Avec le suicide de Robin Williams, le 11 août 2014, le cinéma américain a tragiquement perdu l’un de ses plus illustres interprètes que Hollywood avait eu tendance à délaisser depuis une dizaine d’années. Impossible d’oublier ce grand acteur qui nous a tant émus ou fait rire. Durant 40 ans, il a tourné dans plus de 70 films (voxographie comprise) et participé à une trentaine de séries télévisées, avec notamment à la clé un Oscar (sur un total de 4 nominations) et 6 Golden Globes (pour 12 nominations). En hommage à cet acteur qui nous manque déjà beaucoup, voici une sélection, forcément subjective, de 10 rôles piochés dans sa brillante filmographie.
1980 // POPEYE
de Robert Altman
rôle : Popeye
Peu de gens s’en souviennent mais c’est dans le rôle de Popeye que Robin Williams, d’abord révélé par les séries "Happy Days" et "Mork and Mindy", a débuté sa carrière au cinéma sous la direction de Robert Altman (hormis un mini-rôle en 1977 dans une comédie oubliée). À ce jour, cela reste d’ailleurs la dernière incarnation cinématographique de ce héros classique de comic strip. Il faut avouer que Robin Williams avait franchement la gueule appropriée pour prononcer ses répliques avec une pipe constamment greffée à sa bouche grimaçante ! Le film n’est pas fameux – et beaucoup le considèrent même comme un nanar – mais voir Williams dans cette comédie musicale (aux côtés de Shelley Duvall dans le rôle d’Olive) vaut son pesant de cacahuètes !
1987 // GOOD MORNING, VIETNAM
de Barry Levinson
rôle : Adrian Cronauer
C’est le film qui a véritablement révélé Robin Williams au public (du moins au public international), avec à la clé un premier Golden Globe cinématographique (il en avait déjà remporté un en 1979 pour la série "Mork and Mindy") et une première nomination aux Oscars. Williams y interprète un animateur radio qui exerce à Saïgon durant la guerre du Vietnam. L’acteur y exploite toute sa folie humoristique et affiche l’impressionnante étendue de son talent. Ses délires radiophoniques, où il développe un ahurissant panel d’effets vocaux à un rythme effréné, sont inoubliables. Notons aussi que l’on peut faire un parallèle entre ce film et sa propre vie puisqu’il a ensuite soutenu le moral des soldats américains dans plusieurs tournées organisées par le département de Défense et l’association United Service Organizations (Irak, Afghanistan…).
1989 // LE CERCLE DES POÈTES DISPARUS
de Peter Weir
rôle : Professeur John Keating
Il faut d’abord savoir qu’un premier projet avait envisagé Liam Neeson dans le rôle de John Keating. Robin Williams a donc bien failli ne pas interpréter un des rôles les plus marquants de sa carrière ! Car comment oublier ce professeur iconoclaste et anticonformiste qui pousse ses élèves à aimer autant la littérature que la liberté ? Pour les personnages comme pour les spectateurs, Keating a le don de bouleverser les regards, de bousculer les habitudes, de contester les contraintes, de susciter le dépassement des limites... Avec toutes les conséquences tragiques que cela peut aussi engendrer, mais avec un sentiment enivrant de liberté que peu de films ont la capacité d’attiser à ce point ! Ce rôle, que Robin Williams a incarné jusqu’au bout des ongles et des larmes, est également indissociable du poème de Walt Whitman, "O Captain! My Captain!" (1865), dont la popularité internationale doit beaucoup à ce professeur inoubliable.
1991 // HOOK OU LA REVANCHE DU CAPITAINE CROCHET
de Steven Spielberg
rôle : Peter Banning / Peter Pan
Qui mieux que Robin Williams pouvait incarner un Peter Pan devenu adulte ? Le talent de Williams tenait en partie dans son regard profond qui pouvait à la fois faire ressentir l’étincelle d’un enfant heureux et les doutes d’un adulte triste. Idem pour son sourire : il était capable de ce genre de rictus à la Joconde, indéfinissable et fascinant. Grâce à Spielberg, Robin Williams a donc eu la joie de redevenir enfant à travers Peter Pan et de se libérer des chaînes parfois encombrantes de la vie d’adulte. À l’écran, c’est jubilatoire et on s’envole littéralement avec Robin ! Cinq ans plus tard, Robin Williams retrouvera un autre rôle mi-enfant mi-adulte avec "Jack" de Francis Ford Coppola, qui peut être vu comme l’exact inverse de Peter Pan : un enfant de dix ans, atteint du syndrome de Werner, vieillit trop vite et a l’apparence d’un adulte. Un tel décalage était, là encore, parfait pour Robin Williams.
1992 // ALADDIN
de Ron Clements et John Musker
rôle : le Génie / le colporteur
Bien entendu, en France, on connaît plus le doublage de Richard Darbois. Sans faire offense à ce dernier, quel dommage ! Car le Génie de la lampe, c’est l’incarnation animée de Robin Williams ! L’acteur s’est tellement imprégné du personnage, et il a tellement improvisé, que des gags qu’il a lui-même inventés ont été animés a posteriori et inclus dans le montage final. Personnage espiègle et exubérant, le Génie peut apparaître comme une version bleutée de l’animateur radio de "Good Morning, Vietnam" avec sa façon de multiplier les voix et les effets à vitesse grand V. Pour l’anecdote, le choix de Robin Williams a inauguré une nouvelle tradition chez Disney : engager des stars pour le doublage. Une recette souvent gagnante.
1993 // MADAME DOUBTFIRE
de Chris Columbus
rôle : Daniel Hillard / Mrs. Doubtfire
Adapté d’un roman de jeunesse d’Anne Fine (initialement édité en français sous le titre "Quand papa était femme de ménage"), ce film est sans doute l’un des meilleurs travestissements de l’Histoire du cinéma. Robin Williams y explore toutes les facettes de son talent comique et manie avec génie toutes les situations décalées que ce double rôle permet. Sans oublier l’aspect émotionnel de la situation (c’est quand même l’histoire d’un père privé de ses enfants !), les gags inoubliables s’enchaînent : les faux seins qui brûlent, le ménage en musique, l’allergie au restaurant… Hilarant et émouvant à la fois.
1997 // HARRY DANS TOUS SES ÉTATS
de Woody Allen
rôle : Mel
Robin Williams a fait partie de la galaxie de stars ayant tourné pour Woody Allen. Et cette collaboration a donné lieu à l’un des rôles les plus atypiques de l’Histoire du cinéma : un acteur qui devient flou ! Il fallait oser engager un tel acteur pour le filmer flou ! Quoique secondaire dans l’histoire, ce rôle délicieusement absurde montre que Robin Williams pouvait exploiter son talent dans toutes les situations, même les plus extrêmes.
1997 // WILL HUNTING
de Gus Van Sant
rôle : Sean Maguire
Ce second rôle lui a valu un Oscar ô combien mérité. En un sens, Sean Maguire est un lointain cousin de John Keating car les deux personnages sont libérateurs. Williams y est touchant et vibrant ; ses répliques semblent sortir du fond de ses tripes. Deux scènes sortent du lot. Dans la première, Sean emmène Will (Matt Damon) dans un parc et y prononce un poignant monologue dont l’éloquence et la puissance font parfois penser au discours final de Chaplin dans "Le Dictateur" – bien que le propos soit tout autre. Dans la seconde, Sean relate sa rencontre avec sa femme et mime un match de baseball ; le montage avec les images d’archive du match en question permet de mieux apprécier l’excellente interprétation de Williams. Difficile aussi de ne pas voir en ce personnage torturé Robin Williams lui-même.
1998 // AU-DELÀ DE NOS RÊVES
de Vincent Ward
rôle : Chris Nielsen
Voilà un film injustement oublié, dont l’univers visuel a toutefois été gratifié par un Oscar des effets spéciaux amplement mérité. Williams y incarne un médecin qui se retrouve au Paradis suite à un accident et qui est confronté à un dilemme : rester au Paradis où il a retrouvé ses deux enfants, morts quatre ans avant lui dans un autre accident, ou tenter de rejoindre sa femme, qui s’est suicidée après sa mort et qui erre désormais parmi les âmes perdues du côté de l’Enfer. Rétrospectivement, ce rôle tourmenté résonne étrangement avec le décès de Robin Williams. On peut se demander s’il a repensé à ce rôle avant de se donner la mort… Toujours est-il que ce film un peu mystique prend une nouvelle valeur au sein de sa filmographie.
2002 // PHOTO OBSESSION
de Mark Romanek
rôle : Seymour « Sy » Parrish
L’année 2002 a valu à Robin Williams des rôles plus sombres que d’habitude : un présentateur rancunier et colérique dans "Crève, Smoochy, crève !" de Danny DeVito (certes cela reste une comédie mais quand même), un tueur en série dans "Insomnia" de Christopher Nolan, et donc, dans "Photo Obsession", un employé de labo photo obsédé par la vie de ses clients. Livide et tourmenté, Robin Williams y est méconnaissable et inquiétant. Peu de rôles ont su interroger de cette façon les limites de la vie privée. Et que la photo numérique ait pris le pas sur les développements photo depuis n’est pas pour nous rassurer…
Raphaël Jullien
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