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Décidément, cette Quinzaine des réalisateurs 2.0 version Edouard Waintrop poursuit dans sa quête d’originalité et d’éclectisme. Une fois encore, la sélection nous proposait de découvrir une palette extrêmement large de ce que le Cinéma peut offrir dans ses formes les plus variées. De la comédie « trashouille » et sanguinolente "Alleluia" de Fabrice Du Welz aux drames familiaux "At li layla" et "Le procès de Vivane Amsalem", en passant par le métrage social "Bande de filles", les dix-sept films proposés invitaient les spectateurs à voyager dans des univers atypiques, jusqu’à même s’approcher de la fin du monde avec "These final hours". Si dans le prolongement de l’année précédente, cette section parallèle promeut la comédie, avec notamment le délirant "Queen and Country" de John Boorman et le rafraîchissant "Les combattants" de Thomas Cailley, il semble bien difficile de trouver un dénominateur commun à toutes ces œuvres. Pourtant, lorsqu’on scrute avec attention les êtres qui parcourent ces pérégrinations cinématographiques, on constate que la thématique de l’amitié occupe une place essentielle dans les différents scénarios.
Qu’elle soit fraîche ou ancienne, l’amitié telle qu’elle est filmée n’est jamais sans conséquence, bonnes ou mauvaises soient-elles. Tantôt déclencheur pour s’émanciper d’un quotidien sordide ou banal, tantôt porteuse de force pour dépasser ses propres limites, parfois source de problèmes, elle est toujours la motivation des personnages pour agir. Il nous appartenait donc de revenir plus en détail sur ces différentes relations.
L’amitié, plus forte que tout
« Bonne amitié vaut mieux que tour fortifiée » disait le proverbe. Et la "bande de filles" du film éponyme le prouve aisément. Après "Tomboy", Céline Sciamma poursuit son exploration de l’âme humaine, en s’attachant cette fois à nous conter le destin de Marieme, une fille des quartiers, qui voit sa vie basculer lorsqu’elle se lie d’amitié avec trois autres de ses camarades. Elle était timide, disciplinée, soumise aux règles imposées par un frère violent ; elle deviendra libre, rebelle et s’affirmera comme femme. Avec pudeur, la réalisatrice nous invite au cœur de cette amitié naissante, accompagnant ses protagonistes jusqu’à ce qu’elles rentrent dans l’âge adulte. Si cette relation, entre admiration et rejet, est loin de n’avoir apporté que du bon dans la vie de l’adolescente, celle-ci ne se retournera jamais sur son passé, acceptant la fougue de cette amitié.
Mais l’amitié est un sentiment imprévisible, pouvant poindre au moment où on s’y attend le moins. Alors qu’il est présumé avoir tué son fils, le personnage principal de "Juillet de sang" (« Cold in July »), Richard Dane, va progressivement créer des liens extrêmement forts avec un père endeuillé. Entre remords et peur, l’homme va dépasser ses limites pour aider celui qui se mue en une figure paternelle, leur relation les poussant même à prendre les armes pour faire éclabousser la vérité. Et que dire de James, le héros de "These Final hours" qui pensait se rendre paisiblement à son orgie pré-apocalypse ? Mais alors qu’il ne reste plus que quelques heures à vivre à l’humanité, le voila qui rencontre une petite fille égarée. Devenant le grand frère protecteur, c’est grâce à l’amour de cette fillette qu’il va pouvoir s’absoudre de ses pêchés.
L’amitié n’est pas de tout repos
Parfois, l’amitié nous plonge dans des situations périlleuses ou rocambolesques, comme dans "Le Procès de Viviane Amsalem" où dans ce huis clos ecclésiastique, les différents amis d’un couple vont défiler pour témoigner en faveur ou non de l’éventuel divorce de celui-ci. La loi juive est sans équivoque : le consentement du mari est nécessaire pour divorcer. Placée sur le banc des accusés pour ne plus aimer son mari, traitée comme une criminelle, c’est grâce à ces témoignages que Viviane pourra obtenir ou non son salut.
Les disputes de camaraderie féminine sont légendaires, et c’est le film québécois de la sélection qui va nous offrir notre petite piqûre de rappel. Sophie d’Houdetot a un jour déclaré que « L’amour est à la portée de tous, mais l’amitié est l’épreuve du cœur ». Véronique et Nicole de "Tu dors Nicole" ne diront pas le contraire. Amies depuis toujours, elles ne peuvent se passer l’une de l’autre. Mais cette relation fusionnelle est loin d’être des plus paisibles, en particulier lorsque des hommes rentrent dans le champ de la caméra. Humour rafraîchissant et répliques aiguisées sont les outils qu’a choisis Stéphane Lafleur pour nous conter cette belle amitié.
L’amitié pour se dépasser
Si l’amour (et la Red bull) donne des ailes, l’amitié peut aussi permettre de voler, et l’une des plus belles illustrations nous a été donnée durant la quinzaine, avec le délirant et trépidant « Queen and Country », prolongement de « Hope and Glory » du même John Boorman. Bill, double à l’écran du cinéaste, était un doux rêveur, et c’était peu dire qu’il appréhendait l’épreuve du service militaire. Mais à deux, on est plus fort comme dirait l’autre, et sa rencontre avec le turbulent Percy va lui permettre de franchir tous les obstacles. Ensemble, ils transformeront le camp en une joyeuse colonie de vacances, tout étant propice à la rigolade. Le métrage, multipliant les sketchs et les traits d’humour, se transforme en une ode à l’amitié, à ce sentiment pouvant se transformer en force pour balayer les hésitations. Et plus que d’avoir trouvé un frère de cœur, Bill a trouvé un compagnon sur le chemin de l’âge adulte.
Ainsi lorsqu’on se penche sur la question, on constate qu’en réalité, la sélection de la « Quinzaine des réalisateurs » nous a chanté les louanges de l’amitié, propageant des messages positifs en creux des films, jusqu’à assumer pleinement cette dimension « feel good movie » avec le film de clôture "Pride". Car grâce à une rencontre, le jeune Joe va s’assumer comme homosexuel, s’acceptant comme il est. Mais plus que le parcours initiatique de cet adolescent, le long métrage raconte également une partie méconnue de l’Histoire, en s’intéressant à un épisode particulier de la grève des mineurs britanniques, lorsque l’Union Syndicale des Mineurs reçut l’aide d’activistes gays. Véritable manifeste passionnant et passionné sur l’acceptation de l’autre, cette petite pépite pop nous rappelle aux douces vertus de la fraternité.
Dans la morosité ambiante que même la Coupe du monde ne saurait effacer, la « Quinzaine des réalisateurs » nous a peut-être montré le chemin, des messages emplis d’espoir sillonnant les différents films projetés. Bien évidemment, certains proposaient une vision trop manichéenne de la réalité, mais le but était ailleurs, il s’agissait de nous faire rêver, de raviver cette petite lueur. Mises bout à bout, ces différentes séquences forment une profession de foi humaniste et utopiste où la nature humaine est consacrée. Et même lorsque cette amitié devenait malsaine, comme celle qui unit le professeur de musique de "Whiplash" et son élève, on se rend compte que celle-ci n’était pas aussi perverse qu’on pouvait le penser. Ouf, le contrat est bien rempli, on est reparti de Cannes avec un grand sourire et une folle envie de retrouver nos amis.
Christophe Brangé
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