Certes, ils sont « Intouchables », Omar Sy et François Cluzet, qui filent vers les sommets du box-office français avec le film d’Eric Toledano et Olivier Nakache : la surprise de cette fin d’année 2011 devrait dépasser prochainement les 17 millions de spectateurs, phénomène que l’on n’avait pas vu depuis « Bienvenue chez les Ch’tis » de Dany Boon. Certes, le cinéma hexagonal se porte bien, enchaîne des succès publics comme celui-ci et des succès d’estime comme « La Guerre est déclarée », qui à peu de choses près aurait pu trouver sa place dans le Top 10 ci-dessous.
Néanmoins, l’occupation médiatique du visage souriant et des yeux rieurs d’Omar Sy cache mal que, derrière ses innombrables qualités, « Intouchables » est le point d’orgue d’une année extrêmement riche, en fréquentation (215,6 millions d’entrées selon le CNC) et en diversité de films ; et que notre production a toujours beaucoup de mal à rivaliser avec l’étonnante vivacité des autres productions nationales. Tandis que les cinéphiles râleurs – dont nous sommes – acceptent de reconnaître que le spectateur français a été un peu plus intelligent que d’habitude en 2011, offrant de jolis scores au film de Valérie Donzelli, au « Polisse » de Maïwenn ou au fabuleux et enchanteur « The Artist » (production Warner, cependant), il faut constater que les films français continuent de manquer de cette ambition qui leur permettrait de transcender leur sujet, et qu’en dehors de films sociaux misérabilistes et de grosses comédies qui tâchent avec Frank Dubosc et Antoine Duléry, on trouve en France rarement son bonheur. Sauf à aller voir dans de petites salles qui diffusent quelques perles trop clairsemées, comme ce petit bijou qu’est « Ni à vendre, ni à louer » de Pascal Rabaté, vu dans une salle parisienne entouré d’une dizaine de spectateurs égarés, ou l’ambigu « L’Avocat » de Cédric Anger, dissection éclairante sur les manies mafieuses d’un entrepreneur du Languedoc-Roussillon. Ou encore la tentative science-fictionnesque de Jean-Baptiste Leonetti, « Carré blanc », film raté mais essai majeur dans une production qui prend rarement autant de risques.
À défaut, on pourra donc se reporter sur ces films étrangers qui mettent la France en valeur, en proposant de ces lieux bien connus une lecture nouvelle, enchanteresse et nostalgique. On pourra légitimement en vouloir à Clint Eastwood d’avoir si bien caricaturé « l’esprit français » dans son nullissime « Au-delà », dont les scènes parisiennes, prises en main par Cécile de France et Thierry Neuvic, semblent tout droit sorties d’un mauvais téléfilm M6 ; la journaliste incarnée par Cécile de France tient absolument à rédiger un ouvrage sur François Mitterrand (sic), avant de changer d’avis et de lui préférer une expérience de mort imminente (sic, bis), projet qui provoque les railleries de son amoureux et un flot de dialogues stupides sur la mort (sic, ter). Heureusement, le vieux Californien est le seul Américain à perpétuer cette imagerie grotesque. Woody Allen, lui, rend merveilleusement hommage au Paris des années vingt, projetant Owen Wilson à une époque où l’on pouvait croiser, dans les rues pavées de la capitale, Francis Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway, Salvador Dali ou Luis Buñuel ; son « Minuit à Paris » convoque les vieux souvenirs qui sourdent des quartiers historiques parisiens, remettant au goût du jour une France désuète mais enthousiasmante. Et pour ceux qui regrettent l’ingérence superflue de Carla Bruni dans le récit, en guide mielleuse, gardez plutôt en tête qu’Owen Wilson choisit finalement de rester vivre à Paris en compagnie de la belle Léa Seydoux, la petite actrice hexagonale qui monte, loin encore de son rôle de vamp assassine dans « Mission Impossible : Protocole fantôme ». Proche d’Allen pour la tonalité nostalgique, c’est Martin Scorsese qui filme la gare Montparnasse comme elle ne l’a jamais été, dans « Hugo Cabret » : un lieu où se croisent les existences d’un petit garçon orphelin très dickensien, d’un surveillant de gare timide et taciturne et d’un réparateur d’objets mécaniques, ancien réalisateur de génie appelé George Méliès. Avec probité, Scorsese rappelle ce que le cinéma mondial doit à cet homme oublié, prestidigitateur avant d’être le plus grand créateur d’effets spéciaux du jeune cinématographe, qui fut le pilier du futur Septième art. Moins joyeuse, la vision que donne le cinéaste finlandais Aki Kaurismaki en filmant « Le Havre », ville anti-cinégénique au possible, transforme néanmoins la cité portuaire grise et peu engageante en un havre pour l’ironie grinçante, distanciée, presque brechtienne, du réalisateur. Mais la palme de la « françitude » revient sans doute à Werner Herzog, qui a posé ses lourdes caméras 3D dans un lieu exceptionnel et rare, la grotte de Chauvet, pour capter sur ses parois souterraines ces peintures antédiluviennes qui font revenir à l’existence tout un pan oublié de l’Histoire artistique humaine. « La Grotte des rêves perdus », petit bijou technique, est parvenu à prouver l’intérêt de la 3D (il faut admirer la profondeur de champ à l’intérieur de la grotte, impressionnante) et l’importance, pour l’Histoire du monde, d’une petite grotte quasiment invisible au cœur de l’Ardèche.
Allez, acteurs divers du cinéma français, il ne manque plus grand-chose pour pouvoir sortir de la caverne et donner vie à ces dessins immobiles que vous tracez timidement sur les parois ! Un peu d’audace à la Herzog, un peu d’enchantement à la Scorsese, un peu de rêve façon Allen, un peu de distance critique à la Kaurismaki, et surtout pas de révision eastwoodienne de l’esprit français : faites en sorte, en 2012, que les qualités esthétiques, narratives et musicales du cinéma français deviennent réellement « Intouchables » !
Meilleurs films
1. Black swan, de Darren Aronofsky
2. The Artist, de Michel Hazanavicius
3. Drive, de Nicolas Winding Refn
4. La Piel que habito, de Pedro Almodovar
5. Super 8, de J. J. Abrams
6. Melancholia, de Lars von Trier
7. The Tree of life, de Terrence Malick
8. Restless, de Gus van Sant
9. Les Aventures de Tintin : Le secret de la licorne, de Steven Spielberg
10. Incendies, de Denis Villeneuve
Pires films
1. Hors satan, de Bruno Dumont
2. Apollo 18, de Gonzalo Lopez-Gallego
3. Devil, de John Erick Dowdle
4. Les Voyages de Gulliver 3D, de Rob Letterman
5. Au-delà, de Clint Eastwood
Meilleurs réalisateurs
1. Darren Aronofsky (Black Swan)
2. Nicolas Winding Refn (Drive)
3. J. J. Abrams (Super 8)
4. Steven Spielberg (Les Aventures de Tintin : Le secret de la licorne)
5. Pedro Almodovar (La Piel que habito)
Meilleurs acteurs
1. Colin Firth (Le Discours d’un roi)
2. Michel Piccoli (Habemus papam)
3. Jean Dujardin (The Artist)
4. Zacharie Chasseriaud, Martin Nissen et Paul Bartel (Les Géants)
5. Ryan Gosling (Drive, Les Marches du pouvoir, Crazy, Stupid, Love)
Meilleures actrices
1. Natalie Portman (Black Swan)
2. Mia Wasikowska (Restless)
3. Bérénice Béjo (The Artist)
4. Nadine Labaki (Et maintenant, on va où ?)
5. Tilda Swinton (We need to talk about Kevin)
Top 5 thématique : Nos enfants ont la pêche !
1. We need to talk about Kevin, de Lynne Ramsay
2. La Guerre est déclarée, de Valérie Donzelli
3. Michael, de Markus Schleinzer
4. Les Géants, de Bouli Lanners
5. Livide, de Julien Maury et Alexandre Bustillo
Eric Nuevo
Cinémas lyonnais
Cinémas du Rhône
Festivals lyonnais