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PARCOURS : Woody Allen, le renouveau


Quelle vie après New York ?

Le cinéma de Woody Allen offre depuis 30 ans une transposition démultipliée de lui-même, un portrait à plusieurs facettes, servi par des partenaires féminines se succédant selon ses compagnes du moment. On peut donc en déduire que ses films reflètent sa vie, impression accrue par le fait qu’il se met souvent en scène lui-même en tant que comédien et personnage.

A travers une production filmique aussi intense que régulière (au moins un film par an depuis 1969), le cinéma de Woody Allen aborde plusieurs grands thèmes de façon récurrente : sa dépendance aux femmes (sœurs, épouse, ex-épouses, maîtresses), son amour du cinéma (notamment fellinien et bergmanien), le jazz des années 30-40 (auquel il rend un hommage vibrant dans Radio Days) et un ensemble de traits de son identité qui le définissent tout entier : la judéité, l’hypocondrie et la névrose. Ces thèmes constituent de véritables obsessions existentielles du cinéaste, qui les place tour à tour au cœur de son œuvre. Or s’il existe un vecteur commun à l’ensemble de la filmographie de Woody Allen, c’est bien sa passion pour New York, et en particulier Manhattan. Le cinéaste a d’ailleurs intitulé l’un de ses films Manhattan (1979), œuvre majeure dans laquelle il érige la ville en mythe, en personnage romanesque que vient magnifier la musique enchanteresse de George Gershwin.

« Il adorait New York ; il l’idolâtrait au-delà de toute mesure. »
Non plutôt ça : « Elle le rendait romantique à l’extrême. Quelle que fût la saison, cette ville lui semblait n’exister qu’en noir et blanc et ne battre qu’aux airs de Gershwin. »*

Manhattan constitue donc une référence du cinéma allenien, sa marque de fabrique, une ville qui, jusqu’en 2005, a servi de décor à la grande majorité de ses films.

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Le virage Match Point

En 1996, Woody Allen commet toutefois une infidélité à sa ville adorée, en nous plongeant dans l’ambiance vénitienne de Tout le monde dit I love you. Un changement de décor tout relatif, étant donné que le protagoniste de cette comédie musicale (interprété par Woody Allen himself) vit bien à Manhattan. Non, la vraie rupture arrive en 2005 avec Match Point : exit New York, welcome London.

Partons de Match Point, qui signe l’entrée dans une nouvelle ère allenienne. Un spectateur ayant vu ses précédents films reconnaîtra la patte du maître à travers la musique, empreinte de sonorités jazz, la qualité des dialogues, toujours très détaillés, et le style de la mise en scène, privilégiant les plans larges. On retrouve également certains des thèmes chers au cinéaste, disséminés subtilement tout au long du film : l’ambition de devenir actrice et la désillusion qui s’ensuit, comme un écho à la passion du cinéma mêlée à la peur de l’épuisement créatif (une obsession chez Woody Allen) ; l’adultère comme mécanique centrale qui lie les personnages ; le meurtre comme solution de raccourci pour dénouer l’inextricable. Enfin, les adeptes ont forcément remarqué l'étrange similarité entre le scénario de Match Point et celui de Crimes et délits, un film réalisé seize ans plus tôt dans lequel un oculiste véreux (interprété par Martin Landau) décide de faire taire à jamais sa maîtresse qui menace de le dénoncer.

Or la rupture du genre est bien là, traduite par trois bouleversements :
1) Woody Allen n’interprète aucun personnage (ce qui a été le cas de peu de films, dont la Rose pourpre du Caire, Alice, Coups de feu sur Broadway et Celebrity, ainsi que la trilogie bergmanienne, Intérieurs, September et Une autre femme)
2) Woody Allen livre un film sombre et cynique, proche du thriller, dénué de toute volonté comique ou humoristique, ce qui était déjà arrivé avec la trilogie bergmanienne et Crimes et délits. Il y plane même une ambiance sexy, limite sulfureuse, à laquelle ne nous a pas habitués le cinéaste.
3) Enfin le principal bouleversement, totalement inédit : Woody Allen renonce à ses personnages féminins intellos pour mettre en avant une étoile montante du star system hollywoodien : Scarlett Johansson, d’où un total changement de génération !

Ce revirement artistique, perçu par certains comme un éclair de génie, par d’autres comme un accident de parcours, créé la surprise générale. Au pire, Match Point suscite une désapprobation des inconditionnels du genre allenien, qui ont pu y voir une soumission aux lois commerciales. Au mieux, il permet au cinéaste de prouver qu’il pouvait se renouveler avec maîtrise, tout en séduisant un public jusqu’alors peu réceptif à son cinéma « intello, juif et new-yorkais ».

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Une trilogie londonienne ?

L’année suivante, Woody Allen propose Scoop, une comédie à suspense interprétée par Hugh Jackman et Scarlett Johansson, déjà vue dans Match Point. Cette fois-ci, elle troque son statut de sex symbol pour endosser une queue de cheval et des petites lunettes, dans un rôle de femme intègre et un peu intello sur les bords à la façon d’une Diane Keaton dans Meurtres mystérieux à Manhattan. Scarlett Johansson confirme ainsi sa place de nouvelle muse du cinéaste (la dernière était Mia Farrow). Or malgré le casting, Scoop passe quasiment inaperçu. Il faut dire qu’il fait figure de retour en arrière vers un cinéma typiquement allenien, pas assez innovant pour succéder dignement à Match Point, ni assez bon pour satisfaire les fidèles. L’idée d’un nouveau cinéma allenien prend toutefois forme, caractérisé par deux constantes : Woody Allen semble avoir délaissé le rôle principal ( il est la co-vedette de Scarlett Johansson dans Scoop) et Manhattan pour Londres.

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Cette tendance se confirme en 2007, lorsque sort en salles Le rêve de Cassandre. Sous la forme d’un polar psychologique intense, le film relate l’histoire de deux frères qui, prêts à tout pour s’enrichir, finissent par s’engager contre leur gré dans une histoire de meurtre. Les aspects les plus sombres de l’homme y sont auscultés  : d’une part l’avidité et l’égoïsme qui pousse aux comportements les plus extrêmes, d’autre part la culpabilité et le remords qui peuvent briser un couple et anéantir une fratrie. Si la noirceur de l’intrigue n’est pas sans rappeler celle de Crimes et délits (une fois de plus), ici la psychologie des personnages occupe une place plus importante. Avec Le rêve de Cassandre, Woody Allen décide de s’intéresser pour la première fois aux rapports entre deux frères, qu’il fait incarner par deux poids lourds du cinéma (Ewan MacGregor et Colin Farrell).


Cinéaste du monde

Après ces trois films, Woody Allen a élargi son horizon en tournant à Barcelone, Paris, Rome… Ce qui semblait n’être qu’une parenthèse londonienne s’est donc transformé en un véritable « période » européenne, avec son lot de nouvelles égéries (Scarlett Johansson, Penélope Cruz) et figures alleniennes (Josh Brolin, Owen Wilson). Peut-on dire pour autant qu’il y a un avant et après Match Point ? C’est fort possible, dans la mesure où le cinéaste sera de plus en plus amené à tourner à l’étranger. Bien qu’ayant renoué avec les Etats-Unis pour réaliser "Blue Jasmine", son dernier opus se déroulant à New-York et à San Francisco, personne n’ignore que Woody Allen vient de finir le tournage de son prochain film à Nice, et qu’il est en ce moment-même sollicité par la municipalité de Rio de Janeiro pour y planter le décor suivant. De quoi relancer inlassablement son inspiration !

Sylvia Grandgirard

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