INTERVIEW

LA RAISON DU PLUS FAIBLE


Lucas Belvaux

scénariste, réalisateur et acteur


Une cigarette à la main, très détendu, des cheveux grisonnants, 45 ans au compteur, Lucas Belvaux prend plaisir à parler de la Belgique et de l’histoire de Liège, ville où il a planté le décor de son nouveau film « La Raison du plus faible ». Sans militer pour autant il parle aussi des ces hommes et femmes qui vivent pour une entreprise qui peut leur fermer la porte du jour au lendemain, mettant en danger un être, une famille, autrui…

Comment avez-vous vécu la transition entre votre trilogie « Un couple épatant / Cavale / Après la vie » et ce nouveau film ?

Entre temps j’ai eu d’autres idées, d’autres envies. Puis j’ai fait un téléfilm pour France 3 « Nature contre nature » qui m’a servi de soupape pour évacuer le poids de la trilogie. Mais je l’ai très bien vécu ! C’est à chaque fois une autre aventure, avec d’autres enjeux, d’autres comédiens…

Vous êtes à nouveau devant et derrière la caméra pour ce nouveau film : quels avantages en retirez-vous ?

D’être avec les acteurs, ça crée une solidarité, un rapport plus simple entre nous. Et aussi, ça permet aux comédiens de s’engouffrer dans le milieu de la technique. Il y a un réel esprit de troupe, un esprit très solidaire qui s’installe.

Parlez-nous un peu de l’histoire de « La Raison du plus faible »…

Mon film parle de gens dont on ne parle pas tellement. J’ai voulu montrer comment est vécue la crise d’aujourd’hui. A la télé on ne voit ces ouvriers qu’après une grave catastrophe. Souvenez-vous de MetalEurope, société rayée de la carte en même temps que ses 900 salariés. Un événement très médiatisé mais une goutte d’eau dans l’océan… De plus, il faut savoir que certains de ces ouvriers sont par la suite devenus des braqueurs de stations-service. Vous savez, les gens retournent contre d’autres la violence qu’ils ont eue sur eux-mêmes.

D’où le casse de votre film… ne pensez-vous pas à ce sujet que les rôles soient inversés entre Patrick qui fait le sale boulot et Robert qui attend qu’il soit fait ?

Je ne pense pas. De chaque côté, le dérapage était possible et pouvait être très grave. Patrick avec les industriels et Robert avec une famille comprenant des enfants. C’est dur de prendre des gosses en otage… Il est vrai que les rôles pouvaient être inversés, cela fonctionnait aussi. Mais je dois bien avouer que ce qui m’intéressait c’était d’envoyer Patrick au feu ! C’est un père de famille, la dramatique est d’autant plus grande.

Qui joue son fils, le petit Steve, qui n’a pas un rôle facile…

Il s’agit de mon neveu. C’était d’autant plus simple, cela évitait un tas de paperasse et des castings. Ici, après quelques essais j’ai compris que ça fonctionnerait. Un rapport de confiance s’est vite établi. D’ailleurs il s’est déjà fait recontacter pour tenir d’autres rôles mais il ne devrait pas poursuivre cette voie, il est encore un peu jeune, c’est un métier instable…

Pour en revenir au film comment avez-vous imaginé cette scène très intense où vous récitez un déroulement de braquage ?

Ce passage a été pensé dès l’écriture du scénario. Tous ceux qui parlent de la violence au cinéma aujourd’hui ne l’ont pour la plupart pas vécu. Ils ne présentent que des côtés spectaculaires de ce qu’ils ont eux-mêmes vu ailleurs dans d’autres films. J’ai voulu pour ma part coller à la réalité. A Liège pendant notre tournage, il y a eu deux braquages du même type que celui que je décris dans mon film !

Liège est montrée de manière très industrielle, ce n’est pas une carte postale idyllique. Ce n’est pas fâcheux pour l’image de la ville ?

Historiquement Liège est un important vivier industriel pour le pays. Mais je ne crois pas dénaturer l’image de la ville avec ce qui se passe d’autrement plus dramatique en Belgique en ce moment [ndlr : les rapts d’enfants défraient l’actualité belge au moment de l’interview].

Les seuls lieux d’évasion que vous semblez montrer sont ces jardins, tels des jardins d’Eden, où se ressource le héros du film.

Oui et il y a aussi les bars où on se retrouve entre amis. Mais il est vrai que ces parcelles de jardins sont quelque chose d’importants là-bas. Ils cultivent un réel lien social. Celui de Liège est l’un des plus grands de Belgique et a trouvé son origine de par une vieille tradition ouvrière. A la base il s’agissait de faire des économies en cultivant son propre potager. Aujourd’hui c’est un vrai espace de vie, il y a même des concours de courgettes qui y sont organisés pour lesquels certains n’hésitent pas à accrocher des poids aux légumes afin qu’elles soient plus grandes !

Mathieu Payan
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