Les romances au cinéma avancent souvent sur des sentiers battus, avec des codes convenus et un manque d’originalité dommageable. Mais au milieu de ce paysage académique, une saga dénote, aussi bien sur le fond que la forme.
Alors que vient de débarquer sur nos écrans le troisième volet de la série des « Before… », Abus de Ciné se devait de revenir sur cette chronique amoureuse entre un homme et une femme, qui se sont rencontrés il y a maintenant plus de 18 ans, dans un train en direction de Vienne.
Mis en scène par Richard Linklater, ces opus ont immortalisé le couple formé par Julie Delpy et Ethan Hawke comme l’un des plus attachants et originaux que nous a offert le 7e art ces dernières années.
La genèse du projet
Tout commence en 1989, dans un petit magasin de jouets de Philadelphie. Richard Linklater a alors 29 ans et en est encore à réaliser des courts-métrages. Il se balade dans les rayons et croise le regard d’une jeune femme. La conversation s’engage entre les deux, sans qu’aucun n’ait envie de la stopper, les tourtereaux étant subjugués l’un par l’autre. Ils délaissent alors les gadgets de la boutique et se mettent à déambuler dans les rues, ne pouvant s’empêcher d’avoir l’envie de tout savoir sur l’autre. Les deux inconnus vont ainsi échanger durant toute la nuit ; et au petit matin, après les adieux, le futur cinéaste tient le pitch de départ d’un éventuel long-métrage.
Si cette idée lui trotte dans la tête, ne pouvant oublier cette nuit, où le temps d’un instant il a cru aux coups de foudre que les contes de fée s’amusent à raconter, il va se faire la main sur d’autres productions avant de revenir à ce projet plus personnel. Avec un budget de 23 000 dollars, il met ainsi en scène son premier long-métrage, « Slacker » racontant une journée dans la ville d’Austin de son Texas natal, où une pléthore de personnages se côtoient et débattent sur une variété de sujets. Le sens du verbe et les répliques abondantes au flux quasi-ininterrompu sont déjà présents, l’humour grinçant également.
Et en 1994, Richard Linklater se lance enfin dans l’aventure qui aboutira à « Before Sunrise » et ses suites. Désireux de ne pas occulter le point de vue féminin, il s’entoure pour la première fois d’une co-scénariste, en la personne de Kim Krizan à qui le réalisateur avait confié des petits rôles dans ses précédents longs métrages. Et si les premiers jets de scénario aboutissent rapidement, la difficulté première est ailleurs : trouver un duo d’acteurs dont l’alchimie serait évidente à l’écran.
Aujourd’hui, il est bien délicat d’imaginer d’autres acteurs que Julie Delpy et Ethan Hawke dans les rôles de Céline et Jesse, mais à l’origine, beaucoup d’autres noms ont circulé avant eux. Linklater trouvait l’acteur américain trop jeune, mais après l’avoir vu sur scène à Broadway et après une longue discussion avec lui, il lui offre le rôle, tandis que la forte personnalité de la française finit par le séduire. Le tournage va pouvoir commencer !
Des acteurs plus qu’engagés
Rapidement, Julie Delpy et Ethan Hawke débordent de trouvailles pour crédibiliser la rencontre entre une belle française et un jeune américain dans un train, qu’ils décident de quitter à un arrêt pour poursuivre leur conversation. Linklater ne ferme pas la porte aux propositions des comédiens, si bien qu’ils se mettent à réécrire le scénario à six mains. Et si les deux acteurs ne figurent pas parmi les coscénaristes lors du générique final, c’est en raison d’un conflit les opposant à Kim Krizan, auteure des premières versions.
Peu importe, pour les deux suites, le schéma va se reproduire, c’est désormais le trio qui va imaginer les pérégrinations romantiques du couple. Néanmoins, l’idée d’une suite ne germe pas immédiatement dans leur esprit, et c’est lors du tournage de « Waking Life » dans lequel le réalisateur a offert des petits rôles aux deux comédiens, que la machine va se relancer.
L’envie était trop forte de retrouver Jesse et Céline, ils ont tous imaginé ce qui avait pu leur arriver après la fin de « Before Sunrise », et le pot-pourri de toutes ces idées donne rapidement une première version de scénario. Et c’est donc ensemble qu’ils vont se retrouver neuf ans après pour donner une suite à cette folle romance ; huit ans après, ils s’enfermeront à nouveau pour rédiger le scénario du troisième épisode, dans le même souci d’authenticité et de véracité.
Alors qu’ils n’étaient pas les premiers choix du cinéaste, ce dernier a trouvé les parfaits partenaires pour transcender sa vision poétique du coup de foudre, les acteurs n’hésitant pas à se servir de leur propre vie et de leur amitié pour développer leurs doubles à l’écran. Et Julie Delpy poussa même la chansonnette en participant à trois compositions de la bande originale de « Before Sunset ».
Une mise en scène effacée derrière un schéma narratif bien huilé
C’est dans un train qu’on découvre la première fois Jesse et Céline, tous les deux enfermés dans le cadre de leur plan, observant un couple allemand en train de se disputer. Un jeu de regards s’installe entre eux et finalement, Jesse ose une approche. La discussion se poursuit alors durant de longues minutes, en champ-contrechamp, comme si chacun voulait encore garder ses distances.
Mais lorsque le moment fatidique arrive de se décider de poursuivre l’aventure hors du train, les deux protagonistes occuperont désormais pratiquement systématiquement les mêmes plans, la communion entre ces deux êtres étant ainsi symbolisée. Les deux autres métrages suivants débutent de la même façon, avec Jesse en train d’interagir avec un proche (son éditeur ou son fils), avant qu’il retrouve Céline pour débuter une conversation fleuve dont ils ont le secret.
Par la suite, la mise en scène s’efface progressivement pour mettre en valeur le texte, le réalisateur se contentant de suivre les protagonistes déambuler dans les rues, en travelling ou caméra à l’épaule. Linklater ne s’intéresse qu’à ces deux personnages, c’est pourquoi, ils sont de quasiment tous les plans, aucun personnage secondaire consistant n’apparaissant (à l’exception de quelques scènes de « Before Midnight », notamment celle anthologique du repas où le spectateur découvre les histoires et le passé des petits nouveaux, dans une furia impressionnante de sentiments).
La structure des trois opus est alors la même : un laps de temps très court, le deuxième se déroulant quasiment en temps réel, de longues balades, les magnifiques paysages d’une ville (Vienne, Paris et une île grecque) et une caméra se cachant derrière les répliques aiguisées du duo.
Une écriture impétueuse et originale pour s’éloigner des carcans hollywoodiens
La véritable force de la saga « Before… » est sans conteste le piquant des répliques acerbes formulées par le duo, avec cet humour grinçant qui n’est jamais bien loin. Faisant la part belle aux mots, les élucubrations des protagonistes bénéficient d’un charme et d’une douce folie qui ravissent les spectateurs. Mais chaque épisode possède son propre thème au milieu des divagations philosophiques foisonnantes, le premier racontait ainsi la naissance d’un amour fusionnel, cette sensation fugace du coup de foudre, non sans poésie.
Du film d’amour de "Before Sunrise", "Before Sunset" est devenu un métrage sur l’amour, où il s’agit de débattre sur ce qu’est l’amour, sur les choix passés ou encore sur la passion. Et l’évolution est encore plus marquée avec le dernier opus, "Before Midnight", au ton plus dramatique et aux problématiques plus sérieuses, qui s’intéresse au quotidien banal du couple qui les effrayait terriblement dans les précédents films. Mais s’ils sont devenus parents, ils ne sont pas, pour autant, rentrés dans les clous stéréotypés des couples de cinéma, leur verve et leurs délires étant toujours aussi rafraîchissants et galvanisants.
C’est ainsi d’une belle manière que Richard Linklater a rendu hommage à cette femme rencontrée dans un magasin de jouets, il y a désormais 25 ans. En recherchant toujours la simplicité et la sincérité, le trio Hawke-Delpy-Linklater a donné naissance à une saga romantique bien loin des sentiers formatés d’Hollywood. « "Before sunrise" était une romance anti-hollywoodienne, qui s'attachait à capter des expériences plus proches de la vraie vie que du cinéma traditionnel », comme le déclara le réalisateur. La recette est enfantine, avec une mise en scène réduite au strict minimum, mais ce n’est pas pour autant que les métrages ne sont pas d’une grande qualité, l’absence de stylisation renforçant même l’impression d’authenticité.
Si le montage accompagne parfois les sentiments des amoureux (notamment lors des disputes où la caméra les sépare volontairement), c’est un simple spectateur que l’objectif avance le plus souvent, nous montrant crûment une passion véritable, sans artifice. Les émotions défilent à une vitesse folle, le piment des situations ne s’estompe jamais, la spontanéité, la naïveté et les rêves des protagonistes débordent d’une allégresse communicative, et les ambiguïtés finales ne nous donnent que l’envie supplémentaire de poursuivre un bout de chemin avec Jesse et Céline. Wait and see…
Christophe Brangé
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