DOSSIER

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PARCOURS : Stanley Kubrick 1964 - 1999


Deuxième partie de notre analyse du parcours de Stanley Kubrick, de son dernier film en noir et blanc "Docteur Folamour", à son dernier film en couleur "Eyes wide shut", qu’il finit de monter peu avant de mourir d’une crise cardiaque…

2001, l’Odyssée des grandeurs

Kubrick lui continue son parcours exemplaire. En pleine guerre froide, il s’intéresse à la bombe atomique et décide d’adapter le roman "Red alert" de Peter George pour en tirer son film le plus pessimiste et le plus absurde : "Docteur Folamour". Sur l’insistance de la Columbia, qui finance le métrage, Kubrick confie trois rôles à Peters Sellers, qui sera nominé aux Oscars mais qui passera à côté de la statuette remise à Rex Harrison pour son rôle dans "My fair lady". Le film, distribué en 1964, rapporte 5 millions de dollars alors qu’il n’en a coûté que deux. Une satisfaction pour le réalisateur et ses producteurs.

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Si "Docteur Folamour" repose essentiellement sur ses dialogues, Kubrick se lance ensuite dans une super production de science-fiction aux dialogues minimalistes, "2001 : l’odyssée de l’espace". Une œuvre à part dans sa filmographie, un œuvre à part tout court dans l’histoire du cinéma. Au milieu des années 60, la conquête spatiale est au cœur des tensions diplomatiques. L’URSS envoie le premier homme dans l’espace le 15 mars 1965, suivi quelques jours plus tard par un vol de la NASA. La production et Kubrick visitent d’ailleurs l’agence spatiale et découvrent les dernières avancées dans les domaines de la recherche et de la conception des machines destinées à être envoyées dans l’espace.
Kubrick, qui est constamment obsédé par le défi de faire des films les plus réalistes possible, engage une équipe exceptionnelle pour opérer les effets spéciaux de "2001". Il réunit quelque 25 spécialistes, 35 décorateurs de plateau et 70 techniciens. Il fait construire une centrifugeuse de 30 tonnes, pour ses scènes dans la base spatiale « Discovery », pour un montant titanesque de 750 000 dollars ! Au fur et à mesure du montage de "2001", Kubrick réduit les dialogues pour faire de son œuvre une sorte de poème visuel qui atteint le spectateur dans son subconscient grâce à une expérience métaphysique et philosophique inédite. Pour accompagner les images, il choisit une bande sonore qui sublime son film en un Space opéra. En 1968, "2001 : l’odyssée de l’espace" fait un carton en salles, rapportant plus de 30 millions de dollars de recettes alors qu’il n’en avait coûté « que » 10,5.

La polémique "Orange mécanique"

Rassuré et soutenu par sa production, il enclenche directement sur son projet le plus fou : l’adaptation à l’écran de la vie de Napoléon. Son rêve de cinéaste. Il imagine recruter plus de 35 000 figurants et veut faire « porter le chapeau » à Jack Nicholson qu’il découvre dans "Easy rider" (1969). Malheureusement, suite à un changement à la tête de la MGM, son projet est stoppé net. Trop cher. Kubrick prend alors le large en Angleterre. Il y repère un roman d’Anthony Burgess, dont l’histoire s’inspire de bandes de jeunes qui se disputent les plages du sud du pays, "L’Orange mécanique", et qui deviendra son neuvième film (dont le titre français perdra le déterminant du titre original).
En décrivant cette jeunesse dominée par ses pulsions de sexe, de drogue et de violence, le film fait scandale à sa sortie en 1971. En effet, des faits divers ressortirent dans la presse, justifiés par certaines scènes du film selon leurs propres auteurs. Kubrick tenta bien d’exprimer son point de vue, appuyé par des psychologues, il décidera néanmoins d’interdire son film sur le sol britannique entre 1974 et 2000. Le succès fut tout de même au rendez-vous avec quelque 40 millions de dollars de recette.

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Bien que son projet sur Napoléon ne voie toujours pas le jour, Kubrick cherche quand même à réaliser un film d’époque. Il tombe alors par hasard sur le roman de la vie de Redmond Barry et le propose à la Warner. Soucieux de montrer à l’écran la vraie vie du 18e siècle, il tourne dans de vrais décors et déserte les studios. Il achète des costumes d’époque qu’il fait copier. Il tourne à la bougie sans ajout de lumières artificielles et fait réaliser les perruques de ses comédiens à base de chevelure de jeunes filles entrant au couvent ! Kubrick ne recule devant rien dans sa quête de la « vérité ».
Son tournage débute en Irlande, mais il reçoit assez vite des menaces de l’IRA, l’armée républicaine irlandaise, qui sont prises très au sérieux. Il déménage donc pour l’Angleterre et termine sereinement son film. Ce dernier n’aura finalement pas le succès escompté. Kubrick en conservera de nombreux objets dans l’espoir de les utiliser pour son Napoléon, son obsession.

Accepter un film commercial et en faire un chef d’œuvre

Est-ce par ce qu’il avait compris que ce film ne verrait probablement jamais le jour – ce qui fut vrai – qu’il proposa à Jack Nicholson de jouer dans son nouveau long métrage ? L’acteur tient en effet le premier rôle de l’adaptation du roman d’horreur de Stephen King "Shining". Comme "Barry Lyndon" avait peu marché, Kubrick cherchait un film plus commercial. Il ne pouvait pas se permettre un nouvel échec. « C’est diminuer vos chances futures de faire le film que vous voulez », proclamait-il. Pour l’écriture du scénario, il se passa de King et pour la réalisation, il s’empara de la Steadicam, inventée au milieu des années 70 par Garett Brown qu’il embaucha pour filmer des plans-séquences d’une fluidité nouvelle ainsi que certains plans fixes. Malgré des critiques souvent négatives, "Shining" fut un véritable succès au box-office avec plus de 30 millions de dollars de recette sur le sol américain en 1980.

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La même année, il rencontre Michael Herr, l’auteur d’un roman-reportage sur le Vietnam et décide que ce sera le thème de son nouveau film. Avec l’écrivain Gustav Hasford (auteur de "Le Merdier" sur le même conflit), ils travaillent tous les trois sur le scénario de ce qui deviendra "Full metal jacket". Lors du casting du sergent instructeur, Kubrick n’était pas emballé par la performance de Lee Ermey. Il le jugeait pas assez sévère. Ermey improvisa donc, avec d’autres comédiens venus pour le film, une scène où il les humilia et les insulta ce qui décida finalement Kubrick à le choisir pour le rôle aujourd’hui mythique du sergent instructeur Hartman ! Le tournage du film s’étendit sur un peu plus d’une année (bien que les scènes au Vietnam fussent tournées dans un rayon de 50 km autour de chez Kubrick) et c’est sa fille qui composa la musique sous le pseudonyme d’Abigail Mead. Le film, qui sortit le 26 juin 1987 aux Etats-Unis, connu un beau succès populaire. Kubrick, Herr et Hasford furent même nominés aux Oscars pour leur scénario (statuette qui alla finalement à Bertolucci pour son "Dernier empereur").

"Eyes wide shut", la film de sa vie ?

Kubrick revient ensuite sur un livre pour lequel il avait pris une option en 1982 : "Des jouets pour l’été", une nouvelle de Brian Aldiss. Il enclenche alors son nouveau projet : "A.I. Intelligence artificielle". Toutefois, les effets spéciaux ne sont pas encore assez avancés pour se lancer dans l’aventure et Kubrick met l’histoire de côté en 1991. Deux ans plus tard, il achète les droits d’un autre roman "Une éducation polonaise" de Louis Begley et baptise son nouveau projet "Aryan papers". Malheureusement son film sur l’holocauste est reporté à cause du tournage de "La Liste de Schindler" de Steven Spielberg. Il reprend alors espoir pour "A.I.", d’autant que les effets spéciaux ont fait d’importantes avancées, "Jurassik Park" en témoignant. Il en parle d’ailleurs à Spielberg et lui propose même de le réaliser, Kubrick conservant la casquette de producteurs. Mais les agendas des deux hommes ne concordent pas et Kubrick le met à nouveau de côté. Il ne le saura jamais, mais c’est finalement Spielberg qui réalisera "A.I." !


En 1994, Frédéric Raphael, essayiste américain, lui livre un premier jet d’un scénario d’après la nouvelle d’Arthur Schnitzel "La nouvelle rêvée" (1926). Ensemble, ils confectionnent alors une adaptation transposée à leur époque et se déroulant à New York. "Eyes wide shut" est en train de voir le jour ! Ce fut finalement le projet le plus napoléonien de Kubrick. Le tournage débuta en 1996 et s’acheva en 1998 ! Harvey Keitel quitta les plateaux au bout de six mois et fut remplacer par Sydney Pollack. Jennifer Jason Leigh fut remplacée alors qu’elle avait tournée toutes ses scènes, mais l’une d’elles ne convenait plus à Kubrick qui dû la remplacer pour la totalité, Leigh étant ensuite occupée sur "eXistenZ".
En 1997, Kubrick reçoit deux distinctions honorifiques : le Directors guild of America award for lifetime achievement in directing, trophée remis chaque année par le syndicat des réalisateurs américains depuis 1948 ; et le Lion d’Or spécial du Festival du cinéma de Venise.
En 1999, alors qu’il vient de terminer le montage de "Eyes wide shut", son « meilleur film » d’après le témoignage de Julian Senior, son plus proche collègue de la Warner qui l’aurait vu la veille de sa mort. Le 7 mars 1999, Stanley Kubrick s’éteint en plein sommeil dans son lit d’une crise cardiaque, à 70 ans.

Le cinéma aura connu un réalisateur toujours soucieux de maîtriser son art, toujours soucieux de coller le plus possible à la réalité. Le cinéma aura finalement peut-être connu un documentariste de la fiction qui n’était jamais tiède, toujours trop chaud pour certains, toujours trop froid pour d’autres. Stanley Kubrick le disait lui-même « Les réactions vis-à-vis de l’art diffèrent toujours d’un individu à l’autre, car elles sont toujours personnelles. »


>> Lire notre 1re partie "Parcours : Stanley Kubrick 1928 - 1963"

Mathieu Payan

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