Le problème avec un top 10, c’est qu’on ne peut pas mettre 15 ou 20 films ! Or, 2014 a été une année dense en films de qualité… mais, paradoxalement, j’ai très peu respiré l’air vivifiant des chefs-d’œuvre !
Même parmi mes films préférés, j’ai ressenti une déception partielle : Lars von Trier m’a enthousiasmé avec sa brillante première partie de « Nymphomaniac » mais je l’ai trouvé incapable de proposer un diptyque cohérent avec un second opus qui m’a plutôt affligé (et je suis de plus en plus agacé par sa manie de torturer gratuitement ses personnages !) ; « Interstellar » m’a impressionné techniquement (alors que j’avais presque fait une croix sur les films dans l’espace depuis « Gravity ») et ému au larmes, mais certains éléments m’ont déçu (comme le personnage stéréotypé de Matt Damon) ; la Palme d’or « Winter Sleep » m’a évidemment séduit mais je m’attendais à profiter un peu plus des paysages magnifiques de la Cappadoce enneigée (bon, là, je chipote !) ; la créativité de Wes Anderson continue de me fasciner mais échoue étrangement à m’émouvoir. Hors top 10, « Mommy » est un film touchant et esthétiquement inventif, mais au scénario parfois bancal ou simpliste et aux côtés trop clipesques ; « Jacky au royaume des filles » développe une réflexion ingénieuse sur le totalitarisme et sur le concept de genre mais le rythme n’est pas maîtrisé ; « Her » ne m’a pas paru inintéressant mais je me sens assez réfractaire à l’atmosphère plombante des films-séances-de-psy de Spike Jonze. Serais-je devenu un cinéphile trop exigeant ? Peut-être…
Malgré ces bémols, 2014 m’a apporté son lot d’émotions. Le cinéma français a certes proposé de grosses daubes (voir mon flop) et des films en partie loupés (comme « Du goudron et des plumes »), mais il peut aussi chanter cocorico, notamment grâce à une nouvelle génération de réalisateurs : Céline Sciamma continue de changer les regards sur les jeunes filles avec son époustouflante « Bande de filles », Thomas Litli réalise le film quasi parfait sur l’univers hospitalier avec « Hippocrate » (photo-ci-contre), et Thomas Cailley signe des débuts prometteurs avec « Les Combattants ». Quant aux frères Larrieu, ils poursuivent leur chemin cinématographique parallèle dans les montagnes avec « L’amour est un crime parfait ».
La France participe aussi au grand cru 2014 de l’animation : « Minuscule : la vallée des fourmis perdues », « Astérix et le Domaine des dieux » et l’expérimental « Conversation animée avec Noam Chomsky » ont côtoyé les perles du studio Ghibli « Le vent se lève » et « Le Conte de la princesse Kaguya », le programme tchèque « Pat et Mat » ou encore l’inattendu chef-d’œuvre américain « La Grande aventure Lego », dont l’intitulé ne présageait pourtant rien de bon ! Au contraire, le film en Lego a été l’un des bonheurs les plus resplendissants de l’année, proposant, comme l’épanouissante « Vie rêvée de Walter Mitty » ou le réjouissant « Grand Budapest Hotel », un hymne à l’imaginaire débridé et une vraie bouffée de vie fraîche ! Quand on ajoute « Bande de filles », « Winter Sleep », « Boyhood » et « Interstellar » à ces trois films, 2014 a quelque chose de vibrant qui donne envie de croquer la vie !
Le cinéma a su aussi être d’actualité. En parallèle des polémiques sur le genre qui infestent les débats depuis 2013, le 7e art n’a peut-être jamais autant exploré le thème ! Outre les films cités plus bas dans mon top thématique, on pourrait citer « Nymphomaniac » (photo-ci-contre)et « Les Gazelles », qui interrogent les tabous concernant les désirs et la sexualité des femmes, ou encore « Con la pata quebrada » et « Le Procès de Viviane Amsalem ». Mais je ne peux parler de ces deux derniers car ils font partie des inévitables frustrations qui accompagnent un bilan annuel : les films que je n’ai pas vus à temps (au rang desquels figurent aussi « Leviathan », « Les Héritiers » ou encore « Whiplash »). Exceptionnellement, je ne peux m’empêcher de saluer deux autres films que je n’ai pas (encore) découverts, dérogeant au motto d’Abus de ciné (« qui ne parle que des films qu’il a vus »). Car l’actualité tragique de ce début 2015 m’oblige à vénérer a priori « Timbuktu », pour sa vision du fondamentalisme religieux, et « Caricaturistes : fantassins de la démocratie », un documentaire indispensable sur la liberté de création et d’expression. Au cinéma aussi, nous sommes Charlie*.
TOP films
1. Bande de filles, de Céline Sciamma
2. La Grande aventure Lego, de Phil Lord & Christopher Miller
3. The Grand Budapest Hotel, de Wes Anderson
4. Winter Sleep, de Nuri Bilge Ceylan
5. Boyhood, de Richard Linklater
6. La Vie rêvée de Walter Mitty, de Ben Stiller
7. Nymphomaniac Vol.1, de Lars von Trier
8. Hippocrate, de Thomas Litli
9. Interstellar, de Christopher Nolan
10. L’amour est un crime parfait, d’Arnaud & Jean-Marie Larrieu
FLOP films
1. Grace de Monaco, de Olivier Dahan
2. SMS, de Gabriel Julien-Laferrière
3. Ninja Turtles, de Philippe de Chauveron
4. Les 3 frères, le retour, de Bernard Campan, Didier Bourdon et Pascal Légitimus
5. Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ?, de Philippe de Chauveron
TOP actrices
1. Anne Dorval (Mommy) (photo-ci-contre)
2. Adèle Haenel (Les Combattants)
3. Karidja Touré (Bande de filles)
4. Jun Yoshinaga (Still the Water)
5. Lupita Nyong’o (12 Years A Slave)
TOP acteurs
1. David Gulpilil (Charlie’s Country)
2. Antoine-Olivier Pilon (Mommy)
3. Jesse Eisenberg (The Double)
4. Tom Hardy (Locke)
5. Reda Kateb (Hippocrate)
TOP réalisateurs
1. Wes Anderson (The Grand Budapest Hotel)
2. Céline Sciamma (Bande de filles)
3. Michel Gondry (Conversation animée avec Noam Chomsky)
4. Xavier Dolan (Tom à la ferme et Mommy)
5. Richard Linklater (Boyhood)
Top 5 thématique
Des films pour réfléchir aux inégalités femmes/hommes
En partenariat avec l’institut EgaliGone
1. Jacky au royaume des filles : pour bousculer la construction socio-culturelle des inégalités femmes/hommes (photo-ci-contre)
2. Sous les jupes des filles : pour s’interroger sur les stéréotypes au quotidien
3. Bande de filles : pour comprendre le comportement des filles de banlieue face à la pression sociale et masculine
4. Interstellar : pour comprendre qu’un enfant peut devenir quelqu’un d’exceptionnel grâce à la confiance qu’on place en lui/elle et non en fonction de son sexe
5. à égalité - Le Conte de la princesse Kaguya et My Sweet Pepper Land : pour réfléchir à la responsabilité des hommes sur la construction des normes sociales, créées pour leurs plaisirs et profits
Révélation de l’année 2014
Plutôt qu’une révélation, deux confirmations : la première côté réalisation pour Céline Sciamma qui prend définitivement sa place aux côtés des grands cinéastes français ; la seconde côté interprétation pour David Gulpilil qui obtient enfin une reconnaissance méritée hors de son pays.
Raphaël Jullien
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