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Les meilleurs films de 2010 selon Frédéric Wullschleger


Dresser le bilan d’une année de cinéma est en fait un exercice bien fastidieux. Qu’en faire ? Commenter un Top/Flop d’une subjectivité totale ? Chercher des correspondances thématiques ? Louer le travail de cinéastes qui n’en demandent pas tant ? S’énerver des injustices éventuelles de la distribution ? Hmm… Et si, finalement, il fallait se pencher sur les chemins de traverse, regarder là où personne ne va et, au bout du chemin, se dire que 2010 était une sacrée bonne année !

Comme l’indique notre collègue Eric Nuevo dans son bilan, les nerds auront régné sur l’actualité cinématographique. Amoureux transis se rêvant en super-héros redresseur de torts (« Kick-Ass ») ou en protagoniste de jeux-vidéo (« Scott Pilgrim »), sociopathes manipulateurs se rêvant en démiurges absolus d’une réalité virtuelle devenue « norme » (« Ch@troom » et surtout « The Social Network »), les geeks n’auront eu de cesse d’alimenter les débats, d’offrir à quelques cinéastes majeurs (Edgar Wright ou David Fincher) la matière à de magnifiques œuvres, là où ils étaient encore considérés il y a peu comme de pathétiques asociaux sujets à la moquerie (« Cyprien »…). Un retournement de situation plutôt salutaire, qui démontre surtout que les geeks/nerds, les vrais, sont aujourd’hui ceux qui dominent la sphère cinématographique mondiale. Une certaine revanche, en somme.

Des geeks, des nerds, les animateurs/réalisateurs de films d’animation en sont assurément. Ils faut en tenir une sacrée couche, en effet, pour oser importer le film de prison au sein d’une franchise hyper-méga-connue (le sublime « Toy Story 3 » des magiciens de Pixar), pour prétendre égaler un géant sur son propre terrain (la 3D de « Dragons », presque aussi immersive et spectaculaire que celle de James Cameron), pour confronter les enfants à l’horreur et à la violence d’une guerre (le très spartiate « Le Royaume de Ga’Hoole » de Zack « 300 » Snyder) ou pour faire d’un grand méchant le héros d’une gentille historiette (le sympatoche « Moi, moche et méchant » ou le ringard « Megamind »). Une tendance au délire le plus assumé qui trouve finalement son contre-point parfait dans la résurrection inattendue d’un état d’esprit que l’on croyait mort et enterré : « Raiponce », excellente production Disney, prouve que le studio aux oreilles de souris respire encore.

Celui qui respire, encore et toujours, c’est Martin Scorsese. Seul représentant du Nouvel Hollywood à avoir brillé cette année, le grand Marty se permet d’asséner une leçon de cinéma stupéfiante de maîtrise, mêlant le film noir et l’épouvante psychologique pour offrir à Leonardo DiCaprio son plus beau rôle. Leonardo, également au centre du labyrinthique « Inception » de Christopher Nolan, unique blockbuster vraiment intéressant de l’année (« Sherlock Holmes » ou « Iron Man 2 », franchement…), mais tellement en deçà de ce dont est capable le cinéaste anglais. Un autre acteur ayant marqué l’année, c’est le revenant Nicolas Cage, qui laisse le temps de deux excellents films (on oublie « L’Apprenti sorcier ») les productions ringardes et les coupes de cheveux aléatoires : inspecteur cocaïné chez Werner Herzog (le totalement fou « Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle-Orléans ») et vigilante costumé chez Matthew Vaughn (« Kick-Ass »), le neveu de la famille Coppola semble retrouver une seconde jeunesse, en espérant qu’il continue sur cette lancée…

Pas facile de réaliser une première œuvre, surtout si elle est d’un naturel expérimental et hermétique. Hélène Cattet et Bruno Forzani le savent bien, eux qui auront su capter l’attention des (rares) spectateurs avec leur bouleversant « Amer », expérience sensorielle et narrative héritée des grandes heures du cinéma de genre italien. Gaspar Noé et Nicolas Winding Refn n’en sont pas à leur coup d’essai, mais cela ne les aura pas empêché d’œuvrer dans l’expérimental à forte tendance en introspection épique, l’un par l’expérience post-mortem/postmoderne du Livre des morts tibétains (le psychotronique « Enter the Void » et son néo-Tokyo fluorisé), l’autre par l’évocation mystique d’un Ragnarok causé par l’apparition du christianisme (« Le Guerrier silencieux » et son Mads Mikkelsen monolithique). Deux œuvres fortes, à nulle autre pareille, comme reflets d’une année marquée par les tentatives diverses et variées (« Splice » et son mélodrame horrifique, « Expendables » et ses gros bras nostalgiques, « Centurion » et son survival d’époque…).

Il est temps de conclure. Finalement, après réflexion, un bilan n’est pas si compliqué à faire (surtout si l’on ne tient absolument pas compte de sa note d’intention de départ énoncée en introduction !). Evocation de thématiques plus ou moins communes, cinéastes majeurs en possession de tous leurs moyens (Peter Jackson et son « Lovely Bones » hitchcockien)… Vous me direz, quid d’un « Pirahna 3D » ou d’un « Crazy Heart » ? Ni tout à fait en accord avec ce qui a été dit plus tôt, ni tout à fait loin, ils représentent une certaine idée de l’éclectisme cinématographique tel qu’il est pratiqué chaque année. Un Français qui célèbre le gore et la luxure, un Américain qui célèbre la country et la rédemption… Avec Kelly Brook et Jeff Bridges en porte étendard, vous ne pensiez quand pas qu’on allait les oublier ! Allez, à l’année prochaine, quand Tintin accompagnera le cygne noir au sommet de l’arbre de la vie !

PS : ce texte est dédié à « All the Boys Love Mandy Lane », enfin disponible en DVD dans toutes les bonnes adresses. Il était temps !

Meilleurs films
1. Scott Pilgrim, d’Edgar Wright
2. The Social Network, de David Fincher
3. Le Guerrier silencieux – Valhalla Rising, de Nicolas Winding Refn
4. Amer, de Hélène Cattet & Bruno Forzani
5. Shutter Island, de Martin Scorsese
6. Lovely Bones, de Peter Jackson
7. Piranha 3D, d’Alexandre Aja
8. Toy Story 3, de Lee Unkrich
9. Crazy Heart, de Scott Cooper
10. Enter the Void, de Gaspar Noé

Pires films
1. Mords-moi sans hésitation, de Jason Friedberg & Aaron Seltzner
2. Freddy – les Griffes de la nuit, de Samuel Bayer
3. Le Chasseur de primes, d’Andy Tennant
4. Dans ton sommeil, de Caroline & Eric du Potet
5. Repo Men, de Miguel Sapochnik

Meilleurs réalisateurs
1. David Fincher (The Social Network)
2. Martin Scorsese (Shutter Island)
3. Peter Jackson (Lovely Bones)
4. Hélène Cattet & Bruno Forzani (Amer)
5. Edgar Wright (Scott Pilgrim)

Meilleurs acteurs
1. Leonardo DiCaprio (Shutter Island, Inception)
2. Jeff Bridges (Crazy Heart)
3. Mads Mikkelsen (Le Guerrier silencieux – Valhalla Rising)
4. Gerard Butler (Que justice soit faite)
5. Nicolas Cage (Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle-Orléans, Kick-Ass)

Meilleures actrices
1. Delphine Chanéac (Splice)
2. Laetitia Casta (Gainsbourg (vie héroïque))
3. Julie Delpy (La Comtesse)
4. Saoirse Ronan (Lovely Bones)
5. Chloë Moretz (Kick-Ass, Laisse-moi entrer)

Meilleurs Inédits DVD
1. All the Boys Love Mandy Lane, de Jonathan Levine
2. Sky Crawlers – l’Armée du ciel, de Mamoru Oshii
3. Halloween II, de Rob Zombie
4. Hierro, de Gabe Ibañez
5. Commando d’élite, de Dolph Lundgren

Frédéric Wullschleger

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