Par contre, elle avoue avoir été « inquiète de la réaction des nageurs professionnels (mais) ça a marché car ils ont eu le sentiment d’être intimement représentés ».

Pour recréer l’intimité du nageur, Verónica Chen a largement utilisé les plans subaquatiques mais a aussi précisément travaillé sur le son : « je crois que le son est très subjectif, comme l’odorat. On peut fermer les yeux mais pas les oreilles. Il y a toujours quelque chose qui filtre donc c’est intéressant pour décrire la subjectivité ». D’autre part, la réalisatrice se dit formellement intéressée par la co-existence de 3 éléments, 3 mondes différents : « la terre, l’eau de la rivière et l’eau de la piscine ».

Chen voulait « jeter un coup d’œil à l’intérieur du personnage, comprendre comment il communiquait avec le monde extérieur, si c’était possible de le faire ». Quant aux plans subaquatiques qui tendent vers l’abstraction, Chen avait « l’intention de se laisser aller, de découvrir un autre monde, loin de la terre ». Alors laissons-nous aller aussi…

Raphaël Jullien
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