« La Bohème », ça vous évoque quoi? Car avant d'être une chanson de Charles Aznavour, il s'agit bien de l'opéra le plus joué dans le monde. C'est aussi l'opéra emblématique du mouvement vériste de la fin du XIXe siècle, c'est à dire en allant vers une recherche de vérité et de réalisme : on nous raconte l'histoire de gens modestes, souvent démunis. Le récit débute dans une simple mansarde parisienne où vont se jouer des drames humains. L'amour et la mort y auront, comme dans la plupart des opéras, une place de choix. Mais ce qui fait la force de cet opéra est bien sûr la flamboyante musique composée par Giacomo Puccini, dépeignant avec force et subtilité le déferlement des passions. Cette éclatante beauté se retrouve dans trois autres opéras du compositeur italien : « Tosca », « Madame Butterfly » et « Turandot ». Ce seront ces quatre opéras que l'on retrouvera dans les films cités dans cet article. Par ailleurs, il n'est pas étonnant que Puccini ait inspiré le grand écran : en effet, l'opéra, qui raconte une histoire avec des comédiens, une mise en scène, des décors, et surtout des spectateurs qui viennent rire et pleurer, n'est-il pas la forme artistique qui se rapproche le plus du cinéma ?
« To Rome with love », de Woody Allen (2012)
Woody Allen joue le rôle de Jerry, le metteur en scène d'opéra le plus détesté de la planète, ou, de son point de vue, le plus incompris car le plus en avance sur son temps. Il a par exemple dirigé un « Rigoletto » (de Verdi) avec les personnages costumés en souris blanches, ou encore mis en scène « Tosca » dans une cabine téléphonique... Ainsi, quand il va rencontrer les parents de son futur gendre à Rome, il découvre que le père, Giancarlo, a une voix extraordinaire, celui-ci chantant sous sa douche avec toutes ses tripes « E lucevan le stelle » (air issu de « Tosca ») et « Nessun Dorma » (issu de « Turandot »). Jerry lui fait immédiatement passer une audition où Giancarlo présentera un « Nessun Dorma » qu'aurait mieux chanté une truie qu'on égorge. Comprenant que Giancarlo ne chante bien que sous sa douche, une étincelle jaillit dans la tête de Jerry, qui imagine une nouvelle mise en scène qui mettrait son poulain au devant de la scène...
« Au-delà », de Clint Eastwood (2011)
Matt Damon joue le rôle de George, un ouvrier américain capable de rentrer en contact avec les disparus. Son don est cependant pour lui une malédiction. Comme il le dit : une vie consacrée à la mort n'est pas une vie. Il décide donc de ne plus jamais s'en servir afin de mener une existence normale. Comme premier pas pour y parvenir, George s'inscrit à un cours de cuisine italienne où il rencontre la belle Melanie (Bryce Dallas Howard). Tandis que le chef, un italien pure souche, leur propose de commencer le cours par la dégustation d'un verre de Barbaresco, il ajoute en allumant la chaîne : « Et de la musique... car l'on cuisine avec tous les sens : le nez, les yeux, le palais et les oreilles. » Un exercice de reconnaissance les yeux bandés entraîne ensuite George et Melanie à faire connaissance dans une proximité propice à une belle scène de séduction. Deux titres de Puccini s'enchaînent dans cette subtile effusion romantique, « Nessun Dorma » (« Turandot ») puis « Che gelida manina ». Dans cet air issu de « La Bohème », il s'agit d'une scène d'amour : la rencontre entre Mimi et Rodolfo qui se soldera par un fulgurant coup de foudre. Autant dire que nos deux tourtereaux sont parfaitement conditionnés pour se rapprocher dans une scène pour le moins... sensorielle !
« The American », d'Anton Corbijn (2010)
Jack est un tueur à gages contraint de se réfugier dans un petit village italien afin de se faire oublier après une affaire délicate. Nous savons peu de choses sur ce personnage qu'interprète Georges Clooney, sinon qu'il est passionné de papillons. L'un deux est tatoué sur son dos tandis que, dans son bagage plus que restreint, se trouve un ouvrage sur l'insecte adulé. Ainsi, la femme qui l'engage pour une nouvelle mission le surnomme « Mister Butterfly » et la belle Italienne dont il s'éprend l'affuble d'un pittoresque « Mister Farfalla ». Quand Jack se retrouve à dîner avec le prêtre du village, la musique de fond fait donc office de clin d'œil, puisque retentit la voix de Maria Callas dans un extrait de l'opéra de Puccini « Madame Butterfly »...
« Mary & Max », d'Adam Elliot (2009)
Mary Dinkle est une fillette australienne de huit ans, qui entretient une relation épistolaire avec Max Horowitz, un new-yorkais de 44 ans atteint du syndrôme d'Asperger, une forme particulière d'autisme. Tour à tour drôle et émouvant, ce bijoux de cinéma d'animation est véritablement à mettre entre toutes les mains. Il faudra attendre la toute fin du film pour y entendre la musique de Puccini. Il s'agit du « Humming chorus » issu de « Madame Butterfly ». Traduisez : le chœur murmuré. En effet, pas de parole, juste le doux fredonnement d'une foule qui semble envelopper d'une douloureuse tendresse les personnages dans un dénouement qui les marquera à jamais. C'est peut-être l'emploi de Puccini le plus judicieux que l'on puisse rencontrer sur grand écran. Sans que l'histoire de « Mary & Max » soit directement inspirée de celle de « Madame Butterfly », on retrouve néanmoins, dans cette dernière scène, les éléments forts de l'opéra de Puccini : l'attente, la distance, l'enfant, la mort. L'un comme l'autre, voici donc deux chefs d'œuvre qu'il faut se dépêcher de découvrir si ce n'est pas déjà fait...
« Tetro », de Francis Ford Coppola (2009)
Tetro, c'est le nouveau nom que s'est choisi Angelo, symbole de la croix qu'il veut tracer sur son passé. Mais quand son frère vient lui rendre visite, c'est tout le passé qui resurgit sous forme de flashbacks. L'un d'eux nous apprend comment Tetro a rencontré sa compagne Miranda. Celle-ci animait un groupe dans un asile, Tetro étant alors un patient renfermé sur lui-même. Dans cette animation, chaque participant se passe le micro pour parler librement sur une musique donnée. Quand Tetro, à la surprise générale, prend finalement la parole, c'est le « Humming chorus » (cité dans le paragraphe précédent) qui accompagne son mystérieux discours. Un gros plan en plongée du visage de Tetro, glaçant, nous fait sentir le passé qui bouillonne à l'intérieur et qui ne demande qu'à sortir. Un autre flashback nous amène alors des années en arrière, quand Angelo perdait sa mère dans un accident de voiture alors que lui-même était au volant. Celle-ci, juste avant l'accident, chantait des vocalises et l'on comprend qu'elle était chanteuse d'opéra. L'utilisation du « Humming chorus » est donc ingénieuse : on entend de l'opéra mais murmuré, comme si le souvenir surgissant tentait d'être contenu. La musique donne alors à la scène plus d'authenticité car elle semble faire résonner l'espace psychologique du personnage et n'est pas employée comme simple musique de fond. Mais ce choix intelligent n'est pas surprenant de la part de Coppola, l'un des plus grands noms du cinéma...
« Quantum of Solace », de Marc Foster (2008)
L'opéra « Tosca » tient une place prépondérante dans le 22e épisode de la saga James Bond. Une scène clé du film a lieu pendant sa représentation au festival de Bregenz en Autriche. James Bond (Daniel Craig) grimpe en haut de l'immense scène flottante mise en place sur le lac de Constance pour observer puis compromettre la réunion secrète organisée par Dominic Greene (Mathieu Amalric), dont les participants sont disséminés dans le public. Une fois repéré, l'agent secret tente de fuir et une poursuite agrémentée de nombreux coups de feu s'engage dans le hall de l'opéra. Dans un montage rythmé alternant les images de la fusillade et celles de l'opéra en cours, la musique rayonnante de Puccini donne à la scène une beauté tragique qui en fait l'une des meilleures du film. Seul bémol : qui connait « Tosca » remarquera sûrement que l'enchaînement des deux extraits musicaux entraînent un trou de quarante minutes entre le « Te Deum » chanté par Scarpia à la fin du premier acte et son meurtre par Tosca à la fin du deuxième acte. On se doute bien que James Bond et les hommes de main de Greene ne se sont pas tournés les pouces pendant quarante minutes avant de se lancer dans leur sanglante course poursuite, mais on le sait : le cinéma est bien l'art de l'ellipse...
« Mar adentro », d'Alejandro Amenábar (2005)
Rámon (Javier Bardem) est paralysé depuis trente ans suite à un accident survenu dans sa jeunesse. Seule évasion possible : son imagination qui lui permet de voyager malgré son handicap. Quiconque a vu « Mar Adentro » se souvient de cette scène frappante où Rámon est seul dans son lit quand tout à coup, comme si de rien n'était, il se lève, pousse son lit dans le coin de la pièce, marche jusqu'au bout du couloir, s'élance et se jette par la fenêtre pour s'envoler à une vitesse vertigineuse à travers champs, forêts et montagnes pour arriver face à l'océan et à la femme qu'il aime. Ce sont les harmonies envoûtantes de « Nessun Dorma » (Turandot) qui accompagnent cette envolée fantastique. C'est en effet la musique de Puccini que diffuse le vinyle alors que Rámon commence à rêver. Mais comme tout a une fin, le bras du phonographe se lève, la musique cesse et la réalité revient, implacable. Le silence devient pesant et le regard de Rámon, fixant le vide, insoutenable.
« Man on fire », de Tony Scott (2004)
John Creasy (Denzel Washington), ancien agent de la CIA, se fait garde du corps pour la petite fille d'un riche industriel à Mexico. Après avoir tissé des liens affectifs avec la jeune Pita, celle-ci se fait néanmoins kidnapper. Il va donc tout faire pour remonter la piste de ses ravisseurs et venger sa protégée. C'est dans ce contexte que Creasy se retrouve dans une voiture avec un malfrat qu'il compte bien questionner pour obtenir ce qu'il recherche. Après l'avoir attaché, lui avoir sectionné deux doigts, cicatrisé les plaies avec un allume-cigare et coupé une oreille, notre gentil héros lui loge enfin une balle dans la tête alors que retentit la célèbre voix de Pavarotti dans l'air « Nessun Dorma » de Turandot. Ici, aucun rapport texte-contexte, juste une sorte de glorification de la violence et de l'acte vengeur grâce à la musique de Puccini, pourtant située aux antipodes... Un décalage dont le cinéma est souvent friand et qui n'a pas dû échapper à Tarantino qui adora le film, le qualifiant de « dur, poignant et violent comme l'enfer ».
Rémi Geoffroy
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