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ANALYSE : filmer la sexualité, porno ou pour nous ? (1/2)


A l’ère des effets spéciaux numériques, les limites de ce qu’on peut représenter au cinéma ne sont plus tellement techniques. En revanche, s’il reste un aspect de la vie qui reste difficile à montrer à l’écran, c’est bien la sexualité (bien plus que la violence, étonnamment). Filmer la sexualité demeure généralement un défi malgré la relative libération des mœurs. En septembre 2011, sortaient deux films français ayant traité la sexualité avec des choix radicalement opposés. D’un côté, Bertrand Bonello, qui nous avait pourtant habitués à des réalisations plus crues (« Le Pornographe », « Tiresia »), optait pour un traitement plutôt pudique (et esthétique) des maisons closes pour « L’Apollonide » (photo). De l’autre, Laurent Bouhnik préférait des scènes très explicites voire non simulées pour évoquer les errances et interrogations de jeunes personnages dans « Q », film aux caractéristiques proches du porno amateur. Deux choix qui nous permettent d’interroger la représentation cinématographique de la sexualité et les limites entre de cinéma qui flirte avec la pornographie et les interdits.

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Autorisons-nous d’abord un élargissement de la question. La sagesse populaire nous fait souvent dire que la prostitution est le plus vieux métier du monde. Par un parallèle osé, on pourrait se demander si la pornographie et l’érotisme sont les plus vieilles formes d’art du monde. Le préhistorien et anthropologue Gilles Delluc émet de sérieux doutes à ce sujet (1), du moins en ce qui concerne la pornographie. Selon lui, les représentations de sexes dans les cavernes sont avant tout symboliques et ne peuvent être qualifiées de pornographiques. Il balaie aussi d’un revers de la main l’interprétation pornographique des rares représentations préhistoriques de coït, qui sont très discutables tellement il faut deviner ce qui se cache derrière les formes peu lisibles de l’art préhistorique ! Les sociétés primitives, encore à l’état de nature, semblaient juger la sexualité de façon ni positive ni négative. D’ailleurs, à bien y réfléchir, les notions d’érotisme et a fortiori de pornographie sont des concepts moraux voire philosophiques ou politiques, et donc culturels et civilisationnels, qui paraissent ainsi incompatibles avec les arts primitifs. En laissant la protohistoire de côté, il semble en revanche que l’existence de la pornographie soit bel et bien ancienne, historiquement régulière et non négligeable (surtout en gardant à l’esprit que des siècles de censure politique ou religieuse ont pu réduire à néant de nombreux témoignages) : les orgies sculptées du temple de Lakshmana (vers 950), les théories du tantrisme qui les inspirent (dès le IVe siècle), les fresques du Lupanar de Pompéï (plus de 70 ans avant notre ère), les accouplements d’Osiris et Isis (IVe siècle avant notre ère) ou encore la scène de pénétration homosexuelle sur une fresque étrusque de la nécropole de Tarquinia (VIe siècle avant notre ère ; photo)…

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Si l’on revient à nos moutons, l’histoire du septième art n’a pas attendu très longtemps avant de voir apparaître des films érotiques ou pornographiques (y compris des films d’animation ; photo), comme en atteste notamment le documentaire « Un Siècle de plaisir » (2) d’Henri Gigoux. Michel Reilhac en témoignait aussi à sa façon en 2002, en réunissant sous le titre « Polissons et galipettes » une sélection de 12 courts-métrages pornographiques anonymes du début du XXe. Depuis les débuts du cinéma, la sexualité reste un thème (dans le fond comme dans la forme) qui ne cesse d’être exploré ou interrogé. Et les limites acceptables sont constamment questionnées. Le concept de pornographie étant culturel et subjectif, ses limites ne cessent de varier dans l’espace comme dans le temps. Si la moindre parcelle de corps féminin est a priori inacceptable pour le cinéma iranien (outre le visage et les mains), le tabou de la nudité se réduit quasiment à néant dans la France ou l’Italie des années 1970, alors qu’aux Etats-Unis une tradition plus conservatrice rend les attributs sexuels du corps humain relativement absents des écrans, sous peine d’une classification économiquement très désavantageuse. A Bollywood, les films ne montrent théoriquement ni sexes ni seins ni baisers, mais les ventres nus et les chorégraphies explicitement érotiques sont monnaie courante. Question de repères et de construction culturelle des tabous donc, ce qui rend ardu le questionnement des limites entre pornographie et cinéma "normal". On est bien obligé de restreindre notre analyse à une vision occidentale de la sexualité, et même plutôt franco-centrée. Du côté des limites, il en est en tout cas deux qu’il est toujours risqué de transgresser : l’évocation de la sexualité des mineurs d’une part, la représentation non simulée d’actes sexuels d’autre part.

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Sur le premier point, la limite est évidemment liée au fait que les mineurs sont légalement protégés contre les dérives pédophiliques, ce qui oblige à trouver généralement des solutions plus ou moins détournées pour aborder un sujet si délicat. Une comparaison entre le roman « Lolita » et ses adaptations au cinéma par Stanley Kubrick (1962) et Adrian Lyne (1997) est un exemple flagrant des contraintes filmiques que n’a pas cet art non figuratif qu’est la littérature (laquelle n’est toutefois pas exempte de polémiques possibles). Pour s’en sortir, les cinéastes privilégient donc la suggestion, voire une approche symbolique. « Juno » d’Ivan Reitman (2007), par exemple, se concentrait à la fois sur la problématique de la grossesse adolescente et sur un art du dialogue décomplexé et truculent. La franchise des « American Pie » (1999 pour le premier opus ; photo) optait pour l’humour potache pour évoquer des sujets a priori tabous dans les blockbusters américains (la masturbation notamment) et oser montrer tout de même quelques actrices en très petite tenue (dont Shannon Elizabeth). Quant à « Jennifer’s Body » de Karyn Kusama (2009), le choix du film d’horreur rend troublante l’interprétation du film (la sexualité serait-elle un danger pour les ados ?).


Evidemment, si ces films traitent de sexualité adolescente, le casting est essentiellement formé d’acteurs et actrices majeurs. D’autres films préfèrent d’ailleurs déplacer légèrement le sujet pour le rendre encore plus acceptable, comme c’est le cas de « The Girl Next Door » de Luke Greenfield (2004), ouvertement "teenage" même si les personnages ont scénaristiquement plus de 18 ans. Il est néanmoins possible de trouver des évocations un peu plus explicites, à condition soit remonter dans le temps soit se tourner vers l’Europe ou le Japon. En 1980, « Le Lagon bleu » de Randal Kleiser (photo), certes très "soft", ne cachait ni la nudité, ni la sexualité des deux personnages adolescents. Plus récemment, dans « La Puce » d’Emmanuelle Bercot (1998), la jeune Marion (Isild Le Besco) perd sa virginité avec un adulte, mais avec pudeur, alors que dans le film japonais « Une Adolescente » d’Eiji Okuda (2001), un policier désinvolte et une collégienne vivent des aventures qui ne manquent pas d’érotisme. Mais ce sont surtout les années 1970, apogée de la libération sexuelle et âge d’or de la pornographie et de l’érotisme, qui produisent sans doute les films les plus décomplexées sur le sujet.


En 1978, deux ans avant « Le Lagon bleu », Brooke Shields apparaît nue et érotisée à l’âge de douze ans dans « La Petite » de Louis Malle. En 1975, Catherine Breillat démarre fort sa carrière subversive avec « Une vraie jeune fille », film peu visible à l’époque (et finalement ressorti en 1999) dans lequel la jeune Charlotte Alexandra se livre à des jeux érotiques qui flirtent avec le sadomasochisme. Mais c’est en 1977 que sort ce qui reste sans doute le plus dérangeant des films sur la sexualité des mineurs : « Jeux interdits de l’adolescence » de Pier Giuseppe Murgia, également connu sous son titre italien « Maladolescenza ». Ce film, qui interroge le difficile éveil à la sexualité chez des jeunes adolescents encore accrochés à une enfance à la fois cruelle et innocente, montre deux jeunes filles de 11 et 12 ans dans des scènes explicitement érotiques avec un ado de 17 ans. La plus jeune des interprètes n’est autre qu’Eva Ionesco, déjà érotisée dès l’âge de 4 ans par sa mère photographe Irina Ionesco (histoire que l’actrice a retranscrit en 2011 dans sa première réalisation, « My Little Princess ») et dans une courte apparition nue dans le psychédélique « Spermula » de Charles Matton en 1976.

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(1) Gilles Delluc, Le sexe au temps des Cro-Magnons, 2006
(2) « Un siècle de plaisir – Voyage à travers l’histoire du hard » (1996), film documentaire réalisé par Henri Gigoux (Canal+ avait diffusé cet excellent documentaire en lieu et place du film X mensuel en novembre 1996... dommage qu’il soit désormais quasi introuvable !)

Raphaël Jullien

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