Deux cents millions de dollars de budget, onze Oscars et presque deux milliards de dollars de recettes mondiales… Jamais un film n’avait provoqué un tel raz-de-marée. Cinéaste virtuose, créateur de mondes ou pionnier de la technique, James Cameron est déjà un homme de défi lorsqu’il se lance dans la production de ce qui deviendra son chef-d’œuvre ultime. Un film-somme, entre drame, romance et catastrophe, et un succès hallucinant à la clef. Retour sur un long-métrage définitivement insubmersible.
Autant en emporte l’océan
James Cameron n’est pas un inconnu lorsqu’il réalise "Titanic". Formé à l’école de Roger Corman (pour qui il crée quelques effets spéciaux et autres décors), ce fils d’ingénieur, également diplômé de physique, fait ses débuts de cinéaste avec le court-métrage "Xenonogenesis", puis le nanar "Piranha 2 : Les Tueurs volants", devenu culte depuis. Décidé à prendre son destin en main, le jeune Cameron écrit et réalise en 1984 le célèbre "Terminator", créant par la même une icône du cinéma fantastique. La suite, tout le monde la connaît : un "Aliens" orienté vers l’action pure et dure, puis le cinéaste redéfinit les effets spéciaux numériques avec le magnifique "Abyss" et le gigantesque "Terminator 2 : Le Jugement dernier". L’homme est désormais une star de Hollywood, et peut se permettre à peu près tout. Le temps d’un remake de "La Totale" de Claude Zidi, le pétaradant "True Lies", et James Cameron peut s’atteler à sa grande œuvre.
Producteur de ses films depuis "Terminator 2", James Cameron n’est pourtant pas encore le « roi du monde », le succès colossal de son blockbuster culte ayant été légèrement tempéré par la réception mitigée du parodique "True Lies". Pourtant, le monsieur sait ce qu’il fait, et surtout, ce qu’il veut. Sur les traces des grandes fresques romanesques qui, tel "Autant en emporte le vent", mêlent la petite histoire à la Grande, James Cameron s’attèle à la production d’un long-métrage de plus de trois heures consacré au naufrage le plus tristement célèbre du monde, celui du paquebot Titanic. Fidèle à sa réputation de perfectionniste extrême, Cameron ne laisse rien au hasard et organise un tournage gigantesque apte à retranscrire sur l’écran son histoire d’amour et de mort. Les mauvaises langues annoncent un bide à la hauteur du naufrage du navire, prophétisant la mort artistique du cinéaste. Cameron, lui, n’en a cure. Et l’histoire lui donnera raison.
Le roi du monde
La première chose qui frappe à la vision de "Titanic", c’est bien à quel point le film se range dans la lignée des précédentes œuvres de James Cameron. Un vrai film d’auteur, en somme. Dans son rapport ambigu aux machines, dans sa fascination pour l’océan, dans son histoire d’amour, dans sa facture formelle… Tout en "Titanic" respire le cinéma de James Cameron. La maîtrise du cinéaste, en cette fin de siècle, est telle qu’il peut se permettre de créer ce fabuleux « best of » de ses obsessions, au sein même d’une superproduction d’une envergure encore jamais vu. Mais là où Cameron va réussir son pari insensé, c’est dans la mécanique particulièrement huilée d’une narration en tout point exemplaire. Démarrant son film de nos jours, le réalisateur lui donne immédiatement l’allure d’un récit subjectif, celui d’une survivante replongeant dans ses souvenirs. Se mettant lui-même dans la peau de l’océanographie joué par le fidèle Bill Paxton, Cameron pervertit pourtant assez rapidement cette subjectivité unique. Car une fois le paquebot lancé sur les flots, le film parviendra à se construire en multipliant les points de vue, créant ainsi une mosaïque de scènes dont la somme est ce film. Ainsi, lorsque le personnage de Jack pénètre pour la première fois dans le monde des « nantis », la mise en scène épouse son regard neuf sur un univers inconnu, ou de même, lorsque la collision arrive et que le regard du cinéaste se porte sur le capitaine du paquebot, au destin émouvant.
S’il multiplie les sous-intrigues et les points de vue, James Cameron n’en oublie pas pour autant qu’il est un cinéaste du spectaculaire. Et sur cet aspect, "Titanic" est définitivement une réussite. La reconstitution minutieuse du naufrage, pendant plus d’une heure de métrage, pousse la technique cinématographique dans ses retranchements. Alternant l’intime et l’épique au sein d’une même scène, ne sacrifiant jamais la cruauté des images sur l’autel du divertissement grand public, Cameron n’épargne rien aux spectateurs de l’ampleur d’une telle tragédie. Mais en scénariste de talent, il n’oublie pas que la force de ses images doit tout à la rigueur de son écriture. La longue mise en place des évènements, et la beauté des sentiments décrits dans l’amour naissant de Jack et Rose, participent ainsi entièrement de cette incroyable empathie. La preuve, si besoin en était, que sans l’intime, le spectaculaire ne vaut rien.
Vers l’infini… et au-delà !
En 2010, galvanisé par le succès de "Avatar" en 3D, James Cameron décide de consacrer une partie de son temps et de son argent à la conversion stéréoscopique de son chef-d’œuvre. Mais Cameron n’est pas George Lucas, et le résultat bien au-dessus de la ridicule conversion de "La Menace fantôme". Gagnant en émotion (la célèbre scène du dessin nu se réinvente sous nos yeux), en spectaculaire (une sensation de hauteur absolument vertigineuse lorsque le bateau est à la verticale) et en immersion (la scène de découverte du monde des riches, déjà évoquée), "Titanic" se découvre une seconde vie. De quoi donner envie de (re)plonger dans ce film riche, si riche, auquel même ce petit papier ne saura jamais évoquer la grandeur. C’est la marque des chefs-d’œuvre.
Frédéric Wullschleger
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