Genre cinématographique à part entière, les « films de copains » ne sont pas simplement des « films chorale » (appelés ainsi du fait de leur nombre important de personnages), mais plutôt des longs-métrages mettant en scène une bande d’amis de longue date. A l’occasion de la sortie du film italien « Encore un baiser » de Gabriele Muccino, qui reprend dix ans après les personnages de « Juste un baiser », Abus de ciné vous propose un petit tour d’horizon des films de ce genre à la fois particulier et tellement familier, avant de faire un détour par l’Italie, au travers de trois films majeurs du début des années 2000.
Trente ans d’amitié à l’écran : Popeye, Peter, Tommasi et les autres
Les films de copains existent depuis toujours. Pourtant, c’est dans les années 1970 que le genre commence à émerger, avec des œuvres délicates comme « Vincent, François, Paul et les autres » de Claude Sautet (1974) ou plus légères comme « Mes chers amis » de Mario Monicelli (sorti en France en 1976). Il devient même furieusement à la mode dans les années 1980 grâce à des opus à succès comme l’américain « Les copains d’abord » de Lawrence Kasdan (1983), le canadien « Le déclin de l’Empire américain » de Denys Arcand (1986) ou encore le français « Mes meilleurs copains » de Jean-Marie Poiré (1988). Ces deux derniers films commencent d’ailleurs à installer des codes qui deviendront récurrent symptomatiques du genre : le groupe d’amis est généralement jovial, bavard, structuré autour d’un personnage charismatique et rayonnant, autour duquel gravitent d’autres personnages chargés de frustrations.
Le genre plaît, et le succès est souvent au rendez-vous. En effet, le public aime suivre le récit des ces bandes de potes dont le destin a croisé celui d’une certaine époque, et qui se retrouvent un beau jour autour d’une table pour remémorer les moments ayant scellé leur amitié. Ces films attirent donc par leur portée historique, sociale et émotionnelle, mais aussi par leur potentiel d’identification (nous faisons tous partie de ces groupes d’amis). Et le public en réclame encore. Ainsi, Patrice Leconte décide de prolonger les aventures de ses célèbres « Bronzés » en les transposant dans une station de ski (1979), rafflant au passage plus d’un million et demi d’entrées. En Italie, Mario Monicelli remet le couvert en réalisant le deuxième volet de « Mes chers amis » (1982), sept ans après le premier opus et toujours avec les mêmes acteurs, deux ans avant qu’un troisième épisode ne soit réalisé (cette fois-ci par Nanni Loy.) Même « Le déclin de l’Empire américain », de Denys Arcand, donne lieu à une suite intitulée « Les Invasions barbares », qui n’arrive toutefois que 16 ans plus tard…
Les années 1990 finissent d’élever les films de copain au rang des genres à succès, avec notamment la sortie de « Peter’s friends » (1992), l’un des films les plus célèbres de Kenneth Brannagh. Un peu à l’image du film de Denys Arcand, cette tragi-comédie sur les liens et secrets d’amitié introduit un sujet grave qui rend l’œuvre bouleversante. En France, deux ans plus tard, le jeune Cédric Klapisch porte à l’écran l’histoire de quatre garçons dans le vent, anciens soixante-huitards réunis à l’occasion d’une naissance, qui s’avère être celle de l’enfant d’un ami mort quelques semaines plus tôt d’une overdose. C’est le « Péril jeune », véritable film de copains qui concentre en un seul film –devenu culte depuis- le présent d’un récit et le souvenir d’une vie passée dont tout le monde ne sort pas indemne. La même année sort « Quatre mariage et un enterrement » de l’anglais Mike Newell, gros succès mondial, qui achève de rendre résolument populaires les histoires d’amitié faites de rires et de larmes, et d’en faire un genre cinématographique à part entière.
Un phénomène italien : trois films miroirs d’une génération
En 2001, un réalisateur italien inconnu s’entoure de jeunes comédiens débutants et réalise « Juste un baiser ». Le réalisateur s’appelle Gabriele Muccino (« A la recherche du bonheur » et « Sept vies », avec Will Smith, c’est lui), les comédiens sont Stefano Accorsi (Monsieur Laëtitia Casta), Giovana Mezzogiorno (« Vincere »), Pierfrancesco Favino (« Ce que je veux de plus »), et le film fait un énorme carton dans son pays. Pourtant, on en peut pas dire qu’il brille par son inventivité : c’est l’histoire d’un trentenaire en passe de devenir père et qui cède à la tentation, tout comme ses meilleurs amis, incapables d’accorder une place à leur femme / enfant / père / famille / éventuelle petite amie. Face à un schéma scénaristique aussi classique, comment expliquer un tel succès ? Il serait un peu réducteur d’invoquer les blocages de la culture italienne, la résignation de la jeunesse face au modèle social et familial du pays, le rêve de liberté et d’indépendance… Néanmoins, il semblerait que ce film soit le reflet de son époque, et que ses personnages « parlent » à toute une génération. Ajoutez à cela à un brin de cynisme et de fatalisme, et vous obtenez une comédie dramatique plus intéressante qu’elle n’y paraît.
La même année, le jeune Ferzan Ozpetek, réalisateur italien d’origine turque, jette un nouveau pavé dans la mare en sortant « Tableau de famille » (« Les fées ignorantes » en VO), qui connaît également un bon succès auprès du public. Plus populaire et plus haut en couleurs que dans le film de Muccino, le petit monde d’Ozpetek tourne autour d’un groupe de marginaux, dont les différences sont à l’origine-même de l’amitié qui les lie. Au cœur de l’histoire : une femme (Margherita Buy) qui perd son mari et qui découvre que celui-ci avait une liaison. En menant l’enquête, elle découvre que la maîtresse est en fait un amant (Stefano « Casta » Accorsi, encore lui). Et en s’immisçant dans la vie de son « rival », elle découvre un groupe d’amis aussi attachants que soudés face à l’adversité, dans lequel elle va petit à petit se sentir intégrée. Si « Tableau de famille » constitue une ode à la tolérance et à la diversité sociale, dans une période où l’homophobie reste particulièrement d’actualité en Italie (la communauté décrite par Ozpetek est principalement gay), il délivre surtout un très beau message sur l’amitié, auquel on ne peut qu’adhérer.
Autre film de copains remarqué à la même période : « Italian lovers » (« De zéro à dix » en VO, du fait de la notation que les personnages donnent sans arrêt à leur vie), réalisé par le chanteur italien Ligabue (2002). Porté par un casting d’hommes trentenaires qui peut sembler familier (on retrouve Piefrancesco Favino et un acteur qui ressemble à… Accorsi), ce film raconte le retour d’un groupe de quatre potes à Rimini, station balnéaire très en vogue en Italie, pour exorciser la perte du cinquième larron survenue dix auparavant. Le groupe en question est composé de tous les stéréotypes qui se sont imposés peu à peu dans le genre (l’hétéro qui s’est engagé trop vite, l’homo célibataire, le dragueur dépressif et le timide atteint d’une grave maladie), faisant de ce long-métrage une espèce de caricature du film de copains. Dans sa globalité, il ressemble même beaucoup à « Juste un baiser », imitant certaines scènes et s’inspirant directement des personnages de Muccino. Mais une fois de plus la recette de l’amitié fonctionne, et le film reçoit lui aussi un bel accueil du public italien (le film est sorti directement en DVD en France).
La fin des films de copains ? Réponse dans les salles.
Après avoir fait rire et pleurer le monde entier, force est de constater que les films de copain ont un peu moins la côte depuis quelques années. Trop utilisés, les codes du genre ne permettent plus de créer la surprise, et le genre peine à se réinventer pour fidéliser les amateurs ou séduire des publics plus jeunes. Il semblerait même avoir passé le relais aux films de famille, comme le montre le succès commercial rencontré par « La bûche » de Danièle Thompson, « Un air de famille » de Cédric Klapisch, « La famille Tenenbaum » de Wes Anderson ou même « Little miss sunshine » de Jonathan Dayton et Valerie Faris (pour ne citer qu’eux).
Pourtant, il semblerait que les films de copains ne soient pas tout à fait morts. Ferzan Ozpetek continue discrètement d’explorer les méandres de l’amitié dans chacun de ses films (« Saturno contro », tout particulièrement). En France, Marc Esposito s’intéresse aux potes quinquagénaires et séduit le public avec « Le Cœur des hommes » 1 et 2. Quant à Guillaume Cannet, il livre en 2010 avec ses « Petits mouchoirs » un film de copains qui reprend tout bonnement les ingrédients ayant fait le succès du genre pendant trente ans : la crise de la trentaine, les difficultés du couple, l’amoureux secret, l’homosexuel caché, la serial loveuse blessée…
Quant à Gabriele Muccino, après avoir fait carrière aux Etats-Unis, il rentre en Italie et renoue avec le genre qui l’a propulsé dix ans plus tôt. Son nouvel opus film, « Encore un baiser », est la suite des aventures du groupe d’amis de « Juste un baiser ». Peut-on encore être surpris et charmés ? Réponse actuellement dans les salles.
Sylvia Grandgirard
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