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cannes 2013 - Retour sur la Quinzaine des Réalisateurs : Seuls au monde


Au jeu du « quels ont été les grands thèmes de la Quinzaine cette année », il n’est pas si évident de pointer un sujet récurrent ou une tendance marquante. Au final, le vecteur commun entre la plupart des films est sans doute à établir du côté des réalisateurs, la plupart des hommes et la plupart très jeunes, en témoigne l’incroyable brochette invitée sur scène par Edouard Waintrop le jour de la clôture. Face à ces cinéastes prometteurs, aux nationalités, sensibilités et styles variés, on ne peut s’empêcher de penser à leur courage, à leur lutte pour parvenir à concrétiser leurs projets, à leur solitude, aussi, à ce stade de leur carrière. La solitude. En voilà un sujet digne d’intérêt. Et si, finalement, ce n’était pas cela le grand thème de la Quinzaine cette année ?

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Loin des siens

Pain béni du cinéma social depuis quelques années, la question de l’immigration a trouvé quelque écho dans la sélection. On pense à « L’Escale », bien sûr, documentaire poignant de Kaveh Bakhtiari sur une poignée de clandestins afghans en transit à Athènes, qui tentent de rejoindre illégalement l’Europe dans l’espoir d’une vie meilleure. Mais c’est davantage « Ilo Ilo », du Singapourien Anthony Chen, qui évoque la solitude de ceux qui quittent leur pays et se retrouvent seuls, loin des leurs, en terre inconnue. Auréolé de la Caméra d’or, ce premier film relate la relation entre une famille singapourienne et leur domestique Teresa, fraîchement arrivée des Philippines et qui, comme beaucoup de ses compatriotes, aspire à une vie meilleure. Soumise à cette famille par sa fonction, mais aussi par ses origines étrangères, qui la placent à un rang d’infériorité, elle doit en plus composer avec un enfant dominateur et turbulent qui lui rappelle sans cesse son propre fils, qu’elle a été contrainte de délaisser. Frais et sensible, le film échappe au misérabilisme en mettant en scène la naissance d’une complicité entre ces deux êtres que tout sépare. Mais s’il est teinté d’optimisme, il rend palpable cette solitude, simplement humaine, qui caractérise les populations déracinées, sacrifiées au nom de la solidarité familiale.

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Chacun son trip

Dans un registre beaucoup moins sociétal, la comédie horrifique « Magic magic » de Sebastián Silva offre un cas d’isolement intéressant : celui d’une jeune fille psychologiquement emmurée. Incapable de s’intégrer à un groupe de jeunes de son âge alors qu’elle est en vacances au Mexique, victime d’hallucinations et d’accès de démence sans être capable de s’en justifier ni d’attirer la moindre empathie à son égard, l’héroïne du film, incarnée par l’excellente Juno Temple, se retrouve pour ainsi dire seule au monde. Le basculement qui s’opère, du moment où elle met le pied sur une île (symbole de la solitude par excellence) avec ses camarades, et sa lente progression au fil des micro-incidents qui nourrissent sa paranoïa, sont habilement orchestrés par le jeune cinéaste mexicain, qui prend un malin plaisir à martyriser la jeune fille. La manœuvre est d’autant plus efficace que plus l’aliénation s’opère, plus elle génère suspicion et défiance. L’isolement est à son comble, et la fin du film le prouvera.

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Chacun dans sa bulle

Mais revenons à des proportions plus réalistes. Dans le film de Yolande Moreau intitulé « Henri », Rosette (fascinante Miss Ming) est une jeune femme déficiente mentale hébergée à l’institut des Papillons. Elle est capable d’accomplir des tâches ménagères si on les lui explique bien, de devenir serveuse dans un restaurant si l’on est patient, et de rentrer seule à la pension après son travail. Elle tombe amoureuse aussi, de Henri le restaurateur veuf (Pippo Delbono), parfaitement sain mentalement mais lui aussi bien seul, malgré la venue intempestive de ses amis piliers de comptoir. Bref, nous avons là deux personnages à forte charge poétique et émotionnelle, qui synthétisent à eux deux ce que l’isolement peut signifier : il y a celui contre lequel on ne peut lutter (une déficience congénitale) et celui que le destin nous inflige (la perte d’un repère ou d’un être aimé), moins inéluctable mais plus douloureux. Deux âmes esseulées qui se rencontrent peuvent-elles trouver la voie de la paix ? Le film de Moreau, touchant, propose une jolie réponse.


Je est un autre

Enfin, s’il y a bien un film de la Quinzaine qui aborde de front la question de l’isolement, c’est le premier film de Guillaume Gallienne. Sous ses airs de comédie, ce journal intime cinématographique, adaptation de la pièce de théâtre éponyme, relate de quelle manière une mère, sans mauvaises pensées, a pu faire croire à sa propre progéniture qu’il était homosexuel… alors qu’il ne l’était pas ! Un constat tragique, au final, tant l’expression « mettre les gens dans des cases » prend ici tout son sens. Très drôle et magnifiquement interprété, le film « Les garçons et Guillaume, à table ! » montre avec une fausse légèreté le cheminement psychologique emprunté par Gallienne, lorsqu’il était plus jeune, pour se défaire de cette identité qu’on lui avait attribuée et découvrir qui il était vraiment, à savoir un garçon qui aime les filles. Quand on sait à quel point l’adolescence est un âge difficile, on peut aisément imaginer à quel point le sentiment d’être « à part » peut être ravageur… Et au vu de la biographie de Guillaume Gallienne, il semble bien l’avoir été !

Sentiment universel par excellence, la solitude ou le sentiment d’isolement portent un fort potentiel d’identification, ou du moins d’empathie. Un sujet clé de l’édition 2013 de la Quinzaine des réalisateurs, décidément bien en phase avec les questions de notre temps.

Sylvia Grandgirard

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