Outre la question de la précarité, celle du commerce de toutes choses et d'un système capitaliste qui engendre les pires marchés, apparaissait en fond de nombreux films cette année.
La figure du tueur à gages est certes connue de longue date. Pourtant, Brad Pitt, qui en interprète un dans « Killing them softly » (« Cogan, la mort en douce »), incarne ici l'un des rouages d'un système aveugle, où le cynisme l'emporte sur tout, et où même les commanditaires ne sont pas à l'abri de plus puissants. Ici la vie ne vaut pas grand chose, ou plutôt elle vaut le prix d'un contrat, et c'est aussi la crise pour les tueurs à gages. Car dans ce film lucide sur l'état du pays, montrant en fond l'espoir naïf suscité par l'élection d'Obama, l'idéal d'égalité entre tous les hommes est tout relatif, et l'affirmation visant l'Amérique comme n'étant « pas un pays mais un business », n'a jamais parue plus vraie.
Ce système du tout marchand est aussi pointé du doigt, à l'aide d'une jolie parabole, dans le dessin animé « Ernest et Célestine », dans lequel les petites souris se livrent à un trafic de dents, pour alimenter ensuite les dentistes. Mais comble de la rentabilité, ce sont les commerçants aussi, qui fournissent les sucreries qui gâtent les dents, faisant prospérer le marché des dents comme bijoux. Les dents sont ainsi devenues une monnaie d'échange, sonnante et trébuchante, qui n'a pour but que de s'auto-alimenter, et d'engraisser tous les intermédiaires.
Loin des turpitudes d'une monnaie réelle, vit le héros du « Cosmopolis » de David Cronenberg, un trader, enfermé dans sa limousine, alors que des émeutes urbaines éclatent tout autour. Symbole de l'isolement des grands patrons et autres « puissants », son personnage n'a plus qu'une chose à s'acheter : sa sécurité. Si Cronenberg s'attache plus aux discussions sur l'état de l'économie et du pays, il n'en crée pas moins une tension autour de ce personnage insensible, ressenti comme légitimement menacé, par un peuple dont la colère gronde.
L'argent peut donc tout acheter, mais certainement pas l'amour. Le titre du premier chapitre de la trilogie de l'autrichien Ulrich Seidl fait preuve à ce propos d'une belle ironie. « Paradis : amour » met face à face deux mondes, tous les deux pervertis par le pouvoir d'un argent menteur, promesse d'un bonheur qui devient pour les uns, exploitation, pour les autres, dépendance. D'un côté d'oisives et riches autrichiennes vont s'acheter les services d'escort-boys en Afrique, espérant tout même un retour plus que physique, et de l'autre, des familles voire des communautés entières vivent de dons extorqués à force de culpabilisation face à une misère évidente. Avec son don pour construire des plans signifiants, l'auteur invite ici à une fable cynique où la question de la volonté et de la prise en main sont au cœur du débat.
Les fans, eux, sont justement censés avoir laissé leur volonté au vestiaire. C'est particulièrement le cas dans « Antiviral » de Brandon Cronenberg (le fils de David), puisque le scénario de ce film d'anticipation imagine les déviances les plus extrêmes du star-system et du merchandising. Quel fan décérébré ne voudrait pas, rêvant de se rapprocher de son idole, en partager les maladies (par inoculation) ou en connaître le goût (par ingestion d'un steak généré à partir de ses cellules) ? Sombre histoire d'admiration et de trafic douteux, le film adopte une esthétique clinique blafarde tout à fait adéquate.
Dans « Reality » de Matteo Garrone, Luciano ne vit plus que pour faire le pitre. Il rêve lui même de devenir une star, ou tout au moins d'embrasser la célébrité, en passant à la télé, dans l'équivalent du « loft » de M6. Avec intelligence, et sans le dédain attendu pour son personnage, le scénario insiste sur l'investissement au sens propre, comme au figuré, qui devient peu à peu une évidence pour le personnage. Pour réussir, il faut investir et donc donner. Mais donner, lorsque cela revêt un aspect intéressé, n'est qu'une forme d'achat indirect. Ainsi Luciano donne ses meubles aux pauvres, espérant que ceux qui font une enquête sur lui, dans le cadre du casting, verront à quel point il sait être (faussement) généreux. L'envie fait parfois agir de manière bien irrationnelle.
Mais heureusement, c'est parfois à l'inverse, la raison qui l'emporte sur l'aspect marchand du monde. Dans le formidable « No » de Pablo Larrain, Gael Garcia Bernal interprète un publicitaire qui se met au service des partisans du Non à la reconduite de Pinochet à la tête du Chili. Son implication initial, du fait d'un enjeu professionnel, et d'une opposition latente avec son patron, se transformeront peu à peu en une conscience politique, que ni les pressions, ni les tentatives de soudoiement ne sauraient faire plier. Malgré le caractère lointain de cet exemple (1988), on se dit donc qu'il reste encore un espoir que tout ne soit parfois pas à vendre.
Olivier Bachelard
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